Dieu et l’Histoire

par Alexiskbacri
samedi 4 octobre 2014

Partons du constat que la condition humaine est insignifiante, que nous sommes un produit de la nature sans plus d’importance que le dernier des moustiques. Mais nous sommes dotés d’intelligence qui nous autorise à réfléchir sur cette condition, réflexion aboutissant justement au constat de notre insignifiance. Dans ce désert de signification, il nous faut donner sens à notre existence et ce fut là le génie des religions et plus exactement du judéo-christianisme. L’homme inventa dieu pour s’extraire de sa solitude indifférenciée, il en fut l’élu et, valorisant la divinité, il se valorisa lui-même. Une telle entreprise d’agreement mutuel dura quelques millénaires jusqu’au temps où l’homme s’aperçut de sa propre supercherie, qu’il était le « créateur du créateur » et s’ingénia à assassiner son dieu.

L’homme pris dès lors à bras le corps son propre destin pour se lancer à la conquête de lui-même en cherchant à dépasser et maîtriser ses déterminismes naturels, se désirant son propre créateur à la place du créateur. Une telle aventure prométhéenne s’inscrivait dans une logique progressiste qui donnait sens et direction à l’histoire humaine. Chacun était invité à prendre part à cette grande avancée collective de la liberté en marche vers ses absolus lumineux. L’insignifiance ontologique était à nouveau reléguée, l’homme prenait sa valeur dans l’histoire collective qui ainsi se substituait à la religion. Délesté des fers et contraintes religieuses par le fait même qu’il disposait des pouvoirs techniques de transformer la nature, l’homme appliqua sa volonté de puissance récemment découverte à révolutionner l’ordre social voire l’être humain lui-même. Le temps tragique des révolutions s’inscrivit dans celui des grandes mutations techniques et économiques devant aboutir à la conquête de la planète et à la mondialisation des échanges.

Aujourd’hui nous sommes devant un double constat d’échec : celui consécutif à la barbarie révolutionnaire et celui de l’achèvement de l’avancée conquérante manifestée par l’épuisement de la nature livrée jusqu’alors à l’appétit insatiable des hommes. Aussi assistons-nous à la fin de l’histoire en tant que mouvement d’avancée de la volonté de puissance appliquée tout à la fois à la révolution des sociétés qu’à transformation technique de la nature. S’ouvre devant nous une grande béance tragique où, après la mort de dieu nous venons d’assister à celle de l’histoire.

Désormais, l’humain des temps actuels se trouve directement confronté à l’insignifiance. Ne plus participer à l’histoire collective renvoi l’individu à sa solitude. Il n’est plus intégré à une transcendance qui le dépasse, l’entraine, donne sens à son existence et pour laquelle il est prêt à des sacrifices. Il doit se replier sur sa sphère privée pour se consommer lui-même, se livrer aux loisirs et plaisirs et perfectionner son ego. La fin de l’histoire signifie que les sociétés sont à la dérive, qu’il n’y a plus de direction collective, d’intégration de l’individu au Tout.

 La logique de l’entreprise libérale peut puissamment se répandre pour occuper tout l’espace social libéré du collectif historique. L’individu, seul, est invité au combat de tous contre tous pour la survie. Il ne s’agit plus de conquérir mais de préserver, de changer l’homme que de le protéger, de transformer les sociétés que de maintenir les acquits, de dépenser sans compter que d’économiser. L’écologie, comme idéologie de la pénurie et de la restriction, participe de ce climat général de lente décroissance alors même qu’elle se présente comme une alternative pour s’extraire de l’impasse économique.

 

Avec cet achèvement d’une certaine histoire, de ce grand mouvement d’expansion terrestre et technique, l’humanité se retrouve sans véritable projet collectif autre qu’assurer sa survie et une répartition plus ou moins équitable des ressources naturelles raréfiées. Une longue phase de l’aventure humaine se termine et on ne voit guère poindre les prémisses d’un nouveau départ.


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