Donald Trump adaptera-t-il l’OTAN aux réalités actuelles ?

par Desmaretz Gérard
vendredi 20 janvier 2017

Les propos du nouveau président américain ne sauraient surprendre les Européens, le maintien de l'OTAN ayant déjà été soulevé après la réunification de l'Allemagne. Le vice-président de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et nombre d'Européens doutent de la fiabilité du «  parapluie  » nucléaire américain, surtout face à un pays disposant de l'arme nucléaire (mutual destruction)... Certains Europhiles envisageraient de se tourner vers la Grande-Bretagne et la France, seules forces militaires européennes capables de projeter une force d'intervention rapide et à disposer de l'arme nucléaire. Le Brexit rend peu probable la participation britannique, et la France ne semble guère disposée à se risquer dans un conflit nucléaire, sauf absolue nécessité pour sa propre sauvegarde. L'ancien triangle dramatique : la victime (l'Europe) - l'attaquant (l'URSS) - le sauveur (les USA), a vécu et la menace s'est déplacée.

Flash-back, les premières démarches à la base de la création de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord ont été initiées à la demande du gouvernement français ! c'est ce que les travaux de Jenny Raflik, maitre de conférence à l'université de Cergy-Pontoise tendent à démontrer. Le général de Gaulle démissionne le 10 juin 1946 du Gouvernement provisoire, Georges Bidault devenu Président du 4° gouvernement provisoire (juin à décembre 1946), demande au général Pierre Billotte de consulter ses homologues américains du Comité d'état-major des Nations-Unies sur la création d'une alliance militaire entre l’Europe occidentale et les États-Unis.

Fin 1947, Georges Bidault qui a repris son ancien poste de Ministre des Affaires étrangères, rencontre le secrétaire d'État américain Marshall à Londres. Ce dernier désigne le général Ridgway pour conduire les conversations secrètes, et propose d'inviter les Britanniques à venir les rejoindre. Trois représentants de chaque pays seulement sont informés du projet, du côté britannique Attlee, Bevin, le général Morgan, du côté américain : Truman, Marshall et Ridgway, pour la France : Bidault, Schuman et Billotte. Les bases d'un accord de principe achoppent sur la constitution américaine qui n'autorise pas le gouvernement à contracter une alliance en Europe.

La guerre froide débuta avec la naissance du Kominform en septembre 1947. Le bureau d’information communiste déclara : « désormais, le monde est divisé en deux blocs, le bloc impérialiste et le bloc capitaliste ». Après le coup de Prague du 25 février 1948, les États-Unis proposent une résolution visant à rappeler les ambassadeurs occidentaux. Le 22 mars, des négociations tripartites : Canada - États-Unis - Grande-Bretagne s’ouvrent à Washington sans la présence de la France ! La raison avancée de cette éviction ? la présence de communistes au sein de son administration. Le 1 avril, les États-Unis et la Grande-Bretagne adoptent un premier projet, et le 30 avril, le Congrès vote l'amendement Vandenberg qui autorise les USA à s'engager dans des alliances internationales en dehors du continent américain.

Le Président du Conseil, Georges Bidault, entend saisir le coup de Prague et le blocus de Berlin-Ouest (juin 48 à mai 49) pour réaffirmer la nécessité d'une alliance militaire couvrant l'Europe occidentale. Les États-Unis qui souhaitent voir l'Europe prendre en main sa défense, invitent les États membres du Traité de Bruxelles (pacte de coopération économique, de défense, d’une durée de cinquante ans) à l'étendre à : Norvège - Suède - Danemark - Islande - Italie. Cette démarche est aux antipodes de la proposition française : « Ne rien entreprendre qui puisse représenter une provocation aux yeux des Soviétiques avant d’être assurés du soutien effectif des États-Unis. »

Le 4 avril 1949, douze pays représentés par leur Ministre des Affaires étrangères signent à Washington le Traité instituant l'OTAN ; au cinq pays du Pacte de Bruxelles s'ajoutent les États-Unis - le Canada - le Danemark - l'Islande - l'Italie - la Norvège - le Portugal. L'explosion de la première bombe atomique soviétique en septembre 49 suivie de la guerre de Corée en juin 50 poussent à la mise en place de la structure militaire intégrée de l'OTAN. Le Supreme Headquarter of Allied Powers in Europe (Grand quartier général des puissances alliées en Europe) s'installe près de Paris.

Le traité de l'OTAN (entré en vigueur le 23 août 1949) dont l'article V stipule : « toute attaque contre un pays membre de l'Otan est considérée comme une attaque contre tous », va constituer une des cibles prioritaire de Moscou, des partis communistes du monde entier vont tenter de s'opposer à l'entrée des nouveaux membres (la Grèce et la Turquie en 1952, la République fédérale d'Allemagne en 1955) au sein de l'alliance.

A la mort de Staline en 1953, l’Occident assista avec un certain soulagement à la désacralisation du petit père des peuples. Cette détente ne fut qu'un répit. En octobre 1962, la tension entre l’Union-Soviétique et les États-Unis se durcit avec « l’affaire des missiles » sur l'île de Cuba. La planète redoutait une troisième guerre mondiale, les soviétiques poussant leurs pions afin de tester la détermination du jeune Président J.F. Kennedy, tactique qui n’était pas exempt de dangers pour l'Europe. La loi de la « jungle » allait peser désormais dans les relations internationales.

En novembre 1953, le dixième groupe de forces spéciales basé à Bad Tölz ( Allemagne de l'Ouest) est placé en état d'alerte. Ces hommes, les green berets, sont spécialement organisés, équipés et instruits pour l'infiltration dans les zones opérationnelles et assurer l'encadrement de forces de guérilla locales. L'entrée de la RFA au sein de l'OTAN est prétexte à la création du « traité d'amitié, de coopération et d'assistance mutuelle » entre l'Union soviétique et les pays d'Europe centrale du bloc communiste (le Pacte de Varsovie conclu en 1955 sera dissous en 1991). Fin août 1957, cinq bataillons détachés du Spetsnaz voient le jour. Le 20 août 1961, le Comité Central du Parti communiste d'Union Soviétique diffuse le document interne « Sur la formation des cadres et l'élaboration pour l'organisation et l'équipement des guérillas  ». En 1966, la France se retire du commandement militaire de l'OTAN sous l'impulsion du général de Gaulle.

L'éventualité d'un conflit est au cœur de tous les États-majors. Des agents du département « V » du KGB vont être disséminés dans les grandes villes européennes en vue de contribuer à l’élaboration de dossiers d’objectifs et participer à la création de réseaux d’assistance. Au cours de l’année 1999, on découvrait enfoui au cœur de la forêt suisse alémanique, un émetteur clandestin destiné à communiquer avec l’Union Soviétique. Heureusement que personne n’avait ouvert cette mallette. Elle était piégée pour exploser à l'ouverture par l’imprudent qui ne connaissait pas l’astuce pour en neutraliser la charge. Il ne s’agissait pas d’une découverte isolée. On a découvert des émetteurs similaires dans d'autres pays européens ainsi qu'en France.

L'implosion de l'URSS et la dissolution du Pacte de Varsovie en 1991 allaient porter le Conseil de coopération nord-atlantique sur les fonts baptismaux, il a pour mission le rétablissement des liens avec les États d'Europe centrale et ceux de l'ex-URSS. Un partenariat pour la paix fut conclu entre l'ex-URSS et les États d'Europe centrale. L'OTAN allait s'élargir et accueillir sans discernement : Pologne, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Tchéquie, Slovaquie, Slovénie, Albanie, Croatie, l'Estonie, Lituanie, Lettonie. L'Union européenne et l'OTAN signent un partenariat stratégique : Identité européenne de sécurité et de défense. Chaque zone faisant mine d'oublier sur le moment, ses intérêts propres, et tous les États d'accepter d'être l'otage des autres membres. L'Europe de l'Ouest, l'Europe méridionale, l'Europe centrale, l'Europe du Nord et l'Europe orientale n'ont aucunement les mêmes contingences. La France fait son retour officiel au sein de l'OTAN en 2009.

L'OTAN est devenu au fil du temps un outil de la politique étrangère américaine. L'Organisation a été dévoyée et est sortie de son rôle à plusieurs reprises : conflit en Bosnie (1993 - 1995) - en soutien à l'armée albanaise contre les Serbes (1999) - en Afghanistan (Commandement de la Force internationale d'assistance à la sécurité en août 2003 - en Libye au profit du Conseil national de transition. Le Conseil OTAN - RUSSIE de 2002 a été suivi des conflits en Géorgie et en Ossétie du sud (2008), en Ukraine avec annexion de la Crimée (2014). En ce qui concerne le soutien à la candidature de l’Ukraine et celui de la Géorgie à l’OTAN, il est contraire à la parole donnée et renouvelée aux dirigeants russes entre 1990 et 1992...

Donald Trump vocifère sur l'organisation du Traité de l'Atlantique Nord qu'il considère « obsolète », de « ne pas s'être occupée du terrorisme » et de souligner : « tous les pays membres de ne pas payer ce qu'ils devraient », et de tweeter en faveur de la course à l'armement nucléaire... Ses prédécesseurs, George Bush et Barack Obama s'étaient déjà exprimés sur le coût de la contribution américaine. Les États-Unis sont le plus gros contributeur : 67 000 militaires, 160 bombes nucléaires réparties à travers cinq pays, et assument 70 % des dépenses. Le Congrès a voté cependant un budget conséquent pour la présence américaine en Europe, pour cause, l'Amérique tire avantage des nombreuses bases disséminées en Europe pour leurs interceptions (affaire Snowden), et la base de Ramstein par exemple, est utilisée pour diriger les drones américains sur leurs cibles... Un scoop ! c'est à partir d'une base US en Allemagne que s'est tramée la perte du contrat pour la vente des hélicoptères français à la Pologne qui dit de nous : « La France ayant perdu ses colonies, elle veut maintenant nous coloniser.  » Le ton est donné. Les ennemis de nos ennemis ne sauraient l'être à tout jamais, et les amis de nos amis ne le sont qu'un temps.

Trump est-il : un anticonformiste - un démagogue - un naïf - un visionnaire ? Quoi qu'il en soit, remercions le pour ses propos psittacistes (répétitions d'expressions ou formules par un individu qui n'en comprend pas nécessairement la portée) et avoir tiré le signal d'alarme sur l'incertitude de la politique étrangère étasunienne en Europe pour les années à venir. Espérons que nos dirigeants sauront en tirer la quintessence et que l'Europe cessera de constituer un continent vassalisé avec l'accord bienveillant de ses dirigeants. Savez-vous pourquoi les pays européens se refusent à quitter le giron US ? Parce que nos hommes politiques considèrent les États-Unis d'Amérique comme les hindous considèrent leurs vaches sacrées. Pour peu que l'« ancienne Europe » conduise une politique intelligente d'ouverture envers la Russie, proche de nous par bien des aspects, les États-Unis pourraient être amenés à revoir leur dogmatisme militaro-industriel au profit d'un réalisme « partenarial. »


Lire l'article complet, et les commentaires