Dupont-Aignan ou le complexe d’Icare

par Nicolas Kirkitadze
dimanche 9 septembre 2018

Sans surprise, le Ballon d'Or a été décerné, pour la cinquième fois de sa carrière, à l'attaquant portugais Cristiano Ronaldo. Le Melon d'Or, quant à lui, a aussi son récipiendaire tout désigné. Cet insigne honneur revient évidemment à Nicolas Dupont-Aignan, le président du parti Debout La France (ou, du moins, de ce qu'il en reste). "Je serai le Trump français", claironnait-il, il y a encore six mois, devant des journalistes goguenards qui lui tendaient le micro en guise d'aumône, oubliant que pour être le "Trump français", il lui manquait l'argent, le charisme… et Melania. L'ancien édile yerrois, dont l'égo est inversement proportionnel au bon sens, continue de nourrir des rêves de grandeur, ne comprenant pas (ou feignant de ne pas comprendre) qu'il est aussi fichu que Vercingétorix à Alésia. Une comparaison qui ne devrait pas ravir notre matamore, lui qui se rêve davantage en Romain qu'en Gaulois. C'est en tout cas ce que me confiait, en pouffant de rire, une ancienne cadre de DLF : selon elle, la couleur mauve du parti aurait été choisie par Dupont-Aignan car elle lui rappelait le pourpre impérial romain dont il aurait aimé se vêtir.

Celui qui a passé l'essentiel de sa campagne présidentielle à jurer que les sondages étaient des charlataneries se sent pousser des ailes depuis la parution… d'un sondage IFOP. Réalisée du 30 au 31 août sur un panel de 1504 personnes, l'enquête prête un score de 6,5% au mouvement souverainiste classé en sixième position, bien derrière la République en Marche et le Rassemblement National. C'est peu, 6,5%, mais pour celui qui a piteusement échoué devant le seuil fatidique des 5% à la présidentielle, c'est l'assurance d'un remboursement intégral des frais de campagne et le mince espoir d'un mandat de cinq ans au Parlement Européen. C'est que la députation nationale ne suffit plus au garçon qui nourrit désormais des ambitions européennes. A ceux qui lui rétorquent qu'il est fort étrange pour un eurosceptique pro-Farage et pro-Salvini de vouloir briguer un poste d'élu européen, il répond que cela lui servira justement à garder un œil sur le "Système", à le surveiller de l'intérieur et à en être le garde-fou. En somme, un Lorenzaccio des temps modernes qui se vautrerait volontairement dans la fange pour sauver la vertu. Louable ambition !

La vérité semble cependant plus prosaïque, surtout pour ceux qui connaissent le train de vie des eurodéputés. Quand on a lu Le Caprice des Dieux de Tina Noiret (ancienne fonctionnaire du Parlement Européen qui raconte le luxe et la débauche dans lequel vivent ces élus d'un parlement sans pouvoir) on comprend pourquoi tant d'eurosceptiques convaincus vendraient père et mère pour y siéger. Un député français gagne une indemnité nette de 5148,77 euros par mois (à quoi s'ajoutent 5570 euros de frais de mandat et 9504 euros pour la rémunération des collaborateurs) et dispose, entre autres, d'un accès gratuit au réseau SNCF et aux taxis. Belle vie, n'est-ce pas ? Mais ce n'est rien à côté du train de vie d'un eurodéputé. Ces élus de luxe perçoivent une indemnité mensuelle de 6250 euros nets par mois et une indemnité forfaitaire de 4299 euros ainsi qu'une indemnité journalière de 304 euros par jour de présence au Parlement Européen. Il faut enfin compter une indemnité de transport annuelle de 4243 euros. Dès 63 ans, les anciens eurodéputés ont droit à une pension d'ancienneté qui peut aller jusqu'à 70% du salaire (soit 4375 euros) une retraite qui est évidemment cumulable avec les pensions nationales. Enfin, ils jouissent d'avantages tels qu'un restaurant trois étoiles à moindres frais, des salles de sport flambant neuves, une agence touristique qui leur est réservée, et l'immunité juridique. A n'en pas douter, si Nicolas Dupont-Aignan est qualifié, il abandonnera bien vite sa maigre fonction de parlementaire pour couler des jours heureux dans les ors bruxello-strasbourgeois, comme il a abandonné son mandat yerrois pour devenir député.

Mais, l'honnêteté nous oblige à l'admettre (et à freiner l'hubris dupont-aignanesque dans l'œuf), maigres sont les chances qu'il soit élu. Premièrement, parce qu'il reste huit mois avant les élections, ce qui en politique représente une éternité : les sondages peuvent grandement fluctuer. Et puis, ces sondages, leur accorde-t-on du crédit ou non ? On ne peut traiter les sondeurs de laquais macroniens quand ils nous prêtent un score médiocre et les portes aux nues si leurs estimations nous sont favorables.

Mais, qu'on se le dise : le principal problème de Debout La France, c'est lui-même : son chef, ses cadres et son inconsistance politique. Nous avons croqué ci-dessus le portrait du leader : au tour de ses cadres à présent. Âmes sensibles, s'abstenir. Tout d'abord, il y a Patrick Mignon, le vice-président : pilote grisonnant qui aime par-dessus tout étaler ses connaissances mathématiques au cours des réunions pour bien faire comprendre sa supériorité à l'auditoire ; un aviateur pour régenter un parti sans cap, il fallait oser. Mayday, Mayday… Le numéro trois n'est guère mieux : Jean-Philippe Tanguy, surnommé "le Samouraï" à cause des années que ce chantre du patriotisme économique a passées dans une entreprise japonaise ; un jeune apparatchik qui a "organisé" la calamiteuse campagne des législatives (affiches et tracts manquants, candidats livrés à eux-mêmes, querelles d'égos) et qui, malgré le programme très conservateur du parti, a ouvertement participé à la Marche des Fiertés LGBT : allant jusqu'à menacer de mort un blogueur catholique qui avait fait état de cette participation. On ne peut ne pas évoquer la benjamine de la famille gaugaulliste : Anne-Sophie Frigout, conseillère nationale à la dignité animale. Non, elle n'est ni agricultrice, ni vétérinaire. Cette jeune citadine de 26 ans est professeur-e d'histoire dans un collège huppé et grande féministe devant l'Eternel-le, laquelle affiche de manière ramenarde un prétendu amour des bêtes cachant à peine une antipathie à peine voilée (oups) envers les Musulman-e-s, comme en témoignent ses déclarations sur le halal et l'animal dans l'islam. Enfin, last but not least, la plumitive intégriste Marion Sigaut. Elle n'est certes plus au sein du mouvement mais elle en a été pendant plusieurs années membre du comité dirigeant et conseillère privilégiée de Dupont-Aignan avec lequel elle est toujours en contact, dispensant (selon un cadre démissionnaire) ses conseils sur les questions liées à la famille et à la condition féminine.

Bref, un trombinoscope qui tient plus de la cour des miracles que d'un parti politique. Des portraits à vous faire douter de Darwin. Car, si l'humanité a vraiment parcouru tout ce chemin pour en arriver là, il est peut-être temps de faire demi-tour et de retrouver ce cher Toumaï, qui, aussi poilu et malodorant fut-il, était surement moins nuisible que ce club de mâles narcissiques et de péronnelles arrogantes à la tête du "parti aux 20 000 militants". Un nombre aussi fiable que celui des 75 000 fusillés du Parti Communiste. Car, dans les faits, Debout La France n'est plus que l'ombre de lui-même. A son apogée, entre les régionales de 2015 et les présidentielles de 2017, le parti a pu compter un maximum de 15 0000 à 17 000 adhérents. Mais celui-ci s'est progressivement vidé de ses cadres et de ses militants au fil des louvoiements du Lider Minimo qui n'a pas su donner une direction claire à son mouvement, pas plus qu'il n'a su saisir les opportunités uniques qui s'offraient à lui. Qu'il est dur d'être Lépide quand on se rêve en Cicéron…

Debout La France a en effet subi trois grandes vagues de départs qui l'ont presque entièrement dépeuplé. La première est intervenue durant l'entre-deux-tours, lorsque Dupont-Aignan a annoncé, après une rapide consultation des cadres qu'il a à peine écoutés, son ralliement à Marine Le Pen. Le fond de commerce du parti avait de tout temps été une opposition tant aux partis du "Système" qu'aux extrêmes : et voilà que le champion autoproclamé du gaullisme se jetait dans les bras de la fille Le Pen. Plusieurs milliers de militants et quelques dizaines de cadres (dont les deux vice-présidents) ont alors claqué la porte du parti. La deuxième vague de départs fit suite à la rupture surprise de l'accord FN-DLF, à la veille des législatives. Ceux qui étaient pour l'alliance avec le FN ont alors massivement démissionné du parti pour rejoindre Marine Le Pen, comprenant à juste titre qu'ils n'avaient aucune perspective de carrière en restant aux côtés d'un invertébré politique qui faisait et défaisait les alliances selon son humeur. La dernière vague de démissions intervint enfin en automne dernier, après les appels du pied à peine masqués de Dupont-Aignan envers Wauquiez et la droite catho. Voilà un homme qui, en six mois, a réussi à mécontenter aussi bien les patriotes de droite que les partisans du FN et les patriotes de gauche. Or, l'électorat typique de DLF était justement constitué de Français patriotes qui souhaitaient un juste milieu entre des partis classiques affairistes et un FN dangereux. Dupont-Aignan tire une jouissance presque charnelle à se victimiser et à se prétendre persécuté par le "Système" : c'est pourtant tout seul, sans l'aide de personne, qu'il a saboté son parti, à force de louvoiements et d'inconstance.

La grande question, que nombre de politologues et de journalistes se sont posée, est de connaître les raisons qui ont poussé le président de DLF à rompre l'accord conclu avec le FN. Un accord juteux qui lui promettait cinquante circonscriptions sans adversaires frontistes. Cette décision apparaît d'autant plus stupide que le parti avait perdu un quart de ses adhérents suite à cet accord, et voilà qu'il le déchirait, ouvrant la voie à la démission de ceux qui étaient restés. La réponse se trouve encore une fois dans l'égo incommensurable du personnage. Cinquante circonscriptions ? Pourquoi se contenter de si peu quand il pouvait avoir 500 députés et former un gouvernement ? Il a donc décidé de tourner le dos à Marine Le Pen et de lancer son parti seul à l'attaque des 577 circonscriptions. Non seulement le FN a présenté des candidats contre lui, mais il s'agissait même parfois d'anciens cadres de DLF qui avaient quitté leur parti d'origine. Le résultat de cette stratégie perdante, nous le connaissons : le seul député à entrer au Parlement sous l'étiquette DLF fut Dupont-Aignan lui-même, élu à grand peine.

Aujourd'hui, le "parti aux 20 000 militants" ne compterait qu'à peine 8 000 adhérents lassés des pitreries de leur chef. Dans nombre de départements, comme l'Orne et le Calvados, les fédérations n'existent tout simplement plus puisque les trois vagues successives de démissions ont emporté l'ensemble des cadres et des militants. Mais le Lider Minimo ne s'avoue pas vaincu et nourrit encore des rêves de destin présidentiel. C'est en tout cas ce qu'il laisse entendre dans le courriel envoyé à l'ensemble de ses militants, dans lequel il les convie au VIème Congrès du parti qui se tiendra le 23 septembre au… Cirque d'Hiver, un endroit fort bien choisi.

Si la relative embellie sondagière semble donner des ailes à Dupont-Aignan, il est fort à parier que ces ailes soient celles d'Icare et fondent face au Soleil de la réalité électorale, précipitant l'homme et ses rêves hallucinés dans la mer de l'oubli.


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