Dieu, une conjecture à traiter par les philosophes, bien plus que les religieux

par Bernard Dugué
vendredi 21 décembre 2007

Dernièrement, ont paru un essai de Jean-Claude Michéa sur le libéralisme, un autre de Christian Salmon sur le conditionnement des gens par le storytelling, enfin une étude savante et universitaire sur le théâtre proposée par Florence Dupont. Le billet qui suit est en résonance avec ces trois livres, mais d’une manière cryptée. Disons que nous en sommes aux vertiges d’une époque où l’on s’interroge sur ce qui nous dépasse, sur ce qui nourrit, inspire l’âme humaine, enfin, ce n’est qu’une hypothèse, basée sur des témoignages divers, recoupant les plus anciens remontant à l’époque védique et ses textes en sanscrit.
La question de Dieu s’est posée à l’homme de manières diverses, selon les lieux et les époques. Les réponses ont été circonstanciées, consignées dans des livres savants de théologie, et proposées dans des versions adaptées au degré moyen de compréhension de l’individu souhaitant pratiquer une religion. Croire est un choix personnel. Le champ de la théologie et de la religion est articulé de manière complexe. On peut très bien croire sans comprendre les subtilités des traités savants de théologie. On peut aussi accéder à une compréhension intellectuelle d’un discours théologique sans pour autant témoigner d’une foi intense, ni d’une croyance certaine.


Le sens commun s’est pendant des siècles contenté de croire ce qu’il y avait dans les Ecritures, les livres de messe, de culte et les enseignements des préposés à la transmission de la religion, imams, rabbins, prêtres, dames catéchistes... Il en a résulté une vision parfois naïve, calquée sur des images et des représentations de Dieu élaborées avec des notions rarement symboliques, parfois allégoriques, souvent prosaïques. Dieu élit un peuple, Dieu assure une place au paradis aux fidèles ayant respecté la loi religieuse, Dieu accueille le bon, Dieu est un être bienveillant vis-à-vis de l’humanité, Dieu est tout puissant, il guérit, mieux que les médecins ; on parle de miracle. Dieu prédestine les êtres. Dieu crée le monde, les plantes, les animaux, les hommes. En fait, la représentation de Dieu a subit les déformations consécutives aux attitudes anthropocentriques. Si bien que Dieu a été, du moins dans nos contrées occidentales, pris pour un être supérieur individué doué de facultés agissantes et morales (voire savantes, cf. l’omniscience divine) Pourtant, ce n’est pas ce que les théologiens ont rapporté dans leurs écrits.
La vérité telle qu’elle se fait jour progressivement dans la grande et belle aventure du savoir humain fait appel à l’expérience et à la théorisation. La connaissance de la Nature s’est faite, peu à peu, par l’exploration expérimentale et la création de modèles formels représentant le cours et la complexité des mécanismes du monde physique et vivant. Quelques règles, quelques lois. L’homme interagit avec une Nature qui se prête à une investigation scientifique, qui est dans la matérialité, la temporalité, les formes, la possibilité d’emprise. Il y a le sujet et l’objet. Une tension, une opposition, une complémentarité qui permet à l’homme de dominer la Nature. Le fait est là, je préfère insister, emprise, domination, voilà le spectre de l’homme face au monde physique, naturel, mais aussi politique. Maintenant, la conjoncture avec Dieu ne passe pas par le champ des objectivités. Si cela était le cas, nous le saurions depuis longtemps. Néanmoins, quelques signes, épiphanies et autres théophanies, témoignent d’une rencontre entre Dieu et les hommes. Ou alors, on pourra aussi admettre que quelques hommes d’une hauteur spirituelle particulières ont été des canaux reliant un ordre divin et le monde temporel des humains. Evoquer justement un ordre divin, voire transcendant, convient mieux à notre époque. Il existe un ordre naturel, alors pourquoi pas un ordre invisible dont les règles et le fonctionnement obéissent à d’autres principes que celui du monde physique et ses créatures vivantes, certaines pensantes et parlantes. Un ordre caché qui se tiendrait derrière l’univers spatio-temporel avec ses photons et ses édifices faits de matière atomisée. Une chose est certaine, la physique contemporaine a trouvé une substance quantique, un vide, qui n’est pas si vide que cela car il contient une énergie non manifeste, faites de processus impliquant matière et antimatière non visible, excepté dans les accélérateurs qui permettent de les faire apparaître de manière très éphémère.
Dieu ne se dévoile pas dans un accélérateur de particules. Il est un élément participant à l’expérience humaine et n’étant pas une entité, le mot et le concept de Dieu ne conviennent pas. Expérience du divin, comme on parle d’une expérience du naturel ou bien sur la nature, avec les moyens scientifiques. L’expérience du divin engage des moyens autres, le sujet, la conscience. Une plénitude de l’âme, pas une division expérimentale qui dissèque le réel à coup de bistouri technologique. En ce cas, la question de Dieu devient une affaire philosophique qui doit être abordée dans un contexte plus que moderne. Plus précisément, il sera question d’interroger une liaison possible ou effective entre le plan de l’immanence et le plan de la transcendance. Une imprégnation divine du sujet qui, par réciprocité, imprègne également le divin.

La mécanique quantique est une métaphore éclairante car elle établit que la Nature ne peut pas être observée d’un point de vue strictement objectif. Le dispositif observant influe sur le phénomène observée. Sans doute en est-il de même sur l’expérience du divin dont la saveur dépend de celui qui l’accomplit. Présentée ainsi, la quête du divin n’a rien d’une contrainte religieuse encadrée par des pratiques et orientée vers des fins assignées, mais se comprendre comme une expérience humaine intégrale, librement décidée, conduite, expérimentée, revue, corrigée, pensée, produisant du sens, une conscience, une connaissance, une transformation. De ces choses là, la philosophie peut parler et questionner. Même les transposer dans un sens politique. Une parenthèse please !

((( Vivre c’est lutter disent les darwiniens, philosopher c’est connaître disent les sages. Vivre c’est gagner plus disent les nationaux-capitalistes, exister c’est trouver la voie, le sens, et la sagesse disent les radicaux-révolutionnaires. ))) « Dieu » n’est pas aussi puissant que l’homme ne le pense, et sa puissance n’est pas là où elle se trouve. « Dieu » est un être libre, qui a laissé l’homme s’emparer de son aura pour commettre de basses œuvres. « Dieu » ne se dit qu’avec des guillemets. (Dieu) ne se comprend qu’entre des parenthèses.
Le Dieu des Modernes, c’est un peu le Léviathan de Hobbes appliqué au monde moral. Il est évident que la théologie chrétienne avec son Dieu personnel a joué le rôle parfait pour accompagner les institutions chrétiennes dans leur tâche de moralisation des sociétés. Ce faisant, avec l’épreuve du temps et les déficiences anthroposophiques, l’Eglise a trahi les hommes en voulant les aider, les accompagner, avec les « égarements politiques » de la part des dignitaires religieux, mais aussi, il faut le reconnaître, la perfectibilité de l’humain dans un monde aux crises récurrentes. La trahison de l’Eglise a précédé la trahison de l’idéal communisme par le soviétisme entre autres régimes calamiteux. L’homme est destiné à s’égarer puis se retrouver, marcher dans l’erreur puis chercher la vérité. Est-ce une loi universelle de la condition humaine ?

Le pourquoi de cette question, on le verra resurgir dans différents contextes portant sur la nature humain, l’existence d’une transcendance efficace, le rôle d’une transformation des sujets, l’implication dans l’atténuation du chaos mondial, réfléchi dans le chaos mental des âmes qui, par répercussion, alimentent en retour le chaos social. La question de la transformation impliquant une transcendance relève de la verticalité. L’homme change dans son être. De cela, la philosophie peut rendre compte. Comme, par exemple, le trop méconnu Ken Wilber. Les textes anciens évoquent ces choses-là. On reparlera, s’il y a lieu, d’un fulgurant livre de René Daumal consacré à la poésie védique et au sanscrit. Sans oublier les ennéades de Plotin et la mystique spéculative (suprarationnelle) des penseurs d’islam (réhabilités par Henri Corbin). Pour quelques généralités, on ne saurait que conseiller un livre qui n’a pas eu la faveur des recensions publiques, mais qui, pourtant, est d’une précieuse utilité pour qui veut jouer le jeu de la connaissance et voir comment les philosophes ont traité cette question de Dieu, chacun avec ses inspirations et les données de son époque. Petit dictionnaire des philosophes de la religion, chez Brepols. C’est évidemment une pirouette de ma part, puisque la philosophie de Dieu ne peut contourner la philosophie de l’expérience de l’homme avec Dieu et donc, d’une certaine manière, de la religion. Cela dit, ce livre traite aussi de la manière dont les philosophes ont spéculé, raisonné et théorisé sur Dieu.
Ce livre ne dit rien sur l’avenir des spéculations sur le divin au XXIe siècle. Une page reste à écrire. Un Dernier Testament, sans doute aussi fulgurant que l’Ancien et le Nouveau. Un livre qui offrira le dernier terme à cette quête, autant intellectuelle qu’expérientielle, de la Transcendance. Chut... soyez heureux, les fêtes approchent !


Lire l'article complet, et les commentaires