Disparition d’un créateur d’avions fantômes

par morice
samedi 9 juillet 2011

C'est un petit bonhomme a la voix stridente qui vient de mourir, à 95 ans bien tassés. Un petit bonhomme plutôt timide, même, et introverti, mais qui en imposait. Quand il arrivait sur un chantier de construction d'avion, c'est simple, personne ne mouftait. Un homme plutôt décidé : le jour où il a appris que l'on venait de passer le mur du son, il a foncé dans le bureau de son patron en criant qu'il voulait dessiner le premier bombardier supersonique, à l'époque où se traînait encore dans le ciel un monstre sans avenir, à moteurs à pistons devenu véritable cauchemar de plombiers (le cauchemardesque B-36 "Peacemaker", bien sûr, pour ne pas le nommer !). Le petit homme était un visionnaire, acariâtre et pas facile à vivre, qui, comme quelques uns, avait compris que désormais, après 1947 et le premier bang sonique de Chuck Yeager, tout se passerait au dessus de 1000 km/h. Sinon le double, y compris pour les bombardiers. Les autres avions pouvaient partir à la ferraille !

 Persuadé du fait, notre petit homme prit son crayon et dessina illico ce qui devait être pour lui le bombardier de l'avenir. C'était trop tôt, beaucoup trop tôt. On rejeta ses esquisses en se moquant de lui. Il faut dire qu'il ne faisait pas très militaire : pour lui, d'imaginer des avions ayant une telle puissance œuvrait pour la paix, les adversaires ne pouvant plus que se tenir à carreau. Pour l'instant, on ne discutera pas de cet argumentaire qui nous semble assez fallacieux, mais bon, c'est au moins ce qu'il avait longtemps clamé. Pourtant, elles avaient de l'avance sur leur époque, ses esquisses : notre dessinateur, qui marchait décidément dans le sens du vent de l'histoire, avait choisi un appareil plus petit que ceux de la concurrence, doté d'une aile triangulaire et de quatre réacteurs. Au courant des travaux allemands et de ceux de Whitcomb, il lui avait déjà assigné une "taille de guépe" non dénuée d'élégance. Enfin pas tout de suite : avant d'en arriver au bon design, de janvier 1950 à septembre 1953, il avait épuisé quelques cahiers de croquis, commençant par un bi-réacteur et hésitant à en positionner plus tard quatre, par fuseaux accouplés ou par fuseaux simples tous accrochés sous les ailes.

En fait, il avait tout compris, notre bonhomme : l'avenir était au plus léger possible, le poids étant l'ennemi des premiers réacteurs, on le sait, de faible puissance. Son autre idée phare, il la verra aussi rejetée plus tard encore. Au moment où un fort lobby industriel n'avait de cesse de promouvoir du lourd, en poussant un appareil inutilement complexe (et en essayant de le faire décoller de porte-avions, en l'occurrence le F-111, qui tuera un des plus beaux projets anglais -le BAC TSR-2), notre homme à part s'était fait l'avocat du chasseur léger, auquel personne ne croyait alors. Son idée, elle était simple : un chasseur-bombardier facile à construite, pas spécialement innovant, mais le plus léger possible, à entretien facile, par de nombreuses trappes de visite, des éléments préfabriqués interchangeables, une entre d'air simplifiée, et une géométrie alaire permettant des atterrissages relativement plus lents qu'avec une aile delta. L'idée était de pouvoir en vendre beaucoup, tant il serait facile à construire, ou à entretenir (sauf pour les cas spéciaux !), tout l'inverse de l'énorme gabegie que sera le F-111, auquel il participa, contraint et forcé. Il ira même jusqu'à proposer la meilleure visibilité possible, avec une bulle intégrale à l'avant : bref, vous l'avez compris, il avait déjà imaginé... le F-16. Prosaïquement : entre les rêves les plus fous et les réalités nouvelles de l'économie ou des marchés,  Robert H.Widmer, c'était son nom, avait choisi la Wolkswagen de l'air du moment : un petit avion, pas nécessairement le meilleur dans des domaines particuliers (la vitesse, notamment) mais l'avion bon en tout, adaptable et modifiable à souhaits (et Dieu sait s'il en a connu depuis des adaptations et des excroissances  !). Marcel Dassault, qui proposera en concurrence son Mirage F-1 en sera pour ses frais, lors du "contrat du siècle" en chasseurs. Il pouvait bien se le permettre, notre bonhomme : il avait déjà réalisé sa danseuse personnelle, qui avait coûté fort cher et volé somme toute assez peu : notre designer était en effet également celui du B-58 Hustler, un des plus beaux engins volants jamais faits. Une pure merveille, côté dessin, et une catastrophe question fonctionnement. On ne peut pas tout réussir, quand on fait dans le complexe, et en ce sens, le bombardier capable de Mach 2 avait en effet visė trop haut. Avec le B-58, Widmer tenait sa revanche : n'hésitant pas à dire ce qu'il avait à dire, il avait à plusieurs reprises été accusé par sa hiérarchie d'insubordination.

En fait, pendant plusieurs mois, on entretint le suspens dans les magazines. Les américains, plutôt sûrs d'eux, annonçaient avant la sortie leurs nouveaux appareils, non sans en cacher parfois des éléments : le Starfighter, par exemple, premier à posséder des "souris" dans ses entrées d'air, sera montré avec celles-ci obstruées, cachées, dissimulées ou largement retouchées. Pour l'avion de Widmer, on fera de même, en le présentant surtout beaucoup plus grand qu'il ne sera en réalité. Admirez-donc dans mon magazine favori ce que ça donne. A côté on a mis le F-102, qui avait eu tant de mal à passer le son, avant que Whitcomb ne lui invente sa taille de guêpe, et l'avion dessiné faisait vraiment gigantesque : une sorte de B-36, mais à aile delta et à réaction. Si bien que quand il sortit, avec ses 29,5 mètres de long seulement et son envergure d'à peine 17,3 mètres, ce fut une réelle surprise. D'après le dessin de la revue, comparé au F-102 qui faisait ses 20 mètres de long, il aurait dû en faire... près de 50 ! Dans ma revue, de propagande rappelons-le, l'avion du futur était présenté comme.... grand : "l'appareil sera probablement similaire à l'intercepteur F-102A, qui apparaît également sur la couverture de ce numéro. Le B-58 sera un avion énorme et lourd, bien qu'il soit conçu pour voyager à une vitesse supérieure à celle d'une balle de revolver. On dit que sa soute à bombes est assez grande pour recevoir une bombe à hydrogène. Les quatre carénages de réacteurs que les artistes ont placé sous les ailes pourront transporter un ou deux moteurs chacun, suivant la dimension de ceux-ci. Ces carénages sont placés à l'extérieur de l'avion au lieu d'être noyés dans les ailes, car les techniciens américains considèrent que cette disposition présente plus de sécurité". Voilà pour la taille. Pour les matériaux, ce sont ceux qui seront utilisés également par le XB-70 (visible ici sur un de ses vestiges)  : "Parmi les nombreuses innovations que l'on trouvera sur le « Hustler », figure une utilisation étendue d'aluminium et d'acier nid d'abeille dans la structure de base. La construction en nid d'abeille possède un rapport puissance-poids très avantageux, tout en conservant sa résistance presque intacte aux hautes températures. Le B-58 opérera vraisemblablement à des vitesses où se pose le problème de l'échauffement par frottement de l'air." Ce qui laisse entendre qu'il franchira largement Mach 1..., avec en prime ce que Von Karman avait prédit à l'avant : "Un appareillage radar spécial a été perfectionné pour permettre au bombardier B-58 de lâcher ses bombes avec une précision acceptable même à une vitesse possible de 1600 kilomètres à l'heure et à une altitude de quelque 16 000 m au-dessus de la terre. Il a également été dit que quelques-uns des premiers B-58 à entrer en production seront munis de systèmes de brouillage électronique. Ces dispositifs pourraient être des perfectionnements des bandes de feuilles métalliques larguées par les bombardiers au cours de la dernière guerre pour brouiller l'image reçue par les radars ennemis, mais ils pourraient aussi être des systèmes entièrement nouveaux empêchant les chasseurs ou les projectiles téléguidés ennemis de se guider électroniquement sur le bombardier". Bref, ça allait dépoter, les russes étant largement distancés.

Il est vrai également qu'il avait de la gueule, celui-là, avec sa taille de guêpe, son nez aplati et son train d'atterrissage à diabolos de roues petites dimensions (huit, sur chaque jambe de train, en raison de la faible épaisseur de l'aile) très haut qui le faisait ressembler de face à un insecte géant. Quand il montre le bout du nez du hangar pour la première fois le 11 novembre 1956, tout le monde s'extasie sur sa ligne. C'était une révolution, véritablement, la deuxième après le B-47 Aux côtés du B-36 et même du B-52, franchement, c'était tout autre chose. A peine sorti (queue en avant), guidé par ses Starfire et Delta Dagger d'accompagnements, le voilà enrôlé dans la propagande de la Guerre Froide  : parti de Tokyo, ravitaillé en vol, il rejoindra Londres en passant largement au dessus du Canada : 8000 miles (12800 km), couverts en 8 heures, ravitaillements compris. L'avion avait beau être superbe, et très "pointu", il était surtout très délicat à piloter, et fort éprouvant pour l'équipage, car il n'était pas à l'abri des accidents... du type Concorde : lui aussi ruinait régulièrement des pneus, qui perçaient ensuite aussi ses réservoirs... Et parfois ce damné train se repliait sur lui-même, faute à l'éclatement d'un pneu, obligeant les pilotes, une nouvelle fois, à des prouesses de Concorde, grand spécialiste du genre également. Celui-là, en tout cas, était fait pour la vitesse ! Vraiment  ! 2132 km/h, soit mach 2, à 19 248 m d'altitude : une "grosse Cadillac", dira un de ses pilotes, resté admiratif devant toute une série de records remportés. Dont le trophée Blériot et le trophée Blériot.  Un documentaire en trois épisodes présenté par James Stewart en personne (comme quoi les acteurs d'Hollyood faisaient aussi dans la propagande !) relate ici ses exploits (I, II et III). Etonnant document, où l'on voit son arrivée au Bourget après son vol New-York-Paris, "exactement là où Charles Lindbergh s'était arrêté", la plaque commémorative en attestant.

L'atterrissage étant son point le plus délicat, à vrai dire ; d'où de nombreuses répétitions d'approches, très cabrées.  Sous la pression de la guerre froide, qui vient de connaître son pic maximum à Cuba, les pilotes deviennent... MITO. A savoir qu'ils s'entraînent à décoller le plus rapidement possible par lots de plusieurs avions. "MITO" signifiant Minimum Interval Take-Off ! Mais pour bombarder, il fallait pouvoir larguer une bombe, que le fuselage étroit empêcher d'emporter : l'idée vint alors de l'enfermer cette fameuse bombe-nucléaire-dans un réservoir supplémentaire, presqu'aussi long que son fuselage, largué avec elle, pour garder un maximum d'aérodynamisme. Elle y était installée à l'aide d'une grue.  L'avion devenant ainsi par la même occasion bombardier à basse altitude, testée ici par le "Little Joe" pour la première fois. Voilà le B-58 devenu bombardier de pénétration à très basse altitude (500 pieds-152m), une mission très éprouvante pour les appareils... et leurs pilotes (ce qui expliquera sa mise à la retraite anticipée). En cas de pépin, l'équipage pouvait toujours s'évacuer dans d'étonnantes cellules qui se refermaient autour du siège éjectable (visible ici). Un procédé que reprendra le B-70 Valkyrie (et qui tuera l'un de ses malheureux pilotes, resté coincé dans une coque à moitié refermée !). En cas d'attaque, il pouvait aussi compter sur son canon arrière. Enfin, c'est ce qui avait été prévu : il était en fait inutilisable pour un avion si rapide ! Ce canon arrière défensif était un dinosaure déjà, l'ultime vestige de la mode de la guerre précédente. Aucun avion russe ne pouvant le suivre, il se montrera en effet inutile.

Mais la concurrence des missiles intercontinentaux aura raison de ses performances extraordinaires ; comme le montre aussi le documentaire dans son troisième épisode. L'avion aux super-capacités ne restera en service que huit années. Gros dévoreur de pétrole et resté délicat à faire voler, on lui trouva un remplaçant sans pilote : une fusée Atlas, ou une Titan. L'artisan de ce changement radical s'appelait le général Schriever, dont la famille d'origine allemande était venue s'installer aux USA en 1927. Un ingénieur devenu en 1954 le premier commandant de l'Air Force Air Research and Development Command's Western Development Division, installée à Inglewood, en Californie. Celui qui s'était longtemps opposé à des miliaires obtus tel Curtis le May, et qui prônait la nomination de "crânes d'œuf" scientifiques au sein des armées. « Laissez-moi vous dire que ce sont les "crânes d'œuf"  (les intellos) » qui nous sauvent -. Tout comme ce sont des "crânes d'œuf"  qui ont écrit la Constitution des Etats-Unis, ce sont des "crânes d'œuf"  dans le domaine de la science et la technologie, de l'industrie, dans l'art de gouverner, ainsi que dans d'autres domaines qui forment la première ligne de défense de la liberté," avait-il écrit un jour où des collègues l'avaient un peu trop cherché sur le sujet. Le problème avec Schriever, c'est qu'en poussant ses missiles, il bloquait tous les espoirs d'un autre crâne d'œuf, appelé Widmer !

Le succés du B-58, dont les russes n'avaient aucun équivalent, à l'époque propulsa cependant son auteur à la tête de General Dynamics, qui avait absorbé Convair. Mais le patron de l'entreprise était déjà devenu invisible, et semblait mener un bien étrange rythme de vie. Sa maison était gardée depuis quelque temps 24H sur 24, et il se rendait régulièrement dans d'étranges bâtiments, pour y tenir des rendez-vous avec des personnes qui n'étaient jamais les mêmes, ou s'inscrivait sous un faux nom pour embarquer à bord d'un avion d' une ligne intérieure. Il s'était mis à hanter les tunnels d'essais, mais il était impossible de savoir à quoi il travaillait. Des signes qui ne trompaient pas. Quand on lui demandera des années après s'il avait travaillé à des "black projects", et même des "extreme black projects", il répondit avec un léger sourire et une mine entendue  "j'ai vécu les projets extrêmes"...

Car dans la pénombre de ses ateliers secrets, notre chercheur s'était mis en tête de faire tout d'abord transporter autre chose sous le ventre de son bombardier qu'une bombe déguisée en réservoir. L'idée lui était venue de tenter l'expérience de l'avion parasite, chargé d'aller collecter les images de l'URSS et du site de Kaspoutin Yar, notamment, à la place des U2 qui se faisaient désormais abattre par des missiles SAM. Sa solution première était complexe, avec un avion gigogne, composé d'un avant piloté et d'un arrière automatisé. Le projet est baptisé "SuperHustler", le B-58B, et avec lui on change de catégorie : c'est du ramjet, des tuyères à la Leduc, et les vitesses visées de l'ordre de Mach 4, le double de ce que fait déjà le lanceur... Si Curtis leMay, l'écraseur de Tokyo et de la Corée rejeta l'idée, tout obnubilé par la mise en place de sa veille journalière en l'air à base de B-52, un organisme fut très vite attiré comme le papilon vers la lampe : la CIA, qui rêvait d'espionner les russes dans de meilleures conditions qu'avec l'U2 (ou des ballons, encore massivement utilisés à l'époque !). Pas décontenancé, Widmer leur poposa un autre engin, toujours accroché sous le Hustler : le Fish. Doté lui aussi de deux ramjets (des Marquardt RJ-59), et de deux réacteurs conventionnels pour se poser, sur un diabolo avant et des skis, façon X-15. L'avion volant à 4200 km/h, Widmer envisagea de doter ses parties chaudes de vitro-céramiques. En découpant leurs arrêtes d'aluminium en dents de scie, pour absorber les ondes radars : depuis on en est toujours à se demander si le génial Kelly Johnson n'aurait pas "emprunté" quelques idées à Widmer, dont celles des bordures d'ailes de son SR-71, un Widmet qui semble bien y avoir pensé avant lui. 

Puis, la fin du Hustler approchant, il proposa une version automatique, plus petite, dont la forme est très voisine des tous derniers projets de ramjets : Widmer a toujours eu plus de 30 ans d'avance. Mais une fois le Hustler retiré du service, en raison de la fatigue de sa cellule qui n'avait pas supporté les bombardements en rase-mottes, il se retrouva sans avion porteur pour son projet : il était temps pour lui de se remettre à la planche à dessin...

Alors il reprit ses crayons, pour dessiner un engin encore plus extraordinaire, qui serait propulsé par les deux réacteurs-ramjets qui allaient équiper le SR-71. Un avion à aile delta, surnommé par Widmer Kingfish, qui annonçait une autre révolution à venir. Un avion piloté, avec à bord des hommes à nouveau enfermés dans des capsules (et qui pouvaient y piloter en manche de chemise !) mais au look tourmenté : tout le dessus de l'appareil est à pans coupés inclinés, ses sorties de réacteurs sont plates, et se prolongent par un long becquet arrière, le fond de l'avion est plat, l'aile est en delta,et en matériaux, tous leur pourtour est recouvert de céramique. Les entrées d'air sont rectangulaires et bordées elles aussi de matériaux absorbant les ondes radars. Une maquette aluminium de positionnement fut même construite : elle présente beaucoup de surfaces planes façon F-117, bien avant qu'il ne soit construit (lui-même issu du prototype de 1977 Have Blue). Une photo de sa maquette, testée sans ses bordures d'ailes en céramique, et montée à l'envers pour un test de radar, une fois retournée, donne une drôle d'impression d'appareil... pouvant devenir viable, avec des entrées d'air façon Foxbat russe.

Widmer avait dessiné, avant même qu'il ne soit construit par son concurrent, un F-117 mais capable de voler à 4 fois le son ! L'engin était magnifique, et possèdait au moins deux décennies d'avance. Les responsables de l'USAF, à qui on proposera le projet en concurrence avec le SR-71 des Skunkworks choisiront ce dernier. Mais comme on le sait, les crédits secrets n'ont pas encore révélé tous leurs détours. Pendant des années, et aujourd'hui encore,semble-t-il, les contrôleurs de la tour de contrôle de Las Vegas n'on eu qu'un mot à la bouche : "fast mover". Et ce, alors qu'aucun SR-71 ou A-12 n'était dans les parages. Un engin qui se déplaçait très rapidement dans le ciel (d'où son surnom), et dont ils durent tenir compte dans la sécurité de leur aéroport. A part que lorsqu'ils appellaient sur les fréquences de l'armée, on ne leur répondait jamais. Quel engin autre que le SR-71 aurait pu être ce "fast mover"  ?

 

Or, en mars 2000, j'avais acheté ce numéro (ci-contre) d'Aircraft dont les pages centrales parlaient "d'Aurora Sighted", à savoir de la traque, autour de la base 51, d'un de ces "fast movers". En fait de "sighted", pas de photo (il devait aller trop vite !) mais une description et un beau dessin. D'un bidule triangulaire, à deux ailerons et à aile à fond plat, le corps de l'appareil plus rond que le Kingfish. Celui-ci aurait-il frayé avec le fuselage d'un SR-71 pour devenir un "Aurora", autre monstre mythique dont on verra bien un jour la tête, on l'espère ? Toujours est-il que cela reste probable, à voir les millions de dollars qui ont été versés dans ce genre de projet dont le grand public ne devait rien savoir. En 1988, le Congrès US allouait encore 30 milliard de dollars pour la recherche et le développement d'armes secrètes soit davantage que le budget entier de l'Angleterre en défense ! Sachant que le F-117 a effectivement volé, lui, de fortes spéculations demeurent donc sur la réalisation ou non du Kingfish : le projet a bien été officiellement abandonné au milieu des années 60.... mais les "black projects" n'ayant jamais cessé, il a très bien pu être continué sous un autre déguisement budgétaire : notre homme n'a pas cessé ses habitudes après la fin du programme, rencontrant toujours les mêmes personnes mais dans des endroits toujours différents : "il vivait encore les projets extrêmes", dont le Kingfish faisait partie, à coup sûr... 

Notre homme travaillera aussi sur le F-111, cette autre danseuse coûteuse, et dessinera même le premier missile de croisière Tomahawk en 1977 : poussé par sa recherche du poids minimal, il avait fini par supprimer le pilote et fabriquer un engin entièrement automatique fonctionnant avec un radar de terrain, et révolutionnant une nouvelle fois les guerres modernes. De 1980 à 1997, on en fabriquera plus de 4 200, dont une bonne partie sera utilisée pour les premières heures de la Guerre du Golfe. Des engins "pour apporter la paix", (?) encore, selon ses paroles de début de carrière, ce dont je doute fort. En tout cas, il est parti sans avoir rien révélé de ses travaux secrets... preuve, pour moi, que son Kingfish a peut être bien eu plusieurs vies. Tenu par le secret, à 95 ans, le génial designer a tenté de nous faire comprendre, je pense, que son ultime projet avait... vécu, lui aussi.


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