Du 11 septembre 2001 au 11 septembre 2012, une décennie horribilis pourrie
par Bernard Dugué
dimanche 23 septembre 2012
Le tournant des événements incite à réfléchir sur les circonstances ayant mené vers ce qu’on peut appeler le marasme du début des années 2010. Quelles décisions, quelles orientations ont marqué les années précédentes du sceau du dysfonctionnement, voire de l’erreur ? Quels signaux forts ont été envoyés aux citoyens afin qu’ils prennent conscience de l’impasse actuelle dans laquelle se situe le système occidental dont certains disent avec pertinence qu’il marche sur la tête ? Essayons de pointer quelques faits importants dont la juxtaposition trace un tableau d’ensemble représentant un système à la dérive. Avec quelques signaux comme ce 11 septembre 2012 où fut assassiné un ambassadeur américain à Benghazi, clôturant en quelque sorte une séquence agitée dans les pays arabes et qui s’inscrit dans une décennie pas vraiment sereine.
Il y a ce 11 septembre 2001 qui fit couler tant d’encre, puis de sang avec les suites données à cet événement tragiques par l’administration Bush et sa doctrine de l’axe du mal. Ce 11 septembre n’était peut-être pas ce problème islam radical, Ben Laden, Al Qaïda et talibans de Kaboul. C’était aussi un contexte impérialiste américain, une hégémonie d’hyperpuissance pour parler comme les géopolitologues d’antan, et certainement un problème intérieur aux Etats-Unis dont le système de sécurité a révélé quelques failles, pour ne pas dire quelque malveillance si l’on admet un improbable inside job exécuté par d’obscurs agents locaux, spécialité s’il en est des services américains. Autant le renforcement des dispositifs de sécurité pouvait être justifié, autant l’intervention apparemment précipitée en Afghanistan, puis apparemment improvisée en Irak, ne se justifiaient pas. On connaît le résultat. C’est un fiasco, sauf évidemment pour les fabricants d’armes qui ont vendu pas mal de matos. Les interventions militaires des Américains et de leurs alliés étaient certes bien préparées comme le veut le commandement militaire mais en complète inadéquation avec la psychologie des populations envahies par des armées étrangères. D’où le chaos, autant en Irak qu’en Afghanistan et au final, des tas de gens qui n’étaient pour rien dans l’effondrement des tours jumelles et qui ont péri dans le sang des affrontements militaires et surtout intercommunautaires dans ces pays devenus rapidement hors du contrôle étatique. Les spin doctors ont fait croire aux citoyens démocratiques que ces actions visaient à sécuriser les états occidentaux et rendre plus sûr la planète. Pourtant, le monde est tout aussi instable dix ans après ces interventions. Les citoyens du monde sont obligés de constater, voire subir les conséquences de décisions prises par des dirigeants dont on aimerait bien sonder ce qu’ils ont dans la cervelle.
Quittons les zones obscures de la Maison blanche et du Pentagone pour un détour par l’Elysée et la politique française qui a connu son 11 septembre sous forme de boomerang un certain 21 avril 2002 lorsque le visage de Jean-Marie Le Pen est apparu à la télé. Inutile de pleurnicher. Mieux vaut analyser et comprendre. Sans botter en touche. Lionel Jospin dont on ne peut pas dire qu’il démérita à Matignon ne totalisa que 16 % des votants, soit un électeur sur six. Où sont partis les électeurs de gauche ? On ne prendra pas comme explication unique, voire excuse, la multiplication des candidatures avec M. Chevènement et Mme Taubira, même si on peut penser qu’avec le retrait de candidature de l’une ou de l’autre le destin de Jospin eut été autre. Une autre explication doit être évoquée, celle d’une colère de l’électorat de gauche malmené par l’économie et séduit par un vote protestataire. Arlette Laguiller plus Olivier Besancenot, ce fut 10 points. Retrait de permis pour Jospin exclu du second tour et se retire de la vie politique. La responsabilité de cet échec tient pour une part à ceux qu’on peut juger comme irresponsables et qui sont à la fois les têtes politiques enflées par leur ego et leur narcissisme, prêtes à tout pour exister dans la vie médiatique, et ces citoyens parfois ingrats et coléreux, mus par un populisme pulsionnel se muant en vote protestataire pour signifier leur dégoût de l’establishment politique.
Au cours de cette décennie, la vie politique française n’a guère été glorieuse. Le tournant amorcé par Nicolas Sarkozy a été désastreux pour ce qui est de la conscience politique et du sens donné à l’action publique joué dans la manipulation de l’urgence médiatique. Le constat tracé récemment par Marcel Gauchet est plutôt inquiétant. Les médias ont imposé une sorte de dictature de l’alerte, avec l’appui des réseaux sociaux et ces nouvelles chaînes de la TNT diffusant un streaming de dépêches. Du coup, les médias appuient sur l’émotionnel et l’instant, engendrant deux processus intenses mais par encore bien cerné selon Gauchet, la saturation et l’oubli. Autant dire que cette tendance ne va pas dans le sens d’un renforcement de la conscience politique. C’est même l’inverse. Ce qui est essentiel, important, porteur de sens, est complètement dissout dans le flux émotionnel des images et bavardages. Le délitement de la vie politique s’est donc accentué pendant ces dix dernières années marquées également par une sorte de calamité sociologique que représente cette télé réalité où des individus sont placés comme des rats en cage avec à leur disposition le vocabulaire d’un gosse de dix ans, et même moins.
La décennie 2001 2012 a vu aussi se développer les calamités sociales et économiques qui ne se résument pas à la crise financière de 2008. Ces événements étaient prévisibles, en raison de la structure de l’appareil hyper productif et des réseaux financiers, le tout géré par la cupidité et la voracité des classes aisées. Aux States, les subprimes non remboursées ont mis à la porte des millions d’américains alors qu’en France, au lieu de favoriser l’accession à la propriété, le législateur a permis aux happy few disposant de quelque liquidités d’acquérir un second logement financé par le crédit bancaire, les réductions fiscales et le loyer perçu. La loi Scellier était une loi scélérate mais Cécile Duflot n’a pas osé la supprimer. Ce n’est qu’une partie des niches fiscales qui ont poussé la France vers le surendettement. Décennie 2000, décennie des mauvais choix, des arbitrages injustes. Et le statut des auto-entrepreneurs, une réussite disent les uns mais 9 sur 10 vivent avec moins d’un Smic. Et que dire de leurs retraites. Bref, cette décennie des mauvais choix a engendré une véritable ségrégation sociale et économique dont on ne voit pas l’issue. L’Allemagne a beau afficher une belle santé économique, elle a ses recalés obligés de travailler pour un euro de l’heure complétant le RSA local. L’Europe a laissé se développer une structure conduisant à l’apartheid social. Voilà le bilan de cette décennie marquée par un euro devant se transformer en heureux. C’est plutôt le cauchemar et une fois de plus, l’irresponsabilité des gouvernants qui ont fait du déficit pour masquer les impuissances économiques.
Années 2000, que d’erreurs, de mensonges. Le Giec, escroquerie du siècle, avec les peurs climatiques. Et le virus H1N1. Un système qui a marché sur la tête. L’ignorance et la bêtise ont gagné des parts de marché cérébral. C’est même tout l’ensemble du système occidental qui marche sur la tête, dans les domaines financiers, culturels, médicaux, écologistes, politiques, scientifiques, médiatiques, économiques, militaires, éducatifs. Avec quelques contrastes locaux évidemment. L’éducation fonctionne bien paraît-il dans les pays scandinaves. Quelques nations ont des comptes publics équilibrés. La science américaine reste encore inventive.
En un mot, il y a dans le système ceux qui vivent dans la peur et ceux qui vivent de la peur. L’analyse du dispositif de vaccination contre la grippe a livré des conclusions philosophiques éclairantes (H1N1 la pandémie de la peur, Xenia). Mais sans doute trop radicales pour des médias qui ont boudé le livre car il n’y avait qu’une alternative. Soit les responsables ont été sages et précautionneux, anticipant des critiques au cas où ça tournerait mal. C’est le système qui en déployant un dispositif sanitaire d’un milliard d’euros se sont protégés en prétextant préserver le peuple. Autre version, le système est corrompu et ce sont les labos qui ont complotés et pilotés cette affaire. Bien évidemment, la thèse du complot ne tient pas la route. Reste la thèse du dysfonctionnement systémique, de l’acharnement technocratique, du relais médiatique de la peur, de la bureaucratie du système de santé. Bref, cette thèse remet en question la structure du système. Elle dérange car elle n’épargne pas les médias. Et d’ailleurs, l’analyse de la pandémie de peur constitue une sorte de paradigme expliquant le dysfonctionnement actuel d’un système qui en fait, a trop de moyens et donc cherche des prétextes pour les utiliser avec la complicité involontaire du système médiatique. Le mélange de la bureaucratie technicienne et de la finance engendre ce dysfonctionnement systémique dont on voit le résultat. Sans oublier le dysfonctionnement psychique des populations alors qu’un dysfonctionnement cognitif gagne les élites qui ne savent plus quel cap suivre. C’est notamment le cas de Hollande, excellent méthodologue mais privé de vision d’avenir.
Le cours systémique peut être explicité par une métaphore qui comme toute métaphore éclaire d’un côté en obscurcissant d’un autre. Un pays occidental comme la France se présente comme un navire socio-productif que les individus poussent alors que d’autres réparent les avaries et qui suit une voie unique, celle de la croissance, allant dans une direction telle que les avaries ne cessent de se produire, avec les inconvénients sociaux que l’on sait et les moyens pour les réparer qui en fait, disposent de moins de financement et sont pas efficace eu égard aux effectifs pléthoriques de ces structures minées par une organisation technocratique. En plus, les objectifs ne sont pas clairement fixés alors les actions publiques ne sont pas déployées là où il existe une nécessité mais en fonction des structures publiques disponibles. En gros, l’Etat et les collectivités cherchent à employer des moyens qu’ils ont mis en place plutôt qu’à cibler des enjeux prioritaires et ajuster les moyens en fonction de stratégies intelligemment pensées. La France la voie de la croissance et s’enfonce progressivement. Et c’est pareil pour bien des pays européens dont les structures publiques diffèrent mais qui sont eux aussi face à un cap qui n’est pas forcément au service d’un bien public. Cette situation n’est pas subite, car elle vient des orientations prises depuis bien longtemps et qui se sont accentuées lors de cette « décennie pourrie »
Finalement, la crise aide à y voir clair. On peut réfléchir à une sorte de délestage bureaucratique et technique, une frugalité qui ne concerne pas seulement les ménages mais aussi l’Etat et tous ces dispositifs bureaucratiques qui bouffent l’argent public en faisant perdre du temps aux gens. La santé mérite elle aussi un délestage, examens, médicaments, opérations inutiles. La décennie horribilis a montré ses failles, ses défauts, ses dysfonctionnements. Le grand mouvement des consciences réunira tous les réfractaires face aux choses inutiles. Tous les défiants vis-à-vis des manipulations médiatiques, politiques, idéologiques et scientifiques. Retrouver la voie constitue bien l’enjeu majeur de ce 21ème siècle mal commencé mais promis à de belles choses si les consciences s’ouvrent.