Dictature des médias, fantasme ou réalité ?

par Tietie007
mardi 28 septembre 2010

Il est de bon ton, aujourd’hui, de critiquer le pouvoir médiatique qui fabriquerait une sorte de « dictature du consentement » comme le soulignait Chomsky, capable d’orienter les citoyens vers une pensée unique en enlevant, à chacun son libre-arbitre et sa capacité à choisir. Il me semble que ce discours si il fut, à une certaine époque, d’actualité, l’est beaucoup moins aujourd’hui.

 Il n’est pas rare qu’au cours d’une de mes nombreuses discussions sur des forums divers et variés et dans la vraie vie d’entendre de mes interlocuteurs que je serais « manipulé les médias » qu’on nous mentirait tout le temps, et que la liberté d’information n’existerait plus dans notre pays. Dernièrement, d’ailleurs, avec une connaissance très à gauche, alors que nous parlions d’ un sujet, mon ami me rétorqua que j’étais manipulé par les médias, argument aisé pour délégitimer mon discours et clore le débat. Si je trouve que la critique des médias est fort intéressante, et qu’il y a, depuis l’Ecole de Francfort, des intellectuels comme Bourdieu ou Chomsky qui ont renouvelé cette critique et mis l’accent sur le pouvoir discrétionnaire des médias pour forger une « fabrique du consentement » à la solde des puissants,
 
 
 il me semble,aussi, qu’au-delà des avis des uns et des autres, souvent annexés sur leur orientation politique ou idéologique, il existe quelques faits objectifs prouvant, malgré tout, que la liberté de la presse existe dans ce pays ou en tout cas qu’elle a fortement progressé par rapport à des époques précédentes.

Si on considère la presse écrite d’informations politiques et générales, elle connait, aujourd’hui, une crise générale due à la concurrence de la presse gratuite et d’internet. Au début du siècle dernier, quatre quotidiens dépassaient le million d’exemplaires par jour, Le Petit Journal, le Petit Parisien, Le Matin et Le Journal, et ces tirages journaliers feraient rêver n’importe quel rédacteur en chef puisqu’aujourd’hui, le journal quotidien national d’informations politiques et générales le plus vendu en France, Le Parisien, tourne autour des 500 000 exemplaires/jour.

Le nombre de journaux a fortement diminué, depuis 1946, et serait passé, selon Jean-Marc Charon (La presse en France de 1945 à nos jours, Collection Points, 1994), de 26 titres à seulement 10, conséquence logique de la concurrence des autres médias. Cette réduction des titres est dommageable au pluralisme, mais il n’en reste pas moins que l’on peut trouver, dans l’offre de la presse quotidienne nationale, chaussure à son pieds. A noter, aussi, que le sort des magazines d’information est plutôt encourageant, et que du Monde Diplomatique jusqu’à l’Express, en passant par Marianne, le spectre politique est plutôt bien représenté, en France.

Certains me rétorqueront que cette presse est souvent à la solde de leurs actionnaires, et je leur répondrai que si la vénalité de la presse française était notoire, entre les deux-guerres, et qu’elle doit toujours exister, la situation s’est plutôt améliorée grâce à la clause de conscience, créée par la loi du 29 mars 1935 et qui permet à un journaliste de démissionner en cas de changement flagrant de ligne éditoriale tout en entraînant l’application du régime juridique de licenciement. De même, l’indépendance des rédactions s’est plutôt améliorée puisque dans certains quotidiens, comme Le Monde, c’est la rédaction elle-même, qui élit son directeur, et certains autres acteurs du monde des magazines d’informations refusent presque tout recours à la publicité pour préserver leur ligne éditoriale, comme Marianne. Il ne faut pas oublier, non plus, que nos journalistes sont beaucoup mieux formés que par le passé, puisque les écoles et formations dans le journalisme se sont multipliées, depuis une vingtaine d’années, garantissant un certain professionnalisme qui n’existait pas avant.

Si la presse écrite connaît une crise sans précédent, ce n’est pas le cas des médias audiovisuels, en plein boom depuis quelques années. Qu’il est loin ce temps où le seul Etat français avait le monopole exclusif sur la radiodiffusion française (loi du 23 mars 1945), de la RTF puis de l’ORTF, en 1964, avec des journalistes qui étaient aux ordres directs du Ministère de l’Information, qui exista jusqu’en 1969 ! Il faut voir comme l’information était traitée, dans les années 70, et l’ouverture du journal télévisé, par Roger Gicquel, le 18 février 1976, avec sa célèbre phrase, «  La France a peur », ferait scandale aujourd’hui !

La France de la radio, elle, se déclinait autour de France-Inter, média contrôlé par l’Etat concurrencé par d’autres radios, situées à l’étranger juste à la frontière française, comme RMC ou Europe 1.

Ce monopole d’Etat sur les radios et télévisions a explosé lors de l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, en 1981,avec la création, le 29 juillet 1982, de la Haute Autorité de la communications audiovisuelle, chargée de garantir l’indépendance des nouveaux médias et de ventiler les nouvelles fréquences hertziennes aux nouveaux acteurs du secteur. Ca sera l’époque de l’explosion des radios libres et de la bande FM et la création de nouvelles chaînes de TV, privées, comme Canal+, M6 et la défunte 5, puis la privatisation de TF1. Un certain lien ombilical avec le pouvoir d’état était rompu. Mais la multiplication des chaînes de TV va continuer, d’abord en 1992, avec l’apparition de la réception satellite, démultipliant le nombre de canaux, souvent thématiques, permettant au téléspectateur de regarder des chaînes étrangères et de composer son propre programme, jusqu’à l’apparition de la TNT, dernièrement, bouquet de chaînes gratuites qui permet à n’importe qui ayant un téléviseur d’avoir 20 chaînes à sa disposition, dont 2 chaines d’informations (BFM et I-Télé). 

Loin d’être totalement contrôlé par les acteurs privés, le champ médiatique est aussi structuré par un fort secteur public. France Télévisions s’est fortement développé, depuis, avec la création de nombreuses nouvelles chaînes publiques comme Arte, la 5, France O ou La Chaîne Parlementaire.

Bref, par rapport au début des années 70, la libéralisation du marché télévisuel a démultiplié les chaînes privées et publiques, donnant aux télé-citoyens une offre pléthorique laissant à chacun le loisir de se construire son propre programme, du divertissement à l’information, en passant par le documentaire et le sport ! Or, dans ce paysage télévisuel où les chaînes de TV se déclinent presque à l’infini, je vois mal comment un individu ou un groupe d’actionnaires, pourraient contrôler les programmes de l’offre télévisuelle !

Il ne faudrait pas oublier non plus, le média cinématographique, qui a connu, depuis le début des années 70, une liberté de ton inégalée. Il faut se souvenir, que dans la France gaullienne, certaines films étaient purement interdits d’exploitation sur le sol français, je pense à la célèbre Bataille d’Alger, de Gilles Pontercorvo, réalisé en 1966, Lion d’or à Venise et nommé aux Oscars, et qui fut interdit par le pouvoir gaulliste ! Plus curieux, Le Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper (1974),fut interdit d’exploitation en salle par la commission de contrôle cinématographique française, en 1974 et il faudra attendre 1982 pour pouvoir le regarder dans une salle hexagonale ! Ce type de censure nous paraîtrait totalement délirant, aujourd’hui et n’existe plus !

Mais la grande révolution touchant les médias, comparable à l’invention de l’imprimerie par Guttenberg, c’est, évidemment, l’arrivée d’Internet dans les foyers français. Média qui fonctionne en réseaux, internet permet l’émergence de médias d’informations participatifs, comme Agoravox ou Rue89 , ou de sites d’informations extrêmement variés qui apportent une autre lumière sur l’actualité, comme l’agence de presse russe Ria Novosti ou le célèbre réseau Voltaire, voire une multitude de sites spécialisés dans la critique des médias, comme Le Plan B. En résumé, la révolution internet comme le fut la réforme protestante, place le citoyen comme avant le croyant, seul face à la réalité du monde, sans les médiateurs entre lui et le réel que sont les journalistes, comme la réforme luthérienne voua aux gémonies cet intermédiaire de prêtre, interface nécessaire entre le croyant et la parole divine, dans la religion catholique ! D’ailleurs, le court-circuitage du journaliste professionnel, si il peut amener une certaine fraîcheur dans l’appréciation de l’information et du non-conformisme dans le traitement des actualités, peut aussi se traduire par certaines dérives, puisque si tout le monde peut devenir un journaliste en puissance, et interpréter à sa sauce les événements du vaste monde, cela peut déboucher, il faut bien le dire, sur du grand n’importe quoi, comme les délires de certains conspirationnistes sur les attentats du WTC qui vont jusqu’à parler d’une explosion thermo-nucléaire responsable de l’effondrement des 2 tours jumelles,

ou les loufoqueries de certains commentateurs de l’actualité, qui pensent que le tremblement de terre en Haïti a été provoqué par une arme étatsunienne !

Nouveaux horizons informatifs qui libèrent une énergie considérable, mais mutation incroyable qui met en péril le statut même et la fonction de journaliste. La parole sur l’actualité ne vient désormais plus exclusivement d’une caste médiatique, chargée de traiter l’information à destination du citoyen-consommateur, mais par le biais des blogs, sites, forums qui peuplent l’univers virtuel,faisant du citoyen lambda ou de telle association ou groupuscule, un exégète singulier et souvent partisan de la réalité, dont le décryptage n’est désormais plus totalement annexé à ce clergé journalistique ! L’irruption d’Internet remet en cause, d’ailleurs, la pertinence de beaucoup d’analyses sur les médias de masse et notamment sur le leadership de la télévision, pour façonner l’esprit public, comme cela l’était à l’époque pré-internet, et comme l’avait montré Pierre Bourdieu dans son « Sur la Télévision  », un ouvrage de 1996.

L’échec du référendum sur la TCE, en 2005, pourtant soutenu par des télévisions en faveur du Oui, en serait, d’ailleurs, l’exemple le plus frappant, et démontrerait que la fronde des opposants qui avait fleuri sur le net, notamment par le biais du blog d’un certain Etienne Chouard, avait changé la donne et mis à mal la toute puissance télévisuelle !

Aujourd’hui, par le biais du net, le temps et l’espace s’abolissent, et tout est accessible en un clic, passant outre la censure qui s’exerce dans certains régimes, , puisque, aujourd’hui, n’importe quel quidam, peut filmer avec son téléphone portable ou phographier une manifestation, et mettre sa vidéo ou ses photos, dans l’heure même, sur la toile ...comme cela s’est passé lors des dernières manifestations anti-Ahmadinejad, en Iran, lors de la dernière élection présidentielle iranienne.

Aujourd’hui, à la limite, nous sommes plus proches du panoptique benthamien que de la « chambre obscure », et certains, déjà, stigmatisent les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter qui mettent sur la place publique votre vie intime, avec évidemment, l’accord d’utilisateurs insouciants.

Ceux qui stigmatisent la grande manipulation des médias, à longeur de journée, pour justifier, peut-être, leurs échecs politiques, n’ont jamais autant vécu depuis que l’homme est homme dans un monde aussi transparent, où tout se sait, de l’odeur de la petite culotte de la bonne amie du Prince de Galles, au SMS privés envoyés par Sarkozy en passant par les turpitudes diverses et variées des puissants de ce monde !

Avec Internet, désormais, n’importe quel citoyen lambda peut avoir un jour, son heure de gloire, comme avait dit Warhol, et l’histoire des grands de ce monde, souvent mis en scène, par le passé, côtoie désormais l’histoire des sans-grades ...et, ma foi, ce n’est pas plus mal !


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