Dieudonné : une atteinte ambulante ŕ l’ordre public

par Ramila Parks
samedi 21 mars 2009

La succession d’annulations des spectacles de Dieudonné pour atteinte à l’ordre public frôle l’abus de droit et sonne comme l’intrusion de l’Etat dans la vie privée au nom d’un nouvel ordre moral...

La censure n’est possible que sur une minorité et uniquement par ceux qui ont le pouvoir d’être des censeurs (J. Bricmont)

Il n’y a pas de lois contre la haine, il y a seulement des gens que ceux qui ont le pouvoir de faire des lois haissent (N. Chomsky) 
 

En droit il existe un principe simple pour avoir raison : c’est de parler le plus souvent du même sujet dans un prétoire pour qu’ il devienne le motif d’une plainte récurrente et recevable quasi systématiquement. Assorti d’un bon plan de com médiatique, et voilà que le moindre débat devient déjà hors-sujet. Une manière de soulager les juges de plaidoieries redondantes et ainsi créér une opinion qui servira de référence.

Dans ce contexte, on peut se demander dans certaines affaires litigieuses médiatisées, qui à intérêt à se défendre en criant au loup avec autant de véhémence et qui a intérêt à documenter la jurisprudence en même temps que les médias ? Qui accuse qui ? Quels sont les objectifs poursuivis d’une utilisation zélée de la loi par les spécialistes du genre commis d’office ? Est-ce le seul moyen, même discutable de contribuer à l’ordre public ou plutôt un moyen efficace de produire la pensée unique par la psychose des procès à répétitions ?

Les condamnations récentes de personnalités médiatiques politiquement incorrectes et en particulier l’acharnement dont est victime l’artiste Dieudonné, montre que de tout évidence, en France, et maintenant en Belgique, il existe une volonté affichée du pouvoir d’interdire une certaine pensée en permettant un usage abusif de la loi. A tel point qu’on peut d’ores et déjà établir une liste des habitués du prétoire mais l’humoriste est incontestablement la tête de liste des têtes de turcs de la bien-pensance.

Les unes après les autres les salles qui pourtant souvent acceptent de conclure des contrats avec une société de production, sur la base de sa notoriété, et en connaissance de cause décident depuis le 26 décembre d’annuler leurs engagements sous des prétexes fallacieux.

Tout le monde, la planète entière, sauf peut-être les pygmés, sait ce qui s’est passé en France le 26 décembre 2008...Cette date mémorable, la veille des bombardements de Gaza, un humoriste adulé l’a choisie pour remettre le prix de l’infréquentabilité au négationniste Faurisson, plus connu pour ses thèses révisionnistes sur les chambres à gaz que celles sur l’île de Gorée...Mais le comique Dieudonné, mélange historico-génétique de descendants d’esclaves et de victimes de l’occupation nazie, ne lui en a pas tenu rigueur. Ce que tout le monde officiel semble lui reprocher aujourd’hui.

Depuis ce jour , Dieudonné est une atteinte ambulante à l’ordre public à lui tout seul...Plus craint que Ben Laden et le fantôme de Saddam réunis, où qu’il aille, les mairies et les loueurs de salles dégainent le fameux "trouble à l’ordre public" pour faire interdire les spectacles et le renvoyer dans sa forêt. En lisière de celle-ci, cet ordre public, principe de droit communautaire existe pour garantir à l’état social civilisé," la paix, la sécurité et la sûreté". Sûreté pour laquelle on ne peut raisonnablement considérer que Dieudo soit une menace. En droit administratif, jusqu’au IXème siècle, l’Etat se devait uniquement d’assurer à l’individu ou à la collectivité, "la sécurité, la salubrité et la tranquilité" sans trop se préoccuper de moralité. Aujourd’hui à cette obligation de paix matérielle le législateur a introduit une notion morale qui implique la pénalisation en particulier, de tout comportement portant atteinte à la dignité humaine.

Une célèbre affaire, celle dite du "lancé de nain" avait défrayée la chronique française dans les années 90. Un show dans lequel une personne de petite taille (très petite vu l’enjeu) devait être lancée de l’un à l’autre, fut interdite par arrêté municipal au motif que la personne de petite taille ne pouvait être considérée comme un simple objet à lancer sans que cela ne constitue une atteinte à la dignité humaine et donc un trouble à l’ordre public. Soit.

Cependant, cet exemple permet aussi de montrer que sur une notion aussi subjective que la morale, il est difficile de légiferer dans l’intérêt de la victime, surtout si celle-ci n’a rien demandé pour défendre son droit personnel. En l’occurence le nain a porté plainte contre le maire pour l’avoir privé de son travail. Le trouble à l’ordre public principe soi-disant garant de moralité est surtout un fourre-tout qui se discute à longueur de procès malsains où le droit individuel, pourtant impératif priortaire de la justice, est gravement compromis. Pourtant ce droit prime sur la règlementation.

Si Dieudonné a largement démontré tout le long de sa carrière qu’il n’a jamais troublé quoique ce soit sinon les consciences endormies, c’est le rire populaire, déclenché par les sketchs de l’humoriste, jugés immoraux par certains, qui est le prétexte à l’exercice du monopole de cette atteinte licite au droit de l’individu. Droit de rire pour nous, droit de travailler pour l’artiste. Le plus paradoxal aujourd’hui c’est que ceux qui ont abusé de l’exercice en interdisant les spectacles au nom d’un trouble qui n’existe pas, tendent maintenant à l’inciter en menaçant par exemple, de considérer l’usage d’un car sur la voie publique comme une nuisance ou les spectateurs comme un attroupement d’opposants qu’il faudra maîtriser par la force s’il le faut, comme le suggère le bourgemestre de Saint-Josse dans les communiqués de presse, avant d’ajouter qu’il enverra la facture à la société de production si nécessaire. Il faudra quand même qu’il fasse attention à ne pas faire tout ce qui est utile pour rendre cela nécessaire. Maîtriser une éventualité qu’on voudrait voir se réaliser pour prouver qu’on avait raison de l’anticiper, c’est un discours de pompier pyromane. Le comble quand on doit maintenir la salubrité et la tranquilité. Moralité paradoxale.

Effectivement, les mairies doivent prendre les mesures pour éviter les débordements, mais en aucun cas, leur mission ne leur permet de juger moralement un individu, et d’utiliser leur pouvoir pour montrer leur mécontentement ou affirmer leur opposition farouche entrainant ainsi des dérives médiatiques qui peuvent représenter par elle-même une atteinte l’ordre public.

Libre aux gérants de l’ordre et la morale de déclencher le plan alerte rouge antinucléaire quand le bus de Dieudonné s’immobilisera à un stop. Il faut aller jusqu’au bout de sa logique, mais il faudra assumer les frais d’une logique ridicule, et surtout nuisible moralement.

Ramila


Crédit photo : carvy


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