DU PAIN ET DES JEUX. « Ave Caesar, morituri te salutant »

par Desmaretz Gérard
samedi 11 juin 2016

Le premier combat entre « gladiateurs » (tiré de gladius ou glaive) se serait déroulé en 264 avant notre ère et entre trois paires de combattants payés par les fils de Decius Junius Brutius en hommage à leur père défunt. En l'an 34, Statilius Taurus fit bâtir à Rome le premier théâtre en pierre, construction bientôt imitée par d'autres villes de l'Empire : Vérone, Pola, Syracuse, Pompéi, Capoue, théâtres capables d'accueillir plusieurs milliers de spectateurs. Celui de Pompée disparut le 24 aout 79 sous les cendres du Vésuve, ironie de l'histoire, la construction du Colisée capable d'accueillir 80 000 spectateurs se terminait.

Les gladiateurs étaient soit des volontaires poussés par la misère qui s'engageaient pour plusieurs années en contre-partie d'un salaire, soit des esclaves, des criminels, ou des prisonniers de guerre qui pensaient avoir plus de chances de survivre aux jeux du cirque que harassés de travail au fond d'une mine jusqu'à leur mort. De nombreuses écoles (ludi) appartenant aux communes ou à de riches propriétaires virent le jour. L'école était dirigée par un « lanista  », souvent un ancien gladiateur, et la discipline y était imposée avec une cruauté inhumaine, à la moindre incartade c'était le fouet ou le cachot. Les volontaires prêtaient le serment de se laisser : « battre avec des verges, brûler avec le feu, et tuer par le fer. » Cette passion pour les « jeux du cirque » allait gagner toutes les provinces de l'Empire romain, Nîmes, Lutèce, etc., et s'étendre jusqu'en Afrique.

Les Grecs ne vinrent à cette forme de jeux que plus tard. Leurs lutteurs s'entrainaient au combat en vue des jeux Olympiques. Dans le pancrace, l'ancêtre du catch, tous les coups étaient permis sauf de mordre et de griffer son adversaire, quant aux pugilistes (ancêtres de la boxe moderne), ils étaient gantés d'une ceste, des lamelles de fer qui nous rappellent vaguement un « poing américain » et leurs coups ne connaissaient aucune limite ! Le free fight de l'époque. Les enfants spartiates, les inventeurs du pugilat, destinés à combattre, ne portaient pas de casque afin d'apprendre à se protéger le visage et de s'endurcir sous les coups.

La gladiature présentait différentes catégories : les Retiari , les combattants les plus légers portaient le trident et un filet - les Secutores une épée et un bouclier - les Mirmilliones étaient reconnaissables à leur casque gaulois, les Samnites à leur casque à visière et leur jambière sur la jambe gauche - les Thraces un poignard courbe et un petit bouclier - les Scissors un gant prolongé par une « faucille » et un bouclier - les Dimachères étaient armés de deux dagues - les Hoplomaques étaient porteurs d'une lourde armure et d'un long bouclier - tandis que les Essedari menaient le combat perchés sur leur char de guerre.

Les rangs des gladiateurs appelés à combattre défilaient et s’immobilisaient devant la loge impériale pour prononcer : « Ave Caesar, morituri te salutant » (Ave César, ceux qui vont mourir te saluent). Les armes étaient vérifiées avant la parade ou le combat afin de s'assurer qu'elles étaient conformes, c'est à dire mortelles. Les différentes parties du spectacle étaient annoncées par les trompettes car les combats se succédaient une bonne partie de la journée. Les combats intenses qui exigeaient force et rapidité ne duraient que quelques minutes, rien à voir avec les scènes auxquelles le cinéma nous a habituées. Contrairement à une autre idée largement répandue, on ne venait pas aux arènes pour assister à une mise à mort, mais à un spectacle. Le geste du pouce dirigé vers le sol pour demander l'exécution du combattant malheureux signifiait d'achever le combattant victime d'une blessure grave ! On comprend mieux pourquoi les gladiateurs gravement blessés préféraient le prendre sur soi pour n'en laisser rien paraître... Si le spectateur souhaitait la mise à mort, il dirigeait le pouce le poing fermé vers l'avant, suggérant un coup de pointe du glaive, le poing serré emprisonnant le pouce en son centre symbolisait l'arme remise dans son fourreau, invitant à épargner le combattant. La formation, l'entretien et l'entraînement d'un gladiateur représentaient un investissement important, aussi s'étaient souvent les gladiateurs inexpérimentés ou des prisonniers de guerres enrôlés de force que l'on destinait aux combats à mort.

La ville de Capoue bénéficiait d'une des écoles de gladiateurs les plus renommées, parmi ceux-ci figurait un certain Spartacus qui accusait ses instructeurs de l'avoir marqué au fer rouge. La vie y était si dure, que des gladiateurs « préféraient » se suicider. En 73 avant notre ère, les 200 gladiateurs réduits à l'esclavage qui vivaient dans des cachots souterrains dépourvus de la moindre ouverture, décidèrent d'une évasion collective. Découverts in-extremis, une soixantaine de gladiateurs parvint à maîtriser leurs gardiens et à rejoindre les cuisines où ils s'emparèrent de couteaux et de broches, massacrant tous ceux qui croisèrent leur chemin. Parvenus dans les rues, ils mirent à sac un convoi de chariots transportant des armes et des cuirasses destinées à l'arène, et attendirent en embuscade les soldats romains lancés à leur poursuite qu'ils taillèrent en pièces sans faire de quartier et de s'emparer de leurs armes en remplacement de leurs vulgaires couteaux de cuisine. La plupart d'entre-eux étaient des Gaulois et des Thraces.

Spartacus, désigné comme chef, mena sa petite troupe vers le Vésuve où elle se dissimula dans le cratère du volcan... Les Romains mobilisèrent toutes les forces disponibles pour conduire un siège et en contrôler les issues, délaissant la paroi abrupte. Les fugitifs confectionnèrent des échelles avec des sarments et descendirent un à un et en silence avant de venir se glisser derrière les lignes romaines et de s'enfuir en direction du nord. Leur victoire leur attira de nouveaux venus et il furent bientôt plusieurs milliers ! Après avoir atteint les Alpes, ils se mirent en marche en direction du sud pour au passage piller la campagne « italienne ». Parvenus à l'extrémité de la péninsule, ils furent pris en étau par huit légions romaines. Spartacus fut tué lors de la bataille. Les Romains crucifièrent 6000 hommes le long de la voie reliant Brindisi à Rome passant par Capoue, là où tout avait commencé. D'autres évasions émaillèrent la dure vie des gladiateurs, notamment en 276 et en 282, mais elles se soldèrent toujours par leur extermination. La gladiature perdura jusqu'au IV° siècle. En 365, Valentinien interdit l'internement des condamnés chrétiens dans des écoles de gladiateurs, en 394, l'empereur Théodose interdisait les jeux sur la recommandation de l'évêque de Milan qui jugeait ces combats indécents, Honorius les interdisait à Rome en 404. Les habitants de Lutèce (Paris) allaient continuer à pouvoir assister aux combats contre des animaux jusqu'au VIII° siècle.

 Les grands événements footballistiques ne seraient-ils pas une catharsis générale des couches populaires en réponse à la morosité ambiante ? Pensez ! acheter un nouveau téléviseur dernière technologie pour suivre les matches, quel geste libérateur... Lors de la coupe du monde football de 2010, un politicien nous a rappelé un axiome communiste (le parti des piscines qui a endetté des communes pour des décennies...) : « Le sport est l'opium du peuple ». Avant lui, un ancien ministre du gouvernement de François Mitterrand très versé dans le monde footballistique avait déclaré : « le football est un sport d'ineptes ». Savait-il que le football trouve son origine dans l'« Harpastum », un mélange de foot et de rugby importé par les Romains, « jeu » dans lequel tous les coups étaient permis et qui donna lieu au Moyen-age à une loi interdisant l'homicide ! Cette pratique donna naissance en France à la Soule, « sport » qui fini par être interdit en en raison de sa « bestialité ».

Si on n'élève plus d'arènes, la plupart des complexes sportifs bâtis pour accueillir des jeux pharaoniques coûtent des milliards de débours à la collectivité. En Chine, des habitants ont été contraints à quitter leur quartier sans espoir d'y revenir un jour, les jeux de Sotchi de 2014 on été très largement utilisés pour blanchir de l'argent ! La même année, une partie de la population brésilienne est descendue dans la rue excédée par les dépenses pour le Mondial. Après l'attribution des Jeux olympiques 2016, la même population vit dans l'angoisse du lendemain. La chute du PIB de 3,8% a contraint le Comité d'organisation des Jeux à réduire de 20% son budget... Pour mémoire, la Grèce a dépensé 15 milliards de dollars pour les Jeux de 2004 ! La suite vous la connaissez. Cherchez l'erreur...

Si les empereurs romains désireux de paix sociale savaient mettre à contribution l'adage « du pain et des jeux » au travers des jeux du cirque, les philosophes humanistes nous rappellent que si avec l'argent on peut tout avoir ou presque, une paix sociale durable ne saurait s'acheter. Elle se doit de reposer sur des valeurs librement et sincèrement acceptées. Injecter toujours de plus en plus d’argent sans véritable contrepartie n’a jamais contribué à la disparition des injustices. Et pour cause, il s’agit avant tout d’une déviance de gouvernance politique. La socialisation par une dépendance de quelle que nature qu’elle soit revient à encourager l’assistanat. Pire ! elle contribue à confondre les causes avec les effets ou les conséquences. Agir sur les symptômes d’une maladie n’a jamais éradiqué une épidémie, or la société est confrontée à une pandémie que je me garderais bien de qualifier, même de celle de gabegie.


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