DSK : deux barbares chorégraphies pour une redécouverte de l’Amérique !

par Paul Villach
mercredi 8 juin 2011

L’affaire DSK a comme conséquence annexe une salutaire redécouverte de l’Amérique quand on voit l’obstination de certains à vouloir aveuglément importer ses moeurs en France, et en particulier dans le domaine policier et judiciaire. À la façon des Romains qui ont colonisé en profondeur les esprits autour du bassin méditerranéen moins par la force des armes que par l’imposition planifiée de leur mode vie, les Etats-Unis répandent depuis la Seconde Guerre Mondiale à travers le monde l’ « american way of life  » par leurs films et séries télévisées, leurs musiques, leur fast-food, leurs vêtements ou leur technologie. À manger, se vêtir, se divertir et travailler à l’américaine, on finit par penser à l’américaine. De comiques pastiches locaux, genre Johnny Halliday et autres imitateurs, auxquels s’identifient leurs fans écervelés, servent au besoin de relais en singeant les coutumes étatsuniennes.

Seulement, on trouve le meilleur comme le pire dans la culture américaine. La manière dont l’innocent présumé Dominique Strauss-Kahn a été traité glace le sang. On ne voudrait surtout pas voir pasticher en France deux chorégraphies emblématiques des moeurs américaines auxquelles on vient d’assister.
 
Première chorégraphie : la sortie organisée du commissariat de police
 
La première est, bien sûr, la mise en scène de la sortie du commissariat qui est une mise au pilori de l’accusé avant même qu’il ne soit jugé au mépris de la présomption d’innocence. Cette image de DSK entre deux policiers l’empoignant aux biceps et l’entraînant, mains menottées dans le dos, dans une marche forcée vers la voiture de police qui va le conduire au tribunal, est une allégorie à laquelle les deux cultures américaine et française confèrent un sens contradictoire. (1)
 
1- Pour l’américaine, elle est l’allégorie de la loi et de l’ordre pourchassant le crime, sans que notoriété ou richesse puissent y faire obstacle. Ce sort égalitaire, répète-t-on, serait réservé aux puissants comme aux humbles. On n’en doute pas, mais avec toutefois une réserve : la haie du déshonneur, faite de photographes et caméramen préalablement ameutés par la police, est beaucoup plus fournie pour une personnalité livrée en pâture que pour un obscur citoyen qui n’intéresse personne. Ces photos complaisamment données par le commissaire de police pour promouvoir sa rigueur et son efficacité auprès des électeurs en vue de sa prochaine élection, sont assurées de faire le tour du pays et du monde quand il s’agit du directeur du FMI, non quand il s’agit d’un citoyen ordinaire.
 
2- Pour la culture française, cette exhibition prématurée de l’accusé en condamné rappelle, par intericonicité, le pilori médiéval, même s’il n’est pas exposé dans une cage. Infligée avant tout jugement, elle est l’allégorie de la violation de la présomption d’innocence par la police qui a pour seule mission de livrer un prévenu à la justice. On ne rappellera jamais assez que la charge de la preuve appartient en France à l’accusation. Si on l’oublie, on s’expose à des naufrages judiciaires dont la récente affaire d’Outreau est le symbole.
 
Seconde chorégraphie : les huées organisées à l’entrée et à la sortie du tribunal
 
La seconde chorégraphie est celle qui a accompagné DSK et son épouse, de leur voiture à l’entrée de la Cour suprême de New-York où lui comparaissait, lundi 6 juin 2011. L’une des haies de spectateurs qui l’attendaient, était certes constituée de photographes et de caméramen, mais l’autre l’était d’une meute vociférante de femmes venues le conspuer : « Shame on you !  » criaient-elles en chœur, le visage grimaçant de haine - Honte à vous ! Certaines portaient l’uniforme de femmes de chambre, tablier blanc sur robe noire . Elles ont été présentées comme membres d’un syndicat de personnel hôtelier de New-York. Elles auraient été conduites sur place par car pour venir manifester leur soutien à leur consoeur, victime supposée d’une agression sexuelle de DSK.
 
Quel objectif vise donc un syndicat en s’adonnant à pareille parodie de manifestation ? Se faire sa propre publicité en profitant du drame vécu par l’un des membres de son champ de syndicalisation. Est-ce la meilleure façon de le soutenir ? N’attend-on pas d’une organisation professionnelle responsable une conduite réfléchie, à l’écart des réflexes démagogiques du leurre d’appel humanitaire ou du leurre du classisme  ? Ne doit-elle pas mettre en garde ses membres contre leurs dangers : cette dérive inconsidérée peut même nuire à la victime supposée qu’ils prétendent soutenir. À quelle fin cette manifestation aussi intempestive a-t-elle donc été conçue, puisque la justice est saisie de l’agression sexuelle supposée, que le prévenu, est en liberté étroitement surveillée, soumis à de rigoureuses contraintes, et qu'il reste à attendre le déroulement de la procédure ?
 
1- S’agit-il d’exercer des pressions malvenues sur l’institution judiciaire ?
 
2- Tant que le tribunal ne s’est pas prononcé, ne doit-on pas respecter sa présomption d’innocence ? Que sert de venir vomir sa haine avant l’heure ?
 
3- Ces manifestantes seraient-elles mieux informées que l’institution judiciaire sur la culpabilité certaine du prévenu ? Que signifie conspuer un simple suspect ?
 
Du coup, ces huées organisées finissent à leur tour par paraître suspectes. On songe, par intericonicité, à « ces manifestations spontanées organisées », dont sont coutumiers les régimes dictatoriaux : par centaines ou milliers, des bougres sont acheminés sur place pour venir faire la claque sur ordre. À qui obéissaient ces femmes ? Le savaient-elles elles-mêmes ? Dans le contexte d’une énigme comme celle de l’affaire DSK qu’à ce jour deux hypothèses contradictoires peuvent encore résoudre, cette manifestation spontanée organisée tend à jeter le doute sur l’une d’elles.
 
Pour rien au monde, en tout cas, on ne voudrait voir transposer en France ces pratiques barbares. Le respect de la présomption d’innocence exclut toute peine de pilori avant jugement, que ce soit cette immonde marche au supplice à la sortie du commissariat ou cette indigne entrée au tribunal sous les huées d’une meute vociférante. Si l’affaire DSK pouvait au moins convaincre les Français de ne pas imiter les Etats-Unis sans discernement, ce ne serait déjà pas si mal. Paul Villach
 
(1) Paul Villach, « La photo de DSK menotté : le pilori américain avant jugement  », AgoraVox, 17 mai 2011.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-photo-de-dsk-menotte-le-pilori-94125

Lire l'article complet, et les commentaires