Discours de Macron nous invitant sans coercition à la sobriété

par Jean-Luc Picard-Bachelerie
vendredi 7 octobre 2022

Emmanuel Macron a discouru ce mercredi 5 octobre pour nous appeler à la sobriété et nous expliquer ses réussites. Voici mon analyse anti-néolibérale.

« Et donc, très clairement, cette situation macroéconomique qui existe à partir de la fin de l'année 2021, puis le déclenchement de la guerre, ont fait peser sur notre Europe une situation inédite, où ce qui paraissait jusqu'alors être des évidences, c'est-à-dire que nous ne manquerions pas de ces ressources fossiles et que nous pourrions mener notre transition climatique au rythme où nous l'avions décidé, a été remis en cause. »

Autrement dit, jusque fin 2021, quoique depuis 50 ans, les scientifiques alertent les gouvernants que les ressources ne sont pas inépuisables et que nous vivons dans un monde fini, notre président qui a moins de 50 ans d’âge, pensait que « nous ne manquerions pas de ces ressources fossiles et que nous pourrions mener notre transition climatique au rythme où nous l'avions décidé ». Nous avons là comme un aveu des raisons pour laquelle la convention citoyenne pour le climat a fait pschitt : Macron pensait que « que nous pourrions mener notre transition climatique au rythme où nous l'avions décidé ». En utilisant le « nous », il embarque tout le pays dans sa pensée irresponsable, y compris, les membres de la convention citoyenne et les millions de Français qui attendent avec fébrilité un plan écologique.

Mais il n’y a pas que cela. Depuis plus de 22 ans que Poutine est au pouvoir et qu’il a consciencieusement assujetti d’anciennes républiques soviétiques en y installant de gré ou de force des dictateurs à sa botte ; que l’OTAN n’a jamais respecté les accords passés avec Gorbatchev en 1991 de ne pas approcher les frontières anciennement soviétiques ; que depuis 2014, les accords de Minsk ne sont pas respectés sans que l’UE n’agisse pour qu’ils soient respectés, Macron, président depuis 5 ans, n’a jamais anticipé l’éventualité d’un problème avec la Russie et donc les approvisionnements russes.

« Et donc, nous avons aujourd'hui un objectif qui est d'abord de sécuriser la fourniture de gaz et, le plus vite possible, d'accélérer notre transition pour pouvoir nous en passer » Comme tout bon néolibéral opportuniste, il attendait une bonne raison pour aller vers la transition. De quelle transition parle-t-il : écologique ou énergétique ? Serait-ce de mauvais esprit d’annoncer que c’est juste d’une transition énergétique dont il parle ? Ce qui suppose qu’il pense qu’un jour, nous pourrions reprendre librement (donc sans retenue selon le principe libéral) notre consommation énergétique.

« Dès le début de la guerre, nous avons réagi en Européens. » Bah oui, comment la France, dans l’état ou le néolibéralisme l’a mis, pourrait-elle réagir seule devant ce problème étant donné qu’elle a mis ses œufs dans le même panier. Rappelons que Macron est président depuis 5 ans et qu’il était aux affaires depuis 2012 et ministre de l’Économie depuis 2014. Qu’a-t-il fait sinon vendre les bijoux de famille et rendre la France bien plus dépendante qu’avant qu’il soit là ?

« L'agenda, qu'on appelle en bon français " Fit for 55 ", est cet agenda que nous avons porté durant la Présidence française, en passant de nombreux textes. C'est celui qui nous permet d'accélérer la sortie des énergies fossiles.  » Bien entendu, Macron pense que l’uranium est une énergie propre et non fossile ce qui justifie sa politique pro nucléaire. L’uranium est une ressource naturelle, donc épuisable et que son extraction est une source de pollution grave… pour ne pas parler des dangers de la production de déchets radioactifs.

« Il prendra néanmoins, nous le savons, plusieurs années, mais la situation actuelle le confirme et le conforte, c'est-à-dire que c'est un agenda par lequel nous allons électrifier nos usages, aller vers plus de renouvelables, de nucléaire, de sobriété énergétique.  » Macron pense donc que d’ici plusieurs années les choses auront gentiment attendu que l’agenda soit réalisé pour évoluer. Non. D’ici là, le réchauffement climatique aura provoqué d’autres crises qui seront les étapes d’un effondrement qui a commencé depuis plusieurs dizaines d’années et qui va s’accélérant. Surtout si on continue à vouloir maintenir la croissance.

« Le troisième pilier, de contingences, a consisté dès le mois de mars à décider de diversifier nos sources d’énergie, y compris fossiles, pour faire face à ce risque géopolitique.  » Un risque s’anticipe pour l’éviter. C’est à cela qu’on reconnaît une politique éclairée et responsable. Et la guerre de Poutine à l’Ukraine était largement prévisible connaissant le bonhomme, ce qu’il a déjà fait, sa nostalgie de la Grande Russie, le fait qu’il ait organisé la Russie pour être le plus autonome possible en cas de guerre. Tous les services secrets le savaient.

« Pour faire face à cela, […] A cet égard, l'Europe est en avance de quelques semaines [.] Là aussi, nous sommes en avance sur les objectifs...  » Autrement dit, tout l’art de transformer un sauve-qui-peut en réussite. Nous sommes juste dans la merde par la faute d’une irresponsabilité portée par 27 gouvernements tous d’accord pour une politique néolibérale qui permet à quelques-uns de s’enrichir sur le dos des peuples. Se mettre sous dépendance russe a dû rapporter un max à nos oligarques. Mais « l’Europe est en avance » et « nous sommes en avance » et c’est tant mieux.

« Le deuxième élément clé de cette stratégie pour passer l'hiver, c'est de sauver l'énergie que nous pouvons sauver : c'est la sobriété énergétique. » Après les politiques d’austérité, voici la politique de la sobriété. Ça change quoi pour nous, ça change quoi pour nos nuisibles élites ?

« C’est faisable par une série de gestes simples, en étant d’abord dans une logique volontariste, si je puis dire, et pas coercitive, en appelant à la responsabilité de chacun et en partageant toutes les informations qui sont les nôtres. On est déjà en train d’économiser de l’énergie par rapport à nos comportements habituels parce qu’elle coûte un peu plus cher, il faut bien le dire, et parce que tout le monde est en train d’intégrer cette nécessité. » Voici une belle phrase néolibérale. Inverser la responsabilité : en lieu et place d’un plan d’envergure nous voilà comme lors de la crise Covid à bientôt nous faire accuser de ne pas être assez sobres. Mais qui exactement ne seront pas sobres et ne changeront rien à leur comportement ? Ce sont ceux qui n’ont absolument pas besoin d’économiser et qui polluent la terre. Pour exemple, les 20 personnes les plus riches du monde génèrent en moyenne 493 fois la quantité de CO² émise par un Américain moyen et 1 648 fois celle d’un Français. Parmi ces 20, nous avons chez nous Arnault et Bettencourt. Bernard Arnault a compilé, en mai, 18 trajets pour quarante-six heures de vol et 176 tonnes de CO2 rejetées. C’est plus que 17 ans d'empreinte carbone d'un Français moyen ! »*. Franchement, ces gens-là sont-ils «  en train d’intégrer cette nécessité » ? D’autant que Macron, en vrai libéral veut une « logique volontariste, et pas coercitive », autant dire qu’il ne faut rien attendre de gens qui gagnent plusieurs Smic en une heure de temps ?

Cela veut tout de même une légère digression sur la conception de la liberté chez nos libéraux. Quelqu’un qui ne peut pas payer une facture d’électricité ou de chauffage a-t-il la liberté de choisir de vivre comme un milliardaire ? Non ! C’est le milliardaire qui a la liberté de vivre comme un pauvre. Mais a-t-on déjà vu cela ? Et comme le ruissellement vers le bas ne fonctionne pas, il n’y a aucun espoir qu’ils fassent le même effort que nous et même pas proportionnellement. Des gens qui font la course pour rafler tout l’argent qu’ils peuvent au détriment des salaires des travailleurs qu’ils emploient ne peuvent pas s’intéresser à nos viles contingences. Le libéralisme c’est la liberté des riches, qu’on se le dise !

« Donc, vous le voyez, en quelque sorte, c’est par gradation. Le premier étage de la mobilisation générale, c’est la sobriété volontaire. Et pour cela, il va y avoir une déclinaison secteur par secteur, un travail de communication du Gouvernement, et puis on va essayer aussi que chaque personne, que chacun de nos compatriotes ait des outils. » Naturellement, on coupe d’abord l’électricité aux heures creuses chez les riches, on enlève l’eau chaude dans les sanitaires des riches et on chauffe les bureaux des riches à 19°. On me dit que je me trompe. Ah bon ! La vérité c’est qu’on va couper l’électricité aux heures creuses à ceux qui n’ont pas un rond pour payer leur facture électrique et, tant qu’à faire, on en profite pour taper encore un peu plus sur les fonctionnaires. C’est vrai qu’ils ont eu une telle augmentation cette année qui ne leur fera perdre que quelques pour cent de pouvoir d’achat…

« Si je devais simplifier les choses, l’Allemagne a besoin de notre gaz et nous, nous avons besoin de l’électricité produite dans le reste de l’Europe et en particulier en Allemagne. Cela n’a rien avoir avec le conflit en Russie, mais c’est lié à un phénomène conjoncturel qui est que, aujourd’hui, le parc nucléaire installé en France est face à des défis techniques qui ont conduit le superviseur de l’Autorité de sûreté nucléaire à demander des travaux à EDF. » Ah anticipation quand tu nous tiens…

Blablabla… Je passe pas mal de paragraphes pour en arriver à cela qui n’étonnera personne : « A moyen terme, ça veut dire dans les prochains mois, il nous faut continuer à avancer à marche forcée, d'abord pour produire davantage et produire davantage de sources alternatives d'énergie et tout particulièrement d'électricité, en France et en Europe. » Bref ! Travaillons plus et serrons-nous la ceinture en col roulé.

« Voilà les quelques mots que je souhaitais donner, en quelque sorte les axes que je souhaitais dresser pour vous expliquer quelle est la stratégie à la fois française et européenne en la matière. » C’est ça, c’est ça… Ah stratégie quand tu nous tiens !

« Puis, en parallèle de ça, évidemment, la Première ministre aura aussi à lancer des exercices structurants pour le pays : la stratégie nationale bas carbone, la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui seront dès cet automne lancées pour pouvoir déboucher sur des exercices législatifs fin d'année, début d'année prochaine. Nous aurons l'occasion d'y revenir de manière claire. Tout ça aussi au niveau européen donnera lieu à des travaux de la Commission dans les prochains jours, qui seront explicités dans le cadre du collège de la Commission. Et évidemment, tout ça sera travaillé lors du prochain Conseil européen à Prague et nous permettra d'avancer là aussi en Européens. » Donc en matière de démocratie, c’est entre Macron, la première ministre et le Conseil européen. Au fait, les députés là-dedans, ils sont où ? C’est vrai qu’ils n’ont plus le doigt sur la couture. Fait chier !

 

* Qui sont les milliardaires qui polluent le plus ?

Classement Forbes des milliardaires

Les trajets du jet de Bernard Arnault

 

Image : fb-dark-mode


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