Dualité Spirituel-Temporel
par Jacques-Robert SIMON
mardi 29 mars 2022
Formater une opinion, pour qu’elle accepte son sort sans trop rechigner, est donc l’objet principal de toute catéchèse qu’elle soit religieuse, politique, économique. Il s’agit de faire émerger une ‘intelligence collective’ qui n’est rien d’autre que l’acceptation plus ou moins consciente d’une soumission, soumission nécessaire pour tout groupe organisé et que l’on nomme dans ce cas plutôt discipline.
Mais les gens ont cessé majoritairement de ‘croire’. Certains prétendent que ce fut sous les coups du rationalisme, des Lumières, d’autres avancent que ce fut le résultat d’un bien être généralisé grâce aux révolutions industrielles elles mêmes rendues possibles par l’utilisation massive des énergies fossiles. Quoi qu’il en soit, le Dieu tout puissant passa la main et il se passa ce qu’avait prédit G.K. Chesterton (1874-1936) : « Quand les gens cessent de croire en Dieu ce n’est pas pour croire en rien, c’est pour croire en n’importe quoi. »
Et les n’importe quoi abondèrent !
À l’origine l’église chrétienne favorisait les valeurs qualitatives, spirituelles sur les biens matériels. Le progrès post-religieux annoncé aurait la forme plus prosaïque de l’optimisation des jouissances immédiates et de la recherche des dominations terrestres et non plus divines.
L’un des tous premiers commandements précise : « Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi. » Mais quel dieu pourrait entrer en compétition avec le Dieu-Amour ? Ceux des sortilèges, de la magie, des enchantements, des diableries ? Non ! Le seul maître qui peut surpasser le Dieu-Amour c’est la richesse matérielle :
« Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : ‘Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce.’ En une autre occasion il est précisé : « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où les vers et la rouille gâtent tout, et où les larrons percent et dérobent ; Mais amassez-vous des trésors dans le ciel. »
Le compétiteur temporel du clergé sera l’argent, l’aspect spirituel pour le rendre présentable sera la démocratie, c’est elle qu’on essaiera de saisir sans y arriver, c’est elle qui permettra de rêver, c’est elle qui donnera l’espoir en l’humanité.
Les enfants savent dans leur chair ce qu’est l’Amour, l’apparente toute puissance de leur mère, de leur père les préserve de la médiocrité. La catéchèse est en charge d’en faire de plus ou moins actifs militants, des combattants pour terrasser les autres. Pour les atteindre, il faut donc commencer tôt. Dès 3 ou 4 ans les paroisses proposent des rencontres d’« Éveil à la foi ».
La nouvelle catéchèse, qui prend en compte le fait que Dieu est mort, s’y prend tout autrement. Elle attend que la générosité enfantine disparaisse spontanément pour laisser place aux intérêts, et alors tout est fait pour montrer l’avantage d’avoir beaucoup de n’importe quoi et surtout beaucoup plus que les autres. Il ne s’agit plus de s’élever soi-même au-dessus des contingences bestiales mais tout au contraire de pouvoir les vivre sans limites. Il s’agit de s’élever au-dessus des autres pour se croire supérieur. Amasser un pécule, des biens, une richesse nécessite de dominer le plus grand nombre possible d’Autres. Les officiants pour convaincre les foules ne sont plus en soutane et n’ont pas besoin d’un quelconque livre sacré, ce qui accroit le plaisir est le Bien, le reste se discute au sein de cénacles. Toute forme de sacrifice devient suspecte surtout s’il s’agit de démontrer une volonté de vivre ensemble.
Aucune invention, aucune peinture, aucune musique dignes de ce nom n’ont jamais été faites, peintes, composées pour se montrer supérieurs à autrui, les créateurs ne sont pas les meilleurs, ce sont les seuls qui puissent réaliser une oeuvre donnée. Alors pour régner, il faut utiliser les trucs, les faux-semblants, la rouerie pour s’auto-persuader que l’on est d’une ‘race’ différente, d’une espèce différente qui n’a rien ou presque de commun avec les perdants, les ‘gens-qui-ne-sont-rien’.
Le mot catéchèse provient d’un verbe grec qui signifie « faire résonner ». L’esprit de domination n’a aucun mal à être instillé dans les esprits puisqu’il faut d’immenses efforts pour s’en débarrasser. Il se créé ainsi une élite basée sur la coercition et non pas le talent, elle se croit souvent sincèrement investie de qualités et de missions hors d’atteinte des multitudes.
Il faut toutefois que les classes populaires ne s’aperçoivent pas trop facilement qu’elles travaillent pour une minorité qui les méprise. Une civilisation est toujours associée à élément transcendant qui assure sa cohésion : il peut s’agir d’une sagesse, de coutumes, de dieux... Il est possible de partager un infini ou ce qui n’existe pas. L’accumulation de richesses est certes une vertu unificatrice mais elle est par essence fortement inégalitaire : on ne peut pas (ou très rarement) s’enrichir sans faire travailler autrui. Le cul (pour l’essentiel fantasmé) va permettre de consoler les perdants.
Les intellectuels eurent tôt fait de trouver les théories qui satisfaisaient leurs intérêts et ils purent se répandre dans les média pour annoncer la bonne parole. Personne n’avait jamais douté qu’ils n’y arriveraient pas.