DSK, les « Experts Manhattan » et le FBI, ou quand un film américain devient une réalité française

par Daniel Salvatore Schiffer
mardi 17 mai 2011

Ainsi la juge, Melissa Jackson, présidant le tribunal new-yorkais instruisant la déjà tristement célèbre affaire Dominique Strauss-Kahn, a-t-elle refusé à ce dernier la liberté conditionnelle, fût-ce en échange d’une importante caution, l’envoyant dès lors tout droit, sans le moindre état d’âme, en détention préventive plus encore que provisoire. Et ce jusqu’à l’ouverture, très probablement, de son procès.
 
Certes les faits reprochés au directeur général du FMI, s’ils sont avérés, sont-ils graves : agression sexuelle, tentative de viol et séquestration de personne ; délits qui, cumulés, font encourir à DSK, comme le stipule le très strict et même très puritain code pénal américain, jusqu’à soixante-dix ans de prison. Autant dire une vie entière !
 
Soit : libre à la justice américaine d’accomplir à la lettre, comme elle le dit pudiquement, son « job », fût-ce au prix des pires procédures judiciaires comme des méthodes policières les plus infâmes, dignes, en leur abjecte inhumanité, d’un autre âge.
 
Car, enfin, exhiber au sortir d’un sordide commissariat de Harlem, face aux caméras et aux flashes du monde entier, avant même que toute vérité des faits ne fût établie, un Dominique Strauss-Kahn épuisé par des heures d’interrogatoire, humilié publiquement et menotté dans le dos, encadré par cinq policiers, tel un vulgaire criminel, relève, à l’évidence, du plus vil des spectacles.
 
De même, convoquer un homme à une audience préliminaire pour lui signifier son acte d’accusation face à la terrible et envahissante indiscrétion des télévisions toujours, s’avère, quelle soit la gravité des faits incriminés, une initiative indigne de tout pays civilisé.
 
Spectacle dégradant, s’il en est ! Ces deux images-là, aussi révoltantes que répugnantes, choquantes et surtout contraires à cette présomption d’innocence dont la justice (y compris américaine) se gausse tant, suffit, à mes yeux, sinon à le disculper, du moins attirer, sur ce même DSK, toute ma compassion : cette « tendresse de pitié » dont parlait si bien, en des termes admirables pour toute conscience humaine, le grand Albert Cohen.
 
Mais il est vrai - nous l’oublions un peu trop souvent - que l’Amérique, prétendument la plus grande « démocratie » du monde », est une nation née aussi sur les scènes en carton pâte d’Hollywood. C’est qu’on aime le cinéma, les shérifs dégainant plus vite que leur ombre et les justiciers abattant leur proie d’un seul coup de revolver, au pays de l’oncle Tom ! Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que cette même Amérique commit à l’encontre des Indiens, qu’elle tenta vainement d’exterminer avant de les parquer sagement dans des réserves spécialement aménagées pour eux, le premier des génocides de l’ère moderne. Les nazis, de ce point de vue-là, n’ont rien inventé, sauf l’horrible formule : camps de concentration !
 
Et puis n’y a-t-il pas Dieu en personne, ainsi que l’indiquent leurs pétrodollars, pour les persuader d’être toujours, envers et contre tout, les maîtres du monde, sinon le nouveau peuple élu : In God We Trust !
 
Du reste, je me suis toujours méfié, en ce qui me concerne, de ces séries américaines, depuis « Esprits Criminels » jusqu’à « Experts Manhattan », dont nos télévisions européennes nous abreuvent, quotidiennement, du matin au soir, jusqu’à perturber, parfois, le fragile cerveau de nos adolescents. Davantage : elles m’ont toujours donné froid dans le dos, glacé le sang : « FBI, au nom de la loi je vous arrête ; tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous », s’en va souvent s’exclamant, le doigt sur la gâchette, prêt à faire feu, un de ces « lieutenants », particulièrement zélés.
 
C’est dire si la présomption d’innocence, chez les Yankees, s’avère, à l’inverse de ce que pensent les Français, un mot creux, un concept vide de sens, un slogan ayant tout de l’hypocrisie. Pis : c’est bien plutôt la présomption de culpabilité qui y fait son impitoyable loi, jusqu’à ce que l’accusé réussisse à prouver, encore et toujours, son innocence.
 
Et les fameux « Experts Manhattan », justement : c’est cette police criminelle de New York précisément - NYPD, dans le langage ciné-télévisuel - qui vient de faire mettre sous les verrous, avec ses indices « scientifiques » et ses preuves « mathématiques », ses enquêteurs incorruptibles et ses procureurs intraitables, ses indomptables héros des temps présents, DSK.
 
Un DSK à qui, pour corser cette navrante et cruelle affaire, l’on n’a pas encore accordé le droit, pourtant élémentaire en toute justice digne de ce nom, d’émettre le moindre mot en guise de défense, mais que la presse américaine s’est pourtant empressée de comparer déjà, à grands renforts de titres les uns plus vulgaires et plus odieux que les autres, à ces monstrueux violeurs en série, ces pathétiques mais dangereux serial killers et autres psychopathes tout aussi cinglés, peuplant l’imaginaire collectif de ses concitoyens.
 
Sauf que, dans le cas présent, le film est devenu tout à coup réel : ces séries américaines ont fait soudain irruption, via les images passées en boucle dans les différents journaux télévisés nationaux, au cœur des foyers français. Le principe de réalité vient d’y faire brutalement place, de la plus sidérante des manières, au principe de rêve, fut-il, paradoxalement, cauchemardesque. American psycho !
 
C’est effrayant, et j’ai hélas bien peur que, pour DSK, quels que soient nos appels à la clémence, à un traitement un peu plus digne et humain en sa faveur, ce soit là vraiment le clap de fin : « my friend, this is the end », chantait, de sa voix cassée, quelque peu nostalgique, feu Jim Morrison, qui, souvent pourchassé lui aussi pour outrage aux mœurs, préféra, en incorrigible mais bon poète qu’il était, venir s’échouer, pour échapper à la beuglante meute américaine, sous le doux ciel parisien.

 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
 

* Philosophe, écrivain, auteur de « Philosophie du Dandysme », « Le Dandysme, dernier éclat d’héroïsme » (Presses Universitaires de France) et « Oscar Wilde » (Gallimard - Folio Biographies), professeur à l’Ecole Supérieure de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège et au « Collège Belgique », sous l’égide de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique et le parrainage du Collège de France.


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