Discussion avec un national-socialiste

par Elric Menescire
lundi 13 juin 2022

Le communisme n'est pas un état de choses qu'il convient d'établir, un idéal auquel la réalité devrait se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement resultent des données préalables telles qu'elles existent actuellement. 

​​​​​​-Marx

 

Ce week-end j'étais invité à une soirée entre amis. 

J'y ai fait la connaissance de quelqu'un d'intéressant : Hamid (le prénom a été changé), 48 ans, fils d'émigré algérien, qui a vécu son enfance dans une des cités les plus difficiles de Marseille.

Hamid est fier d'avoir pu en sortir : il me dit pratiquement de but en blanc qu'il a voté Zemmour à la présidentielle, et qu'il compte refaire pareil pour les législatives de demain, dimanche 12. Il faut préciser que je n'ai pas abordé d'entrée le terrain politique avec lui, c'est plutôt lui qui a très rapidement bifurqué là-dessus, après les banalités d'usage.

Hamid me provoque constamment : il sait que je suis "gauchiste", mais il n'avait sans doute pas pris la mesure du niveau de gravité de ma maladie. Je suis bien plus à gauche que ce qu'il croyait au début : après m'avoir successivement traité de "socialiste", puis de "woke", il se rend compte que je suis bien plus à gauche que cela. Je suis même tellement à gauche que je pourrais le toucher s'il tournait la tête sur sa droite.

Je suis donc en phase terminale, et c'est un choc pour lui. Il pensait se faire un gaucho-bobo-ecolo-woke, il tombe sur un rouge vif de la pire espèce, dont le cuir est bien, bien trop dur pour être mangé et avalé tout cru du premier coup. 

Je lui fais ainsi bien comprendre que la caricature socialiste ou woke est une conception implantée dans sa tête pour lui éviter de trop réfléchir sur la vraie nature du concept de Gauche radicale. Il n'en démordra pas : je me plante, j'ai quinze ans de retard, je n'y comprends rien, je suis déconnecté des réalités. Je lui fais remarquer qu'en tant que travailleur, je connais bien la réalité du travail et de "la valeur travail", alors que lui, qui vient de m'avouer qu'il va bientôt se retrouver au RSA, je pourrais lui retourner ce compliment de "déconnexion"... Il esquive. 

Nous avons une discussion sur le souverainisme (" je ne suis pas souverainiste, sinon je comprendrais le concept de drapeau, et j'y adhèrerais" vs "la souveraineté doit d'abord être sur le travail, pas sur des concepts"), puis sur l'économie, à bâtons rompus, mais souvent très intéressante.

Nos constats, parfois, se rejoignent : le pays va mal. Le monde va mal. La peur grandit, les gens font l'autruche en attendant l'orage.

Nous parlons Histoire : plusieurs fois il convoquera l'Histoire, les faits historiques, se basant en cela sur la culture zemmourienne, mais quand je lui fais remarquer que zemmour tord les faits, et qu'il n'est pas très honnête, il évacue. Tout comme quand moi je convoquerai l'Histoire, à de multiples reprises au cours de notre discussion, en bon marxien que je suis : il évacuera à chaque fois, en disant que "l'histoire c'est du passé, allons de l'avant". C'est la nouvelle version de l'histoire pour les nuls : quand ça m'arrange, sinon on évacue.

Hamid admet finalement assez facilement que le programme de la FI était "le meilleur, et de loin", à la présidentielle, ce qui ne l'a pas empêché de voter pour Zemmour. "Melenchon, comme tous les gauchistes, rêve". 

Je préfère rêver que cauchemarder, chacun son truc. 

Il reconnaît également avoir voté pour un candidat très riche, qui n'a jamais connu la faim ni la galère, car "il veut foutre le bordel et se débarrasser de tous les traîtres".

Je lui fais remarquer que si son champion passait, il serait un des premiers sur la liste : au RSA, arabe, il coche beaucoup de cases...il serait là première victime du "bordel" mais au contraire, cela le renforce dans ses convictions. Il me fait penser à ce Philippin qui avait milité, et voté pour Rodrigo Duterte, et qui s'est fait assassiner quelques jours après son élection, au motif qu'il était un toxicomane (ce qui était faux), et que le président Duterte avait promis "la mort pour tous les trafiquants". Rien n'y fait. C'est pas pareil. 

Quand j'aborde le sujet des oligarques, et que je cite Bolloré, grand promoteur et financier de Zemmour, il ne s'énerve pas : il dévie juste le sujet avec habileté, en refusant littéralement de prendre ce fait en compte.

Les contradictions s'enchainent : je risque, selon lui, "de me faire sodomiser par ceux que je défends car je suis aveugle". De qui parle-t-il ? De ses anciens coreligionnaires bien sûr : les "'racailles des cités".

C'est marrant, parce que moi je pensais défendre "les travailleurs", rien d'autre. A aucun moment je n' ai dit que je défendais "les racailles des cités". Il zappe. 

Et puis, concernant la pratique sodomite, chose qui semble le terroriser, en ce qui me concerne je pense que c'est déjà (hélas) le cas pour 99,9% de français en ce moment, la seule différence entre moi et cette multitude macroniste, c'est que je refuse de la subir en souriant. Je préfère y mettre du gravier, c'est plus douloureux pour celui qui s'y risquera... Il ne relève pas le trait d'humour, ce sera d'ailleurs une constante tout au long de la soirée : il refuse même de sourire, rien n'y fera, car pour lui c'est très grave ce qui se passe. Il discute avec un ennemi politique, il faut absolument saisir la gravité de ce moment.

Je lui dirai à de multiples reprises que tout ça n'est pas très grave, que nous avons de la chance de passer un agréable moment, chez des amis communs, mais rien n'y fera. Je lui avoue même que je suis rompu à la rhétorique, et qu'en bon "fils de p*te de gauche" , je ne lâche jamais rien dans un débat, même si c'est avec le sourire. Je lui propose plusieurs fois de passer à autre chose s'il le souhaite, car je ne veux surtout pas plomber l'ambiance de la soirée : rien n'y fait, il tient absolument à continuer, devant le (petit) public qui écoute cette discussion, et est assez sidéré il faut le dire.

Sur le terme "travailleurs" qu'il vient encore d'employer donc...Il ouvre grand les yeux quand je lui révèle qu'il vient de citer 4 fois ce terme dans les 10 dernières minutes, en parlant de lui-même. Et qu'il se définit donc comme travailleur, malgré qu'il soit au RSA, et qu'il ait la haine contre ceux qui provoquent le racisme dont il a été, et est victime constamment -j'ai oublié de vous dire : hamid a été victime de racisme durant toute sa vie. Son oncle a même été assassiné dans une ratonnade en 73, et les assassins (des "socialistes affiliés aux Guérini") n'ont jamais été inquiétés. C'est un évènement traumatique pour lui et sa famille, malgré qu'il n'était pas né lors des faits, c'est un squelette énorme dans le placard famlial, ce qui se comprend.

Il évacue aussi très rapidement ce concept de travailleur, car il n'en saisit pas toutes les implications, surtout quand je lui fais remarquer qu'il est marxiste sans le savoir : un travailleur se définit non pas par l'emploi qu'il tient, mais par l'activité qu'il exerce constamment. Même en dehors de l'emploi. Et le fait qu'il soit au RSA n'enlève rien au fait qu'il s'occupe de ses 3 enfants, et cherche activement un boulot, ce qui constitue déjà 2 emplois non rémunérés...Il le reconnaît, mais il refuse, bien sûr, de voir ce que cela implique. Nouvelle esquive.

Arrivé à ce point de nos discussions, je comprends qu'il cherche des responsables, et qu'il pense les avoir trouvé. Il a d'ailleurs en partie raison. Les promesses de la fausse gauche ont dupé beaucoup, beaucoup de monde, et on se rend tellement peu compte des dégâts qu'ont fait Mitterrand, Hollande et compagnie...C'est pour cela qu'il est très étonné quand je démonte devant lui successivement le wokisme, puis les socialistes, puis que je lui révèle que je suis plutôt pro armes, et même souverainiste. Sa vision très binaire des "gauchos" dans laquelle il souhaitait me caser, vision forgée à grand coup de vidéos et de tweets émanant d'individus aussi grotesques que Papacito ou Einthoven, se voit mise à mal assez rapidement.

Le gaucho-bobo-écolo que je serais ne tient pas la comparaison quand je lui révèle que pour moi, Mélenchon n'est pas un modèle ni un héros, mais juste un Keynésien qui veut réguler le capitalisme alors que je souhaite purement et simplement l'éradiquer. Mélenchon est bien, bien trop mou selon moi. Mais il constitue la meilleure alternative crédible au macronisme par les temps qui courent...Ce qui ne m'empêchera pas de tenir la guillotine le temps venu.

Avec joie.

C'est ce qu'on appelle la stratégie.

Il esquive de nouveau.

Nous nous retrouvons alors sur le terrain de l'effondrement : nous sommes tous les deux preppers, c'est à dire que nous pensons que d'ici quelques années, la situation ne sera carrément plus la même que maintenant, et qu'il faudra être un minimum préparé pour survivre. Ce que nous tentons de faire, chacun de notre côté.

C'est juste que les constats divergent : lui est devenu complètement nihiliste, alors que "je rêve encore".

C'est à ce moment que nous revenons sur le concept de souveraineté, et de nation : en ce qui me concerne, comme Todd (qu'il me dit admirer, et lire, ce qui est rare chez lui car il m'avoue ne pas beaucoup lire), je suis pour la souveraineté économique. 

Lui pense plutôt en termes de nation : il n'y aurait de souveraineté que sur le drapeau, la nation, et les individus en tant que peuple. Puis il me lâche de but en blanc qu'il se considère comme "national-socialiste".

J'évite de tomber dans le point Godwin en lui faisant remarquer que vu ce qu'il vote, et ce qu'il me dit depuis tout à l'heure, cela ne m'étonne pas plus que cela, mais que je pense qu'il ne saisit pas vraiment toutes les implications de ce qu'il dit. Un Arabe national-socialiste, il fallait la trouver celle-là ! Mais je respecte ce point de vue, puisque c'est le sien, et que nous discutons assez cordialement après tout... Je pense donc que comme il estime que "je ne suis pas un vrai souverainiste", car je ne comprends pas ce que c'est... Il n'est sans doute pas "un vrai national-socialiste" car il ne sait pas ce que c'est. 

Il me rétorque qu'au contraire, pour lui c'est très clair : socialisme, et nationalisme, c'est la bonne solution, la bonne vision face aux problèmes de notre société.

Il me réaffirme aussi que selon lui les idéalistes comme moi seront écrasés par ceux qu'ils prétendent défendre (encore cette rengaine). Je lui dis que c'est peut-être sans doute vrai, mais que pour moi, l'idéalisme consiste à chercher des responsables parmi les plus faibles(les étrangers), plutôt que parmi les plus forts(les oligarques). Ce qu'il fait constamment. 

Avec encore de l'esquive : les oligarques "ne sont pas le problème" selon lui. Les étrangers, oui.

Je lui fais remarquer que je n'idéalise pas plus (contrairement à lui) quand je parle des étrangers : j'en ai recueilli et aidé un certain nombre, et pas que des ukrainiens (en fait pas un seul ukrainien) . Ce qui ne m'empêche pas de recommander à des gens qui voudraient visiter Marseille d'éviter à tout prix certains quartiers, et d'être très prudent quand je me balade, où que je sois. Est-ce que cela fait de moi un gauchiste exceptionnel ? Certainement pas, mais un citoyen qui se veut responsable, avec ses défauts bien sûr, mais conscient du chemin, oui. Peut-être que je me plante ?

Cela le renforce dans ses convictions : je ne vois pas la réalité, alors que lui oui. Je devrais être dans son camp...je fais erreur, et c'est dommage, selon lui.

Nous parlons alors économie : il hait les spéculateurs, mais m'avoue avoir boursicoté, et posséder un portefeuille de cryptomonnaies... Mais bien sûr quand je lui demande plus d'explications "je ne comprendrais pas s'il prenait la peine de m'expliquer", donc nous passons à autre chose. C'est fou le réel, hein. 

Pour finir, je lui re cite ce qu'a dit Zemmour à de multiples reprises, et qui lui a d'ailleurs valu condamnation devant les tribunaux à de multiples reprises : "Les mineurs isolés comme le reste de l'immigration [...] n'ont rien à faire ici : ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c'est tout ce qu'ils sont » "Tous ?" "Oui, tous !".

Si je reprends cette citation de son champion, comme tout ce qu'il a pu dire depuis des années, alors je ne peux pas être "dans son camp", malgré ce qu'il me demande, c'est juste impossible.

Il me soutient que Zemmour n'a jamais dit cela.

Je lui enjoins de se renseigner, ce qu'il ne fera sans doute pas, car "il sait que c'est faux".

Il est 3 heures du matin : nous nous quittons, fatigués, en nous faisant la bise.

Je te salue, Hamid, car, comme je te le disais, "nous ne nous allierons sans doute jamais, comme tu le souhaiterais, mais nous sommes tous deux "des gens de bonne volonté".

Nous aimerions que les choses changent.

Et c'est déjà pas si mal...


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