Dis papa, c’est quoi la loi Gayssot ?

par Patrick Berger
samedi 16 avril 2011

 

Nous sommes le 10 avril 2011 ; mon fils vient d’avoir deux ans. La journée est ensoleillée et le goûter d’anniversaire improvisé bénéficie d’un petit coup de pouce du ciel. La luminosité est si extraordinaire qu’un de mes amis, photographe amateur, saisit avec brio ces instants fugaces. Les clichés révèlent en clair-obscur, les visages radieux des enfants s’amusant dans la cour. À l’ombre d’un hangar, Aurélien se prend pour un motard et ne boude pas son plaisir. Assis fièrement sur un tricycle motorisé, il ajoute au bruit de l’engin une imitation personnelle de l’accélération d’une moto. À deux pas de là, sa copine Lucille tente une cascade sous le regard débonnaire du petit Maxime. Assis sur un banc, je contemple ces scènes d’enthousiasme. L’insouciance qui en émane contraste avec les réflexions qui m’assaillent depuis quelques heures. Plus tôt dans l’après-midi, je m’étais éclipsé pour un tout autre rendez-vous.

Profitant de la sieste familiale, je suis parti assister à une conférence sur le thème de la liberté d’expression. L’orateur, Paul-Éric Blanrue, est une vieille connaissance. Historien et écrivain, Paul-Éric s’illustre par un caractère entier. Grande gueule, opiniâtre et volontiers railleur, il sait se rendre aussi bien sympathique qu’antipathique. Tout dépend de qui est sa cible. Et sa cible principale, depuis quelques mois, est la fumeuse loi Gayssot.

Cette loi, digne des pires régimes totalitaires, érige en vérité officielle le verdict du tribunal de Nuremberg. Quiconque conteste cette doxa sur le sol français est voué à la mort sociale. La peine de prison encourue pour délit d’opinion reste symbolique à côté des amendes et autres « compensations » mirobolantes versées aux soi-disant associations de lutte contre le racisme ou l’antisémitisme. Plusieurs dizaines de milliers d’euros vous seront réclamées. Mieux vaut ne pas être smicard quand on souhaite être tricard ; Vincent Reynouard en a fait la douloureuse expérience. Tombé sous le coup de la loi Gayssot, le tribunal a condamné ce révisionniste à un an de prison ferme et au versement de quelques soixante mille euros. Paul-Éric Blanrue a été l’instigateur de la pétition réclamant sa libération et l’abrogation de la loi dont Reynouard a fait les frais.

Avec un sujet comme celui-ci, il est facile de se tailler un réputation « sulfureuse » à bon compte. À lire entre les lignes d’un Alain Soral passé de la critique radicale du système au soutien à Marine Le Pen, Blanrue ne serait qu’un « épicier » ou un « écrivaillon » en quête de gloire. Sa critique de la loi Gayssot et sa dénonciation sans retenue des sionistes en tout genre, de Dominique Strauss-Kahn à Marine Le Pen en passant par Nicolas Sarkozy, ne serait qu’un outil de promotion personnelle.

Comment cette curieuse thèse d’Alain Soral, s’accommode-t-elle des évènements qui sont arrivés ce jour-là ? Invité pour parler de son dernier ouvrage, « Sarkozy, Israël et les juifs », Blanrue n’a pas tenu le crachoir pour pousser le chaland à acheter la petite vingtaine de livres proposés à la vente dans une salle de cent cinquante personnes venues pour la dédicace. À peine monté à la tribune, il surprend l’assistance. Contrairement à un Robert Ménard qui se contente de gloser sur la liberté d’expression en arpentant tous les plateaux de télévision, Blanrue donne son micro à un invité inattendu : Vincent Reynouard, tout juste sorti de prison.

Les hérauts de la liberté d’expression comme Robert Ménard ou les critiques du sionisme à géométrie variable comme Alain Soral auront-ils jamais le cran d’imiter Blanrue ? Que peut-on faire de mieux que donner la parole à ceux qui sont mis en prison pour leurs propos ?

Mais la surprise ne s’arrête pas là. La salle découvre que le premier des révisionnistes à avoir été incarcéré en France détonne par son calme et sa jovialité. Pire, il présente sa condamnation comme une bénédiction. Devenu insolvable et expert en séjour carcéral, il n’affiche aucune crainte et témoigne d’une détermination sans faille. Ironie des lois sur l’Histoire, elles transforment les révisionnistes audacieux en martyres bienheureux !

En écoutant attentivement Reynouard, je reconnais en lui l’enseignant de talent. Le discours de cet ingénieur et ancien professeur de mathématiques s’adresse à la curiosité de son auditoire. Les anecdotes savoureuses et inspirantes se succèdent. Que l’Etat lui envoie un commandement de payer vingt mille euros et il leur retourne la somme en billets factices. Une mention motive et accompagne le colis : « à Histoire fausse, monnaie fausse » (sic). Plus malicieux encore, il fonde la « Cour non militaire universelle » qui, en juge et partie, casse sa condamnation prononcée en vertu de la loi Gayssot. Ce tribunal d’exception, fondé ex nihilo, s’inspire du tribunal de Nuremberg, lui-même monté de toutes pièces par les vainqueurs de la guerre. Reynouard pousse le parallèle et la malice jusqu’à conclure que toute relance de paiement par un agent de l’Etat sera jugée et condamnée à la peine de pendaison par cette même cour de justice improvisée. Les esprits chagrins n’apprécieront guère ; je ne les rejoins pas. Il y a, chez cet homme, une espièglerie enfantine qui force la sympathie.

La conférence terminée, il est temps pour moi de rejoindre le goûter d’anniversaire du fiston. Sur le chemin du retour, le long des quais de Seine, mes réflexions de jeune père et les impressions laissées par ce que je viens de vivre se mélangent. L’éducation passe par la donnée d’un cadre, de règles et de contraintes. N’importe quel parent vous le dira, une contrainte a plus de chance d’être acceptée par l’enfant s’il en comprend la logique et l’intérêt. Je m’imagine devoir expliquer à un Aurélien plus âgé, la raison des lois. La conduite en état d’ivresse est proscrite car elle met en danger ceux qui peuvent croiser la route du soiffard. Le caractère criminel des agressions, des viols, des meurtres suit la même logique : protéger les victimes et assurer la sécurité. Mais de qui ou de quoi protège la loi Gayssot ? Et de qui assure-t-elle la sécurité ?

Une idée avancée par Reynouard me revient ; la loi Gayssot ne se justifie que si le nazisme est le degré ultime de l’abomination. Elle définit indirectement le mal personnifié : un petit homme avec une moustache à deux doigts. Chacun peut alors se sentir du côté du « bien » pour peu qu’il se dise horrifié par les actes et les discours des nazis. La bonne conscience s’achète facilement.

Mais cette bonne conscience a un prix. Elle vous fait accepter que la France bombarde et tue des Serbes, des Irakiens, des Libyens et peut-être bientôt Iraniens au prétexte de vaincre ces nouveaux Hitlers que seraient Milosevic, Hussein, Kadhafi ou Ahmadinejad. Elle englue l’esprit critique le temps pour lui de démasquer la supercherie des faux massacres ou des tortures imaginaires. Ce temps de recul est celui qui est nécessaire aux vrais rapaces pour tuer autant d’agneaux que nécessaire à l’assouvissement de leurs intérêts géopolitiques. La voilà la réponse ! La loi Gayssot protège une arnaque de domination : le mensonge de la diabolisation.

En pensant à cette escroquerie, je me demande comment en affranchir mon fils quand une scène surgit dans mon esprit. Aurélien me regarde dans les yeux et m’interroge innocemment :

« Papa, c’est vrai ou pas, ce que dit Nuremberg ?  »


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