DSK : l’hypothèse d’une machination

par Paul Villach
lundi 16 mai 2011

 Comme une traînée de poudre, l’information s’est répandue sur toute la planète, dimanche matin 15 mai : le directeur du FMI, M. Dominique Strauss-Kahn est en garde à vue depuis samedi après-midi, 14 mai, dans un commissariat de New-York et sur le point d’être inculpé d’agression sexuelle, de tentative de viol et de séquestration.

La version policière des faits ressassée par les médias

Une femme de chambre de 32 ans, serait entrée par erreur dans sa suite à 3.000 dollars la nuit, et tombée face à face avec lui, qui, sortant nu de sa salle de bains, l’aurait agressé sexuellement. La jeune femme se serait défendue et aurait réussi à s’enfuir, bien qu’il eût fermé la porte à clé. Elle aurait alerté la direction de l’hôtel qui aurait aussitôt prévenu la police. Celle-ci se serait rendue sur les lieux. Mais M. Strauss-Kahn avait déjà quitté l’hôtel pour l’aéroport Kennedy d’où il s’apprêtait à s’envoler pour l’Europe : il y était attendu dans le week-end par la chancelière allemande Mme Merkel à Berlin. La police a fait retarder le départ de l’avion d’Air-France où M. Strauss-Kahn avait déjà pris place : elle l’a arrêté et conduit dans un commissariat d’Harlem à New-York pour l’y interroger. 

Les apparences de la fiabilité d’une information extorquée

Cette information a tout l’air d’avoir la fiabilité certaine d’une information extorquée.

1- Un pluralisme de sources

Elle est obtenue à l’insu et/ou contre le gré de M. Strauss-Kahn et lui est nuisible. On déduit, en effet, de l’intervention aussi prompte de la police qu’elle doit disposer d’un pluralisme de sources qui justifie une garde à vue. Sans doute, l’incrimination n’émane-t-elle que d’une seule source, la victime qui s’est plainte. Mais des indices divulgués tendraient à confirmer la fiabilité de sa version : examinée à l’hôpital où elle a été conduite, elle porterait des blessures légères compatibles avec l’agression décrite. Surtout, M. Strauss-Kahn aurait dans sa fuite oublié un portable : ce serait la métonymie révélatrice d’une panique certaine après l’agression.

2- Un contexte psychologique vraisemblable

L’information s’inscrit, d’autre part, dans un contexte psychologique vraisemblable. M. Strauss-Kahn est connu pour entretenir avec les femmes une relation de prédateur. Il a été accusé, en octobre 2008, par une employée hongroise du FMI de harcèlement sexuel (1). Il n’avait pas nié les faits et s’était excusé. L’enquête diligentée par l’institution internationale l’avait exonéré de tout abus de pouvoir. Mais le témoignage de sa victime n’en dressait pas moins de lui le portrait inquiétant d’un individu peu maître de ses pulsions sexuelles face aux femmes (2) . 

On se souvient que Stéphane Guillon en avait tiré l’une de ses chroniques les plus réussies sur France Inter qui lui ont valu plus tard un licenciement : il avait imaginé un plan de prévention sexuelle dans les studios de la station qui, quelques minutes plus tard, recevait M. Strauss-Kahn dans une émission ; les femmes étaient contraintes de porter les tenues les plus austères, une caméra surveillait le dessous de la table et une sirène devait retentir en cas d’alerte pour évacuer les femmes à l’étage au-dessous (3).

3- La force de l’argument d’autorité

Enfin, cette représentation de l’agression, répétée au mot près par les médias, provient de la seule police dont on n’imagine pas de prime abord qu’elle se lance dans une telle aventure avec un responsable politique de réputation mondiale sans avoir de sérieuses raisons. Elle acquiert donc la force d’un argument d’autorité qui tend à stimuler un réflexe de soumission aveugle et de paralysie du doute méthodique.

Les caractéristiques de l’information donnée tissée de possibles leurres

Pourtant, ce scénario fleure l’information donnée à la fiabilité incertaine car tissée de possibles leurres.

1- Une célérité suspecte de la police dans l’intervention et la divulgation de l’information

On est d’abord étonné par l’extrême célérité dont a fait preuve la police non seulement pour courir arrêter M. Strauss-Kahn à l’aéroport comme un malfrat, mais encore pour diffuser aussitôt à la planète entière une version des faits encore hypothétique. Il ne s’est pas écoulé 24 heures pour que l’accusation portée par un seul témoin soit transmise aux médias qui la répètent en boucle. Tant de précipitation se justifie-t-il par la dangerosité du prévenu, une haute personnalité de la politique internationale, directrice du FMI ? L’accusation portée ne préjuge pas de sa culpabilité : il demeure présumé innocent.

Mais qu’importe ! La divulgation du soupçon par la police suffit à jeter aussitôt le discrédit sur lui. Qui avait intérêt à tant de célérité pour salir la réputation de M. Strauss-Kahn ? Sa fonction de directeur du FMI oriente la recherche dans une première direction : ne gênait-il pas des groupes de pression qui voulaient son départ ? Sa candidature probable à la présidence de la République française lui valait sans doute aussi des inimitiés. Mais l’opération menée sur le sol des Etats-Unis conduit à privilégier l’hypothèse d’ennemis et de rivaux attachés à le chasser du FMI.

2- Un scénario trivial à la soviétique

Le scénario échafaudé a, ensuite, la trivialité des sordides machinations des polices du feu bloc soviétique, genre STASI, pour ruiner le crédit d’une personnalité du jour au lendemain. Encore une fois, la version dont on dispose, a beau être reprise par des centaines de médias, elle n’émane que d’une seule source, celle de la police new-yorkaise.

- La femme de chambre, est-il prétendu, serait entrée par erreur dans la suite encore occupée par M. Strauss-Kahn. On entre donc aussi facilement dans la suite du directeur du FMI ? La direction de l'hôtel n'a pas plus d'égards envers lui que pour un client ordinaire ? Ne peut-on soupçonner que cette intrusion ait pu être préméditée ?

- De l’agression alléguée ensuite, nul ne sait rien si ce n’est ce qu'en disent le seul témoin qui la relate et la police qui accrédite son témoignage.

- La porte fermée à clé par l'agresseur, qui justifierait l’incrimination de séquestration, ne peut-elle avoir été ouverte de l’extérieur par un complice pour permettre à la victime de s’échapper, une fois le tour joué ?

- Quant au portable oublié, relaté avec insistance, est-ce la preuve d'une panique de son propriétaire ? M. Strauss-Kahn peut en avoir plusieurs. La femme de ménage n’aurait-elle pas eu pour mission d’entrer et de lui en subtiliser un pour rendre fiable l’accusation ensuite portée ?

- Imagine-t-on enfin que, pour rejoindre l’aéroport, M. Strauss-Kahn ait pu quitter un hôtel en émoi, dans l’attente d’une arrivée imminente de la police, sans que personne ne le retienne ? Oui, s’il s’agissait d’opérer une arrestation spectaculaire dans l’avion.

3- Un scénario peu compatible avec le contexte politique présent

Enfin, ce scénario ne paraît pas compatible avec le contexte politique présent. Certes, la réputation de coureur maladif que traîne M. Strauss-Kahn, est avérée.

- Mais celui-ci peut-il avoir à ce point perdu la tête à la vue d’une femme de chambre, alors qu’un harcèlement sexuel l’avait déjà en 2008 exposé à une démission du FMI et qu’il se trouvait aujourd’hui à la veille de se présenter à la présidence de la République française ? Peut-il avoir risqué aussi étourdiment de compromettre sa carrière politique par une conduite délictueuse voire criminelle envers une femme de chambre ? Si oui, il est profondément malade et mérite ce qui lui arrive.

- Mais il ne faut pas mépriser l’adversaire au point de lui dénier toute intelligence. Or, par cette version des faits à la fiabilité incertaine, les ennemis de M. Strauss-Kahn tendent à le faire.

 

Sous réserve d’informations plus précises et du témoignage de l’intéressé qu’on n’a toujours pas entendu, on est tenté de voir dans cette affaire une machination où l’on aurait usé du leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée pour la rendre crédible. L’extrême célérité de l’intervention de la police et de la divulgation par ses soins d’une version des faits encore incertaine jette, en effet, le doute et font penser à une opération organisée de discrédit. Car, désormais, innocent ou pas, M. Strauss-Kahn est sali. La justice étatsunienne va mettre un certain temps pour suivre son cours : le soupçon est jeté sur le prévenu qui ne pourra se maintenir à la direction du FMI ni davantage se porter candidat à l’élection présidentielle française. Le mal est fait. N’était-ce pas l’objectif à atteindre ? C’est aussi, on s’en souvient, une femme de ménage qui a été prétendument à l’origine de « l’affaire Dreyfus » en 1894 : on a soutenu qu’elle avait trouvé dans une corbeille à papiers de l’ambassade d’Allemagne un bordereau signé de la main du capitaine qui accompagnait les pièces secrètes livrées à l’ennemi sur le nouveau canon de 120, supposé être expérimenté par l’armée française, alors que celle-ci travaillait en fait sur le canon de 75. Or, on sait aujourd'hui que ces informations ont été transmises par un agent double, nommé Esterhazy (4). Paul Villach 

 

(1) Paul Villach,

- « Une couverture digne de VSD : le fou rire indigne des époux Strauss-Kahn-Sinclair », AgoraVox, 27 octobre 2008.

- « DSK, une candidature dangereuse ?  », AgoraVox, 3 décembre 2010.

(2) Marcelo Wesfreid, « Affaire DSK : la lettre qui accuse », L’Express, 17.02.2009.

Dans une lettre qu’elle a adressée, le 20 octobre 2008, aux enquêteurs chargés d’éclaircir l’affaire par le FMI, Mme Piroska Nagy écrit  : « M. Strauss-Kahn a abusé de sa position pour entrer en relation avec moi (…). Je n’étais pas préparée aux avances du directeur général du FMI. [...] J’avais le sentiment que j’étais perdante si j’acceptais, et perdante si je refusais. (…) Je crains que cet homme [DSK] n’ait un problème qui, peut-être, le rend peu apte à diriger une organisation où travailleraient des femmes. »

(3) Paul Villach, « DSK « dynamité » par Stéphane Guillon sur France Inter, « façon puzzle » : méchanceté ou critique légitime ?  » AgoraVox, 23 février 2009.

(4) Jean Doise, "Un secret bien gardé, Histoire militaire de l'affiare Dreyfus", Éditions Le Seuil, 1994.


Lire l'article complet, et les commentaires