E. Macron : « Son idée pour le français » et les nôtres pour le sauver !

par Pasagenoux
mardi 13 février 2018

Le Président de la République a souhaité lancer une réflexion citoyenne sur la promotion et l’apprentissage de la langue française dans le monde. Cette initiative, confiée à l’Institut français, a pour double objectif, celui de mobiliser les acteurs de la présence française à l’international autour des enjeux linguistiques et celui d’aboutir à la définition de propositions concrètes pour moderniser l’usage du français et promouvoir le plurilinguisme. Cette opération est appelée « mon idée pour le français ».

 De prime abord, nous, défenseurs de la langue française et des langues en général, nous devrions être contents d’une telle initiative, cependant, il nous est difficile de ne pas avoir des doutes sur sa réelle portée en France, vu que notre pays est déjà très anglicisé, au point que selon le classement international EF EPI publié le 8 novembre dernier, la France se classe 32e pour ce qui est du niveau en anglais de sa population adulte. La France fait ainsi mieux que dix ex-colonies britanniques ayant toutes l’anglais pour langue co-officielle, comme les Émirats arabes unis, le Qatar, le Sri Lanka ou encore le Pakistan.

Dans ces conditions, comment peut-on demander aux Français de donner des idées pour promouvoir leur langue, alors que tout a été fait pour les angliciser et les persuader, ce faisant, qu’il n’y a pas d’avenir sans l’anglais ?

Il nous est difficile également de ne pas avoir des doutes sur les réelles intentions de M. Macron sur cette opération, vu que notre Président nous donne plus l'impression d'être un VRP de l'anglais que d'être un promoteur de la langue française et du plurilinguisme.

Bien sûr, il ne s'agit pas pour nous d'être négatifs pour le plaisir de nous torturer l'esprit, mais que penser, tout de même, du "Made for Sharing" du Comité de candidature de Paris-2024 que M. Macron a soutenu, alors que des associations de défense de la langue française l'avaient condamné, ainsi que l'Académie française ? ;  

que penser aussi du fait que M. Macron ait laissé la délégation française de candidature de Paris-2024 s'exprimer majoritairement en anglais à Lausanne et à Lima devant les membres du CIO, alors que le français a le statut officiel de première langue de l'Olympisme (art.24 de la Charte olympique) et que chaque membre du CIO disposait, qui plus est, de la traduction simultanée ? ;  

que penser du "Make our planet great again" que M. Macron a lancé aux yeux du monde entier ? Est-ce ainsi que l'on fait la publicité du français ? ; 

que penser du "One Planet Summit", un Sommet sur le climat que M. Macron a initié ? ; 

que penser encore du "Choose France - International Business Summit " qu'il a organisé à Versailles, le 22 janvier dernier, un Sommet où tout s'est fait en anglais, la langue de la République ayant servi de paillasson à l'entrée ? 

À noter également que pendant que se déroulait le sommet de Versailles, le Premier ministre, M. Édouard Philippe prononçait un discours en anglais au "Youth and Leaders Summit", à Sciences Po, à Paris. 

On pourrait noter encore que dans le cadre du lancement de l’initiative "French Impact" (encore de l'anglais !), Christophe Itier, le Haut-commissaire à l’Économie Sociale et Solidaire et à l’Innovation Sociale a lancé le 18 janvier dernier, avec la Caisse des Dépôts, l’appel à projets "Pionniers French Impact" (encore et toujours de l'anglais !). 

Et que dire de l’Institut français qui, chargé de diffuser cette opération, se présente sur la Toile avec un site qui n’a que l’anglais comme version étrangère, alors que respecter l’esprit de la loi Toubon et l’idée même du plurilinguisme, aurait exigé que le site fût au moins traduit EN DEUX ÉTRANGÈRES (art. 4 de la loi n°94-665) ?   

Faut-il le dire aussi, ces messieurs, dames de l’Institut n’ont pas l’air de connaître le mot français « COURRIEL », puisque dans leurs formulaires de contact, ce sont les termes anglais "e-mail" et "mail" qui apparaissent !  

Oui, nous voudrions bien avoir un avis positif de l'opération « Mon idée pour le français » de M. Macron, mais cela est tout de même difficile pour nous, au vu de toute l’anglomanie que dégage, crée et soutient notre Président. 

Difficile de croire aussi que M. Macron soutient le plurilinguisme, alors que transparaît de sa personne, un homme bilingue français-anglais et non pas un homme ouvert aux langues étrangères dans leur diversité.  

Par exemple, pourquoi s'est-il exprimé en anglais le 10 janvier 2017 devant les étudiants allemands de l'Université Humboldt de Berlin ? Ceux qui, dans cette université, ont appris le français, ont dû apprécier ! ;  

Intervention en anglais, de M.Macron, à l’université Humboldt de Berlin, le 10 janvier 2017

pourquoi, lorsqu'on a fêté le 55e anniversaire du traité de l'Élysée, M. Macron n'a-t-il pas mis en avant avec son homologue allemand, l'enseignement mutuel de nos langues dans nos pays respectifs ? Pourtant, Konrad Adenauer et Charles de Gaulle s'étaient engagés, lors de la signature de ce traité en 1963, de développer respectivement l'enseignement de l'allemand en France et du français en Allemagne, et pour quel résultat aujourd'hui : M. Macron parle en anglais à Mme Merckel (bonjour le Traité de l’Élysée, bonjour le plurilinguisme !) ; 

et pourquoi continuer a donné la priorité dans nos écoles, à l'enseignement de l'anglais (obligatoire dès le CP), délaissant ainsi les grandes langues de nos voisins immédiats : l'espagnol, l'italien et l'allemand (difficile, voire impossible, d'apprendre aujourd'hui, une de ces langues en LV1) ? Etc.

Alors oui, n’est-on pas en droit de se poser des questions sur l'initiative de M. Macron, une initiative qui pourrait cacher une réalité : la démolition en cours de la langue française, de la Francophonie et du plurilinguisme, une démolition organisée par l’anglosphère et soutenue de près, de très près, par de serviles collaborateurs franco-français, en France même. 

Voici les principaux aspects de cette démolition en cours :

1) En France

- Enseignement : basculement progressif vers l’anglais dans l’enseignement Supérieur et la Recherche, les garde-fous de la loi Fioraso étant ignorés et piétinés, sans sanction des tribunaux administratifs saisis de recours par nos associations. Pourtant, selon l’article 2 de la loi du 22 juillet 2013, dite « loi Fioraso », le tout-anglais est interdit dans l'enseignement Supérieur et la Recherche, mais la loi est appliquée avec mollesse par le ministère, ce qui fait que plus de 800 masters délivrés dans les écoles de management, écoles d'ingénieurs et universités, le sont de manière virtuellement illégale en attendant une hypothétique invalidation par le Conseil d'État ; 

réduction des horaires de français, de littérature, d’histoire, dans le primaire et le secondaire ; marginalisation des langues anciennes, et des langues vivantes autres que l’anglais. Choix gouvernemental délibéré et outrancier de l’anglais omniprésent, bientôt jusque dans l’école maternelle ;

- Médias : cinéma, télévision, organes de publicité, producteurs de « variétés » et de chansons, avec la complicité active des « collabos de la pub et du fric » (dixit, le Pr Michel Serres), et la complaisance des contrôleurs publics (CSA, BVP…), mettent de l’anglais partout. Nous en sommes rendus au point que, pour le concours de l’Eurovision de la chanson, il faille se battre chaque année pour que la France y chante en français et que la personne qui donne les points du jury français (l’an dernier, Élodie Gossuin) les donne en français et non pas en bilingue français-anglais ! 

Pourquoi, sur France Inter, radio publique, n’emploie-t-on pas les termes français : « infolettre » et « courriel » ? Que fait le CSA ?

- Entreprises : basculement de nombre d’entreprises au tout-à-l’anglais, entraînant souffrance au travail pour le personnel, risques et insécurité dans la maîtrise des processus de production, viol de la dignité de nos compatriotes, recrutement de cadres « anglais maternel exigé », contraire au principe d’égalité.

- Pouvoirs publics hors enseignement : les autorités censées faire respecter la loi le font peu, au point que la fameuse loi Toubon régissant l’emploi de la langue française en France, est bafouée à longueur de journée. Récemment, il a même fallu que notre association fasse un procès à l’Université de Paris Sciences et Lettres (PSL) pour que son président daigne enlever le logo Research University. Et que dire des responsables publics qui encouragent l’anglomanie en subventionnant des manifestations publiques dont les dénominations sont en anglais (Fashion Week, Parisian Games Week, Digital Summit, DigiWorld Week, Let’s Grau, Sèvres Outdoors, OPENîmes, etc.), et des entreprises publiques qui participent à l’anglolâtrie générale avec des produits comme : Smart Navigo francilien, City Pass parisien, TGV Family, id Night by iDTGV, The Christmas fever, by Orange… nommés en globiche. 

Que penser aussi de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) qui ne   répond même pas à une demande de renseignement que nous lui avons adressée (voir, la lettre de l'Afrav à Loïc  Depecker : https://www.francophonie-avenir.com/Archives/A-Loic-Depecker-au-sujet-de-l-affaire-Lorraine-Airport-octobre-2017.pdf) ?  

L’Afrav condamnée à verser 1513 euros à l’aéroport de Metz-Nancy-Lorraine, alors qu’elle voulait défendre la langue française contre l’humiliante appellation anglaise : Lorraine Airport. Pour le coup, le juge n’a même pas tenu compte de l’état financier de l’Afrav, comme pourtant l’article 75 de la loi n°647 du 10 juillet 1991 l’y invitait.

2) Par l’Union Européenne (UE)

- Marginalisation constante, en petites étapes, des langues officielles européennes autres que l’anglais devenu    aujourd’hui quasi monopolistique dans la production de textes ; étranglement croissant de la traduction en d’autres langues, obligation faite aux administrations des États membres de répondre en anglais ;

- Obligation faite aux pays francophones du Sud souhaitant obtenir des aides du Fonds européen de Développement (FED) de présenter leurs dossiers uniquement en anglais.

3) Par l’anglosphère :

démantèlement de la Francophonie - Québec, Wallonie, communautés acadiennes et canadiennes hors-Québec, de langue maternelle française, subissent des politiques de lent et efficace étranglement.

- Britanniques et surtout États-uniens ont œuvré avec succès pour faire passer du français à l’anglais le Laos, le Cambodge, le Vietnam, puis le Ruanda.

- Depuis longtemps, l’anglosphère œuvre au changement de langue seconde dans la plupart des pays en développement membres de cette Francophonie à l’énorme potentiel selon les rapports du député Pouria Amirshahi (2013), puis de Jacques Attali (2014). Les principaux pays visés sont les plus stratégiques : R.D.Congo, Gabon, Maroc, Tunisie, Sénégal, Côte d’Ivoire, Madagascar, Haïti, Liban…

Forts de toutes ces constatations, nous voudrions dire à M. Macron qu’il ne s’agit pas seulement d’organiser la PROMOTION de notre langue, mais qu’il faut également organiser sa DÉFENSE, sa défense contre les prédateurs qui ne pensent qu’à la faire disparaître, de la scène internationale, notamment. Pour prendre un exemple concret, à quoi servirait de « promouvoir » l’élevage de poules en plein air, si rien n’était fait par ailleurs pour les « défendre » contre la voracité du renard ? Il faut donc lier « promotion » et « défense », et en cela, nous demandons instamment à M. Macron de faire quelque chose pour la langue française qui ne soit pas que de la communication, mais quelque chose comme : 

1. Remettre à sa due place, première et prioritaire, la langue française dans les écoles maternelles, primaires, secondaires et professionnelles, en accroissant les horaires de son étude, les niveaux de formation des maîtres et d’exigence de qualité et en optant pour des méthodes éprouvées d’apprentissage (méthode syllabique, méthode Freinet…).

2. Imposer le français majoritaire dans toutes les formations diplômantes des universités et grandes écoles françaises.

3. Proposer une loi Toubon renforcée de protection de la langue française et du plurilinguisme, une loi de type Loi 101 du Québec, et la faire appliquer, en instituant un véritable « droit au français », dans les entreprises, dans l’affichage, dans la publicité, dans le numérique, dans la nouvelle  technologie, etc..

4. Accroître les aides publiques aux institutions officielles et associations chargées de développer les productions terminologiques et les traductions, et mettre obligatoirement les journalistes et le personnel travaillant pour le Service public de la télévision et de la radio en relation directe avec ces institutions et associations. 

Est-il normal d’être décorés des Arts et des Lettres, ici les Shaka Ponk, lorsqu’on est Français et que l’on préfère chanter en anglais ?

5. Promouvoir la communication scientifique en français ; réserver les subventions aux colloques et manifestations en France à ceux qui accordent un droit de cité réel au français. N’accorder de subventions publiques qu’au cinéma français qui se joue en français, et plus globalement, qu’aux artistes dont l’œuvre s’exprime en français. 

6. Veiller au rétablissement de la diversité réelle des langues étrangères enseignées dans nos écoles en LV1 (première langue étrangère apprise), et veiller au rétablissement de la diversité réelle des langues étrangères offertes dans les concours d’accès à la fonction et aux services publics, et pas d’anglais obligatoire pour le concours de la Magistrature. 

7. Enjoindre aux administrations publiques de ne pas traiter les documents de travail reçus uniquement en langue étrangère, et de ne répondre qu’en français.

 8. Exiger des organismes publics de contrôle des médias et de la publicité, un respect strict, assorti de sanctions réelles, pour ceux qui ne respecteraient pas la loi régissant l’emploi de la langue française.

9. Instaurer une prime « Franco-Responsable » pour les entreprises qui jouent la carte de la langue française, de la Francophonie et du plurilinguisme : nom de l’entreprise en français, musique d’ambiance - s’il y en a -, majoritairement en français (80%), le reste étant réservé aux langues du monde ; communication en français en France et en Francophonie ; communication en bilingue langue du pays-français, pour les pays non francophones ; emploi systématique des équivalents français aux mots étrangers, équivalents pris dans le registre de France Terme ou dans le dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, et encouragement à la création de néologismes d’essence francophone lorsque l’équivalent français n’existe pas encore (exemple : « meuneuriat », « cheffériat » pour "leardership"), etc. 

10. Rétablir, puis accroître, le niveau de financement de l’action culturelle à l’étranger : écoles et lycées ; filières universitaires ; instituts et centres de langue et de culture, de recherche et de soins, Alliances françaises et O.N.G. travaillant en Francophonie.

11. Mettre en place un Erasmus francophone et une Académie francophone internationale de la langue   française pour l’élaboration en commun d’un dictionnaire officiel du français international.

12. Augmenter l’aide française au développement, et la concentrer sur les pays francophones et francisants, notamment d’Afrique. 

13. Faire respecter le statut existant du français langue officielle et de travail dans diverses institutions internationales, européennes au premier chef, et à l’Office des Brevets.

14. Contester officiellement, en Conseil européen, le statut de l’anglais langue officielle des institutions de l’UE, afin de tirer – là aussi – toutes les conséquences du Brexit.

15. Engager, avec nos partenaires dans l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), une négociation d’ensemble pour en faire, dans une relation de respect mutuel, une Communauté de solidarité réelle à la fois linguistique et de développement concerté, notamment en la rapprochant d’une valorisation enfin accrue tant de nos départements et territoires d’outre-mer que de notre vaste espace maritime, le deuxième du monde.

16. Puisque l’Eurovision est devenue l’Anglovision, faire en sorte que la France quitte ce concours et que l’argent consacré à l'Eurovision aille au Concours de la chanson des Jeux de la Francophonie, un concours qui a lieu chaque quatre ans sous l'égide de l’organisation internationale de la francophonie (OIF). Pour le coup, et pour la grandeur de l'affaire, les Alliances françaises du monde entier, ainsi que toutes les radios et télévisions publiques des pays concernés, seraient mobilisées.

Voilà « Nos idées » pour que cesse l’assassinat programmé de la langue française. 

Puisse M. Macron tenir compte de nos remarques, puisse-t-il aussi allier « promotion » et « défense » pour que la « promotion » ne se fasse pas manger par le premier prédateur venu, puisse-t-il enfin adopter, comme nous, la maxime du philosophe et patriote québécois Pierre Bourgault : « lorsque nous défendons le français chez nous, ce sont toutes les langues du monde que nous défendons contre l’hégémonie d’une seule ».  
 

Régis Ravat,

Président de l’Afrav,

alias Pasagenoux

 

 


Lire l'article complet, et les commentaires