Dominique Strauss-Kahn, ou le mérite de ne pas cacher son jeu
par Jacques Cheminade
samedi 26 février 2011
Directeur général du FMI et fier de l’être
Nous prendrons comme référence son interview par les lecteurs du Parisien, le 21 février 2011. Lorsqu’une lectrice lui demande : « Quelle place reste-t-il pour nos services publics dans la mondialisation ? », il répond : « Enorme ! D’abord, il y a une place pour les services publics mondiaux : le FMI, c’est un service public mondial. » Ce qui est énorme ici, c’est le culot de la réponse : tout le monde sait que le FMI est le bras armé des marchés financiers, qui a toujours appliqué et continue d’appliquer, avec ou sans DSK, une politique consistant à renflouer les méga-banques et à imposer l’austérité aux peuples (baisses brutales des salaires et des retraites, destruction des systèmes de santé et d’éducation…). Les pays sud-américains peuvent en juger, et aujourd’hui les Irlandais, les Grecs, puis demain d’autres peuples membres de l’Union européenne, si le même ordre financier leur est imposé.
La scandaleuse incompétence économique du FMI vient d’être très officiellement diagnostiquée par le rapport de son propre Bureau indépendant d’évaluation (BIE). Mme Helga Zepp-LaRouche l’a indiqué dans notre numéro du 18 février 2011. Rappelons que le BIE juge que le FMI de M. Strauss-Kahn a été incapable de déceler les risques du système financier et d’émettre les signaux d’avertissement nécessaires. Il souffre de méthodes analytiques défaillantes, de parti pris, d’une pensée stéréotypée et d’une cécité organisationnelle ; son mode de fonctionnement est cloisonné, ses organes de surveillance sont inefficaces et il y règne une peur d’exprimer des opinions critiques. C’est à se demander si DSK ne fuit pas son job actuel, comme il le dirait, pour « faire président de la République » chez nous, comme le dirait Nicolas Sarkozy. Ajoutons que, dans Le Parisien, il maintient sa position sur la retraite à 62 ans sans jamais aborder la souffrance au travail, droit dans ses escarpins de libéral financier.
Adversaire de la souveraineté nationale
Après avoir déclaré que « la reprise existe partout » et que seule l’Europe « repart moins vite », DSK ajoute : « Pour que le système fonctionne mieux, il faut que les Etats renoncent à une partie de leur souveraineté. » Pour lui, « l’abandon de l’euro, c’est une vaste supercherie » et « dans la réalité, c’est quasiment impossible de revenir en arrière ». A Francfort, le 19 novembre 2010, devant un congrès bancaire européen, il n’a proposé ni plus ni moins que de « créer une autorité budgétaire européenne centralisée » qui serait « aussi indépendante politiquement que la Banque centrale européenne ». Toute puissante, « cette autorité fixerait les orientations budgétaires de chaque pays membre et allouerait les ressources provenant du budget central ». Même M. Balladur, dans ses costumes taillés sur mesure à Londres, n’est jamais allé aussi loin dans la soumission à une entité supranationale sans contrôle démocratique et soumise aux banquiers centraux ! Et pour appliquer quelle politique ?
Mais celle du FMI en Europe, que M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, décrit comme « associé à la Commission européenne ». Dans le numéro du Parisien cité ci-dessus, Jean-Claude Trichet déclare tout haut les présupposés des partisans de cette politique : « Augmenter les salaires serait la dernière bêtise à faire », en même temps que sa banque avale les effets toxiques des établissements financiers ! La messe est dite. Cela donne en novlangue strausskahnienne : « Je suis socialiste dans les solutions pour aider les pays en difficulté. »
Un passé de même acabit
Lorsqu’il était ministre de l’Economie, DSK « a convaincu Lionel Jospin de jouer à fond la carte de l’euro et, oubliant les fameuses conditions que posaient auparavant les socialistes à son lancement, de se convertir au très contraignant pacte de stabilité » (Le Monde du 3 novembre 1999). C’est lui qui a porté la BCE sur ses fonds baptismaux, en la livrant aux banquiers « indépendants », hors de tout contrôle démocratique.
Lorsque Le Monde a dressé le fameux constat : « Lionel Jospin privatise plus qu’Alain Juppé » (le 7 août 1998), c’est DSK qui était l’inspirateur économique. Sa commission des transferts a alors beaucoup transféré au privé : France Télécom, Thomson-CSF, Thomson Multimédia, Air France, l’acier… C’est lui qui offrit Airbus en cadeau à Lagardère, permettant aux actionnaires de s’enrichir alors que les salariés subissaient le plan Power et sa suppression de 10 000 emplois en Europe. Le DSK d’aujourd’hui est donc bien à l’image de celui d’hier, et on ne peut pas lui reprocher de cacher son jeu.
C’est donc aux électeurs de juger sur pièces. Ajoutons que les attaques de la droite sarkozyste contre DSK ou les embardées de Mélenchon ne sont pas notre affaire. Celles de Christian Jacob et de Jean-François Copé exhibent le pétainisme de terroir de leurs auteurs.
Il serait triste qu’une présidentielle se déroule à ce niveau. Ce que nous attaquons ici, c’est le disciple avoué de Keynes et Schumpeter, la « destruction créatrice » mise à la mode du XXIe siècle, qui porte le fascisme financier comme la nuée porte l’orage, sans en voir consciemment les éclairs.