DSK et les nouveaux complotistes

par Lucadeparis
mardi 17 mai 2011

Alors que la classe médiatico-politicienne s'affirmait farouchement anti-complotiste, voici que les accusations de crimes sexuels de l'un des leurs membres les plus vigoureux en fait d'opportunistes complotistes qui retournent leur veste anti-complotiste. Dans l'inguérissable fracture sociale entre la France d'en bas et la France d'en haut, il n'y a donc plus une querelle de complotistes et d'anti-complotistes, mais une querelle des anciens contre les modernes complotistes.

Vers le Palais de l’Elysée, le théâtre de Guignol

Écœuré par ce que j'avais appris de DSK et qu'il soit le candidat (soi-disant "socialiste") préféré des sondages (des sondeurs ou des sondés ?), j'avais commencé à écrire un texte intitulé : « Pourquoi Dominique Strauss-Kahn ne sera ni candidat ni président » ou « Dominique Strauss-Kahn, le candidat improbable, le président impossible ». Et ce dimanche, bonne nouvelle, j'entends avec joie qu'il m'a coupé l'herbe sous le pied en essayant de prendre le sien. Les primaires "socialistes" se ferment aux primates "socialistes", au comportement trop primaire, qui après avoir raté son viol, manque son vol (depuis un aéroport au nom d'un autre politicien à addiction sexuelle : JFK) vers nos contrées plus latines (pour ne pas dire berlusconiennes).

Informé du témoignage de Tristane Banon depuis trois ans, des commentaires de la classe médiatisée (Thierry Ardisson, Danièle Évenou : « Qui n'a pas été coincé par Strauss-Kahn ? »), j'ai été bien amusé d'entendre un de ses proches, Jean-Marie Le Guen, député PS de Paris, affirmer avec un certain toupet, et un toupet certain : « Et puis, et surtout, cette affaire ne ressemble en rien à DSK, l'homme que nous connaissons tous. ».

J'ai d'abord pensé à la fable africaine du scorpion et de la grenouille qui l'aide à traverser la rivière, mais, malgré ses promesses, ne peut s'empêcher de la piquer lors de la traversée, les condamnant tous deux à mort, et s'excusant : « Je n'y peux rien. C'est ma nature. ».

On peut imaginer que DSK était stressé par les révélations très récentes sur son train de vie fastueux, suite à la photographie de lui prenant le volant d'une voiture à 100.000 euros, ce qui l'a ramené à son comportement sexuel addictif et anxiolytique irrespectueux de la volonté d'autrui, voire même attiré par les refuse-nique...

Tout en penchant vers la thèse policière, la plus crédible, j'ai imaginé la possibilité d'une manipulation de DSK : organiser une fausse accusation de tentative de viol, afin de discréditer les autres accusations qui allaient venir lors de la campagne. Mais je trouvais cela bien risqué, et surtout presque impossible à organiser, car il aurait fallu que la femme de chambre accepte le risque d'une forte condamnation (contre la promesse d'une forte rémunération).

Et voici que dans les heures qui suivent, des membres de la classe médiatico-politicienne (UMPS) invoquent la possibilité d'un complot contre DSK :- Jacques Attali, sur BFM TV, défend DSK « qui est un ami » et évoque « un piège » ou « un malentendu » ; sur Europe 1, il envisage par trois fois une « manipulation », et « que quelqu'un est envoyé pour le piéger, à la suite de la Porsche et autres costumes », même si, lucide, il dit deux fois de son scénario irréaliste de midinette que « c'est du roman »...

- Dominique Paillé, membre du Parti radical et ex porte-parole de l'UMP : « Dominique Strauss-Kahn est un de mes adversaires, mais il est tout à fait envisageable qu'il puisse être tombé sur une peau de banane qu'on lui aurait mise sous la chaussure. S'il est tombé sur cette peau de banane, c'est qu'on savait qu'il avait une vulnérabilité. Et quand on s'apprête à être candidat à la candidature à la présidence de la République française, on se met à l'abri de telles vulnérabilités. ».

- Christine Boutin, ex ministre du Logement de Nicolas Sarkozy : « Je pense que vraisemblablement on a tendu un piège à Dominique Strauss-Kahn et qu'il y est tombé.. [...] Le piège était tendu mais il ne fallait pas tomber dedans.[...] ça peut venir du FMI, ça peut venir de la droite française, ça peut venir de la gauche française. » ; elle est par ailleurs assez informée sur son comportement sexuel : « On sait qu'il est assez vigoureux, si je puis m'exprimer ainsi »...

- Ségolène Royal, questionnée sur l'hypothèse d'un « coup monté », répond que « tout est possible. ».

- Pierre Moscovici, « son ami personnel » : « L’enjeu, maintenant, c’est de savoir s’il s’agit de faits réels, ce que je n’imagine pas, ou s’il y a eu une provocation. ».

- Jean-Christophe Cambadélis : « Je ne suis pas du tout, loin de là, un adepte des complots, mais j'ai encore en tête le fait qu'on avait promis à DSK le feu nucléaire dès qu'il ferait ses premiers pas de candidat. [...] Nous ne pouvons pas croire à sa culpabilité. Il sera bientôt au milieu de nous. [...] Après le temps de la spéculation, de l'émotion et de l'accusation, vient le temps de la défense et de l'amitié. ».

- Laurent Fabius, ex Premier ministre Socialiste de François Mitterrand : « Les accusations portées contre Dominique Strauss-Kahn constituent un énorme choc, mais provoquent aussi beaucoup d'incrédulité. ».

- Gilles Savary, vice-président PS du Conseil général de Gironde : sur son blog, dans un texte intitulé « Gibier de guet-apens », à propos de « cette affaire abracadabrantesque » : « Rien exclure, c'est aussi ne pas exclure un guet-apens qui arrangerait beaucoup de monde en France. ».

- Gérard Collomb, maire Socialiste de Lyon : « Ces accusations qu'il récuse paraissent tellement irréelles qu'il convient d'attendre d'en savoir plus. ».

- François Pupponi, député-maire PS de Sarcelles et successeur de DSK : le Dominique Strauss-Kahn qu’on décrit dans les journaux n’est pas celui que je connais depuis plus de 25 ans ».

- Jack Lang, ex ministre PS : « Je ne peux croire à la véracité des faits rapportés au sujet de DSK. La décence et la retenue devraient s’imposer.

- Bernard Tapie, ex ministre de la Ville de François Mitterrand : « Tout est possible, un piège. Tout le monde est d’accord pour reconnaître qu’il est intelligent et ce n’est pas tellement pas compatible. C’est très loin de quelque chose de crédible. Il est sur le point d’être candidat à l’élection présidentielle, il a d’autres soucis, d’autres envies que de se précipiter sur une femme de ménage. ».

- Le pire, Michèle Sabban, vice-présidente Socialiste du Conseil régional d'Ile-de-France, « particulièrement engagée en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes » (Conseillère Technique en charge de la promotion des femmes de 1997 à 2002, Secrétaire Nationale aux Droits des Femmes de novembre 1997 à 2003, Vice-Présidente de l'Internationale Socialiste des Femmes Méditerranée Nord et Sud depuis 2003), proche de DSK : « Je suis convaincue d'un complot international. C'est le FMI qu'on a voulu décapiter et pas tant le candidat à la primaire socialiste, l'homme le plus puissant après Obama. Tout le monde sait que sa fragilité, c'est la séduction, les femmes. Ils l'ont pris par cela. ».

La situation est amusante et paradoxale, telle une ironie de l'histoire. Cette même classe dirigeante de copains-coquins (1), qui qualifie de paranoïaques les thèses complotistes lorsqu'elles accusent ces mêmes élites d'organiser des complots contre le peuple ou des Etats plus faibles (attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis officiellement attribués à des terroristes islamistes, attentats en Russie en 1999 officiellement attribués à des terroristes tchétchènes), sont soudainement complotistes pour défendre l'un des leurs.

Donc, à l'exception de Christine Boutin qui était dubitative à propos du 11 septembre 2001 (faisant ainsi partie à la fois des anciens et des modernes), nos dirigeants n'ont tendance à voir des complots que des faibles contre les forts, ou entre les forts, mais pas des forts contre les faibles. Je suis ravi d'apprendre que le complotisme n'est pas l'apanage de marginaux ou de la France d'en bas qui s'informe de plus en plus grâce à l'internet, mais qu'émerge maintenant un nouveau complotisme opportuniste de la France d'en haut, l'élite médiatico-politique jalouse et zélée pour défendre solidairement les intérêts de ses membres (surtout les plus vigoureux). C'est l'endo-socialisme de la classe d'affaires aux affaires, et très souvent avocats d'affaires eux-mêmes (solidarité qui explique que la mère de Tristane Banon, l'élue socialiste Anne Mansouret, avoue sur BFM TV avoir « empêché » sa fille à porter plainte contre un proche de sa famille)...

 

(1) Lorsqu'ils sont un peu moins copains, et aussi un peu opposants politiques, quelques rares politiciens écartent d'emblée toute thèore d'un complot :

- Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Ecologie de Nicolas Sarkozy, en stigmatisant idiotement la France : « Je fais confiance à la justice américaine.'[...] C'est tellement français de voir des complots partout, c'est quelque chose je crois qui est dans notre culture. ».

- Henri de Raincourt, ministre de la Coopération : « Le piège, on ne peut pas y penser. ».


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