Dites-nous, M. Ramadan…

par Théodore Vasseur
lundi 3 décembre 2012

Ils ont de la chance, les Anglais. Chez eux, dès qu’un Méchant lève la tête, James Bond l’élimine. Nous, en France, cela fait 10 ans qu’on se farcit le même !

J’ai nommé Tariq Ramadan, tenant du titre depuis ce débat contre Nicolas Sarkozy en novembre 2003, où Ramadan exprimait son opposition à la lapidation des femmes dans les pays musulmans, et proposait un moratoire afin d’ouvrir un dialogue et de convaincre ses interlocuteurs. Mais comment ! répondit Sarkozy. Un moratoire, un dialogue, convaincre ! Mais c’est ignoble ça, ce qu’il faut, c’est, euh, taper très fort du poing sur la table, ha, ça leur apprendra !

Dès lors, l’opinion de la France était faite : Ramadan voulait dialoguer avec les lapidateurs, donc il était subrepticement d’accord avec eux, quoi qu’il prétende, CQFD !
 
Le sport national consiste donc, depuis, à dévoiler le « vrai » visage de Ramadan. Derrière le discours humaniste et tolérant se cachent forcément de machiavéliques desseins ; certes, on ne peut pas (encore) le prouver mais on le SAIT, d’ailleurs tout le monde le dit, alors, hein, qu’a-t-on besoin de preuves.
 
Eric Zemmour a attaqué par la droite. Curieux débat à front renversé, où, de « l’Occidental » et du « Musulman », c’est l’Occidental qui se raidit dans le dogme, allant jusqu’à excommunier le Conseil d’Etat lui-même « qui s’éloigne de la Tradition Française » dont Zemmour est le seul interprète autorisé, et le Musulman, polyglotte et cosmopolite, qui prône l’ouverture, le scepticisme et la pluralité d’opinions.
 
Ensuite, c’est Caroline Fourest qui s’y est collée, attaquant par la gauche. Elle s’était armée jusqu’aux dents, elle avait même écrit « le » bouquin sur Ramadan : « Frère Tariq »… Et la pauvrette fut, selon la plaisante expression d’Eric Naulleau, « éparpillée façon puzzle  ».
 
Et puis ce furent FinkielkrautMinc et tant d’autres, tous armés de la même volonté farouche d’être « celui qui réussirait enfin a démasquer Ramadan », et qui tous s’en revinrent bredouilles.
 
« Ah oui », dit-on alors d’un air entendu, « c’est qu’il est très intelligent, Ramadan ». Et ça, l’intelligence, on s’en méfie, dans le pays de Descartes !
 
Tout cela pourrait n’être qu’une triste illustration de la pauvreté du débat national, asphyxié par « l’effet Tchernobyl » qui arrête les idées nouvelles aux frontières, nous livrant aux ratiocinations d’une vingtaine d’« intellectuels », toujours les mêmes.
 
Et pourtant, il y’a bel et bien un problème de l’Islam.
 
Selon les médias, tout est simple : il y’a les « modérés » et les « fondamentalistes ». Jamel le sympa et Ahmadinejad le cinglé. Les kébabs et les pains au chocolat.
 
Et selon que vous êtes « multiculturaliste » ou « islamophobe », vous avez le choix entre « l’immense majorité des musulmans aspirent à vivre en paix » ou « les islamistes sont en train d’envahir l’espace public ». Rincez, secouez, répétez, ad infinitum. Ca anime les plateaux télé, ça vend des magazines, ça remplit des urnes, pourquoi voudriez-vous que ça cesse ?
 
Mais pendant ce temps, on esquive soigneusement la question centrale : qu’est-ce que l’Islam, que disent le Coran et la Sunna, ses deux textes sacrés ? Question explosive, on sait seulement que la « bonne » réponse est : « je respecte toutes les religions », et surtout, ne m’en demandez pas plus, attention danger !
 
Eh bien mettons les pieds dans le plat, parcourons le Coran : pas de doute, « ça décoiffe ». Pas de lapidation, mais la flagellation pour les « fornicateurs », ce n’est guère mieux. Pour les apostats, une punition indéfinie dans le Coran, l’exécution dans la Sunna. Le témoignage d’une femme vaut la moitié de celui d’un homme. Des châtiments, des guerres : « tuez les infidèles où que vous les trouviez ! »
 
Alors bien sûr, une religion ne se réduit pas à une accumulation de versets. Elle s’inscrit dans un contexte, elle doit être interprétée. Après tout, le Dieu de l’Ancien Testament est génocidaire (« Tu ne prendras pour toi que les femmes, les enfants, le bétail et tout ce qui se trouvera dans la ville, et tu vivras sur les dépouilles de tes ennemis que le Seigneur, ton Dieu, t'aura livrées. C'est ainsi que tu feras pour toutes les villes très éloignées, qui ne sont pas du nombre des villes de ces nations-ci. Quant aux villes de ces peuples dont le Seigneur, ton Dieu, te donne la propriété, tu n'y laisseras pas âme qui vive. », Deutéronome 20:14-16) et infanticide (« [...] tous les premiers-nés mourront dans le pays d’Égypte [...] », Exode 12:29-36), entre mille et une autres joyeusetés, et pourtant, on ne va plus lui chercher de poux dans la tête. Certes, il y'a eu la Nouvelle Alliance entre temps, mais pour un Etre éternel, peut-il y'avoir prescription ?
 
Et puis, parmi les versets guerriers, il y’en a d’autres qui prônent la paix. Lesquels sont les « bons », lesquels sont les « mauvais » ? Doit-on simplement ignorer les passages gênants ? Y’a-t-il des limites à l’exégèse, peut-on par exemple faire du Coran une lecture qui fasse des femmes les égales des hommes, quand bien même il semble au premier abord indiquer le contraire ? Entre Ramadan et les Talibans, qui est l'interprète légitime de l'Islam, au nom de quels critères ?
 
Questions complexes, devant lesquelles nous sommes désemparés. Y répondre est pourtant une nécessité pressante. Respecter les musulmans, ce n’est pas éviter les questions qui fâchent. C’est au contraire les aborder frontalement, pour déblayer enfin les miasmes de suspicion et d’arrière-pensées qui empoisonnent la vie publique. Tariq Ramadan consacre sa vie à ce travail. Y réussit-il ? A quels résultats a-t-il abouti ? Et si, enfin, on le lui demandait ? Si on essayait de comprendre sa pensée, plutôt que de déchiffrer ses arrière-pensées ? Accusé Ramadan, expliquez-vous ! Ou plutôt : expliquez-nous !

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