Dieudonné, révélateur d’une France qui va mal

par Guillaume Navarro
vendredi 10 janvier 2014

L’affaire Dieudonné incarne la dérive de tout un pays. Elle est révélatrice du malaise profond qui gangrène la société depuis des années. Etant amateur de spectacles humoristiques, et ayant vu tous les spectacles de Dieudonné plusieurs fois sans pour autant être un disciple, je crois pouvoir parler du sujet en toute connaissance de cause, et tenter d'être objectif.

Au d’ssus c’est l’soleil
« Au d’ssus c’est l’soleil » et le doigt pointé vers le ciel. Avec la quenelle, c’est l’autre symbole de Dieudonné, désignant une élite qui domine le peuple.
Je considère que Dieudonné était, humoristiquement parlant, le meilleur de tous (vivants). Je ne suis pas le seul à le dire, la plupart de ses pairs loue son talent. Idéologiquement, je me rapprochais même parfois de ses idées du début : anti-communautarisme, anti-impérialisme, anti-lobby, etc. A travers son travail, Dieudonné poursuivait un idéal d’humanisme, d’universalisme et de justice. Son souhait le plus cher, c’était de voir les hommes faire tomber les frontières communautaires, cause de tous les conflits terrestres, et tenter de vivre ensemble dans la paix et le respect de l’Autre. Je trouvais qu’il pointait les absurdités de notre monde avec talent, douceur, et dérision. Tout le monde en prenait pour son grade, incitant son public à ouvrir les yeux. Mais après de multiples affaires, Dieudonné s’est radicalisé face au lobby israélien, jusqu’à devenir un militant. Un militant antisioniste et "antisystème". Il s’appuie sur sa propre expérience pour montrer que le lobby sioniste a la mainmise sur la France, en monopolisant les pouvoirs politiques, financiers, et médiatiques. Aujourd’hui, Dieudo a changé, il n’est plus un humoriste. C’est un militant qui tente de faire passer ses idées en invoquant le rire. Son public aussi a changé. Je l’ai vu deux fois en représentation, notamment lors de son dernier spectacle en décembre à la Main d’Or, et je peux affirmer que ça ressemble plus à un meeting qu’à un spectacle. Quand certains rigolent des vannes, d’autres poussent des hurlements d’approbation. Quant au spectacle en lui-même, Dieudo a clairement baissé de niveau. Son écriture est faible et son discours est invariablement tourné vers la critique d’un "système" gangréné par les sionistes. Mouais. Dieudo ne me fait plus autant marrer, et sa focalisation, voire sa parano à l’égard des juifs fait que je me lasse du personnage. Je suis persuadé que Dieudonné aurait pu être le Coluche 2.0, un mec qui rassemble le peuple et le pousse à l’insoumission. Son geste de la quenelle aurait pu être le symbole de cette lutte par le rire. Aujourd’hui, trop d’ambiguïtés dans son discours, dans l’image qu’il veut donner. Le public peut avoir du mal à saisir ces ambiguïtés, à discerner la provocation de l’idéologie, et cela peut s’avérer dangereux, car peut engendrer une radicalisation mal fondée, que Dieudo ne maîtrisera plus. Ce Dieudonné militant des trois derniers spectacles ne m’enchante plus, je suis nostalgique du Dieudonné humoriste.
 
Au constat unanime des élites "Dieudonné est antisémite", je réponds par la question : "Comment définit-on l’antisémitisme ?". Je pensais que l’antisémitisme, c’était la haine d’un individu ou d’un groupe d’individus animé par un motif unique : l’appartenance à la communauté juive. Or Dieudonné se focalise, de manière quasi-paranoïaque c’est vrai, sur l’impact du lobby israélien dans notre pays. C’est différent non ? Je pose réellement la question, car toute cette polémique me fait soudainement douter. Je précise que je me détache de tout ça, je ne suis évidemment pas antisémite, et je ne pense pas qu’on puisse réduire les maux de la France à un seul et même lobby.
 
En revanche, là où Dieudonné est intéressant (ou plutôt "était intéressant"), c’est dans sa volonté d’éveiller l’esprit critique de son public. Encore que chez certains, ce n’est pas une réussite, car après avoir eu des œillères sur le côté, ils ont désormais des œillères au milieu et ne voient que sur les côtés… Mais fondamentalement, Dieudonné encourage à s’interroger sur tout. Et c’est en cela que l’affaire Dieudonné est révélatrice.
 
Dieudonné, révélateur d’un désordre politique. Voulant masquer ses échecs à répétition et son incapacité à gérer la crise, la classe politique donne une importance démesurée à une affaire qui n’en vaut pas la peine. Une grande partie des français ne sait pas comment finir le mois, le chômage s’abat sur le pays, et nos dirigeants s’agitent pour un humoriste. Le but est clairement de détourner le regard du peuple. Les français ne doivent pas réaliser les politiques sont responsables de leur misère. Les français ne doivent pas se souvenir des promesses électorales évaporées. Les français doivent oublier les affaires de corruption et d’évasion fiscale. Les français ne doivent pas savoir que leurs élus ont abandonné le pouvoir à la finance, aux banques, à Wall Street, au FMI, aux commissaires européens, etc. bref, à des gens non-élus. Les français ne doivent pas savoir que, par conséquent, leur vote ne sert plus à rien, et que la démocratie n’est plus que l’ombre d’elle-même. Et ça, Dieudonné l’humoriste le dénonce.
 
Dieudonné, révélateur d’un malaise médiatique. Bien sûr, les politiques agitent le spectre de l’antisémitisme, et naturellement, les médias de masse s’en emparent. Pendant que des milliers d’emplois sont menacés à La Redoute ou chez Mory Ducros, et pour éviter au peuple de réfléchir à sa propre misère, on lui inflige une overdose de quenelle. D’un geste subversif potache, auquel on peut coller la même définition que celle du bras d’honneur, on en fait le symbole de l’antisémitisme du XIXe siècle. Jackpot ! Ça fait vendre, c’est parfait. Tant pis pour l’intelligence du public. Pour pimenter le débat, le téléspectateur assiste à la grande parade des Bernard-Henri Lévy, Jakubowicz et autre "grands défenseurs des valeurs républicaines" sur les plateaux télé, ne laissant aucune place à l’autre camp pour équilibrer la balance dans un souci d’objectivité. Faut-il rappeler que l’objectivité est un des piliers du code déontologique des journalistes ? Il faut y voir la manifestation du déclin des médias, incarné par TF1 et BFM TV, qui pratiquent la politique du sensationnalisme et de l’abêtisation dans le seul but de vendre. Les français ne doivent pas savoir ce qui se passe dans les hautes sphères du pouvoir. Les français ne doivent pas comprendre que les grands médias ne sont pas indépendants, car ils appartiennent à des grands patrons de multinationales qui fricotent avec les responsables politiques. Les français ne doivent pas s’apercevoir que Serge Dassault, actuellement suspecté de corruption, est à la fois sénateur, vendeur d’arme, et patron du Figaro. Et ça, Dieudonné l’humoriste le dénonce.
 
Dieudonné, révélateur d’une oligarchie. Et oui, tout ce petit monde, où se côtoient politiciens, journalistes et grands patrons, vit bien ensemble, en harmonie. Cette élite dirige tranquillement le pays, et s’efforce de mettre en retrait un peuple trop encombrant. Elle vit dans son cocon, en dehors de toute réalité, et satisfait ses petits intérêts. Bien évidemment, le mode de pensée de l’élite doit se répercuter sur le reste du monde. Les intérêts des puissants doivent devenir ceux de tous. Ainsi, la pensée unique s’installe. Travaille, consomme, paye, et ferme ta gueule. Le monde que nous proposent Hollande, Sarkozy, Bolloré, Lagardère, Dassault, la Licra, TF1, BFM TV, et autre détenteur de la Vérité, tout le monde doit s’y plier sans rechigner. Et d’ailleurs, personne ne rechigne, car personne ne s’en rend compte. C’est ça le tour de force de ce fameux "système". Jusqu’au jour où un agitateur vient donner un coup de pied dans la fourmilière. Mais il ne faut pas que la masse l’écoute, donc il faut le bâillonner – tant pis pour la liberté d’expression –, en faire un paria, un marginal, un "cerveau malade". Et ça, Dieudonné l’humoriste le dénonce.
 
Oui, aujourd’hui, le Dieudonné militant me bassine avec ses juifs. Mais Dieudonné l’humoriste, ce n’est pas que ça. Dieudonné l’humoriste, c’est une âme révoltée qui a refusé de se soumettre au pouvoir. Dieudonné l’humoriste, c’est le symbole d’une France qui souffre, et qui a besoin de se révolter pour s’en sortir. Dieudonné, reviens !

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