EADS : la vieille dame passe à la question !

par Aimé FAY
mercredi 10 octobre 2007

Qui est cette vénérable vieille dame créée le 28 avril 1816 ? C’est la Caisse des dépôts et consignations, couramment appelée la CDC ou la Caisse ! Elle jouit d’un statut unique et spécial qui lui permet d’agir pour l’intérêt général de la nation, sous la surveillance et la garantie de l’autorité législative. Cependant, l’Assemblée nationale ne nomme pas son directeur. Il est nommé par le chef d’Etat. Mais, il est « surveillé », a postériori, par une commission ad hoc dont les membres députés sont nommés par la même majorité dont est issu le chef d’Etat, qui a nommé son directeur. Surprenant ! D’autant qu’il faut ajouter qu’un autre membre de la commission de surveillance est le directeur du Trésor, lui aussi titulaire d’une nomination issue des mêmes rangs.

Comment une telle organisation peut-elle être up to date et fonctionner sans pépins ?

Ce rappel organique est important, car il est structurellement porteur de nombreux dysfonctionnements passés, présents et peut-être futurs dans les nombreux services de l’Etat. Et cela, avec l’argent du contribuable, rappelons-le !

Dans ce contexte déjà un peu chargé pour la vieille dame de 191 ans, que nous apprend la suite de son audition.

Eh bien, on continue dans l’irrationnel. La Caisse savait quasiment tout. Du moins tout ce que le marché savait ! Pour elle, le marché semble vraiment être une entité parfaite. Quand un analyste du marché sait quelque chose, tout le marché le sait forcément. Pour la Caisse, c’est mécanique. C’est décrit dans les livres d’économie politique. Rien n’est caché. Ainsi, les six mois de retard sur l’A380 étaient connus de la CDC. Et, le fait que la vente en France par Lagardère se faisait concomitamment à celle de Daimler en Allemagne, via une procédure proche des enchères - (? ?) -, était aussi connu. Mais, avant d’acheter, la CDC dit avec la plus extrême précaution, avoir attendu que d’autres institutionnels achètent. Donc, en faisant cela, elle a douté de la viabilité de son projet ! Pourtant elle l’a concrétisé.

Par ailleurs, les titres EADS lui ont été conseillés par ses banquiers conseils. L’audition du directeur financier Dominique Marcel, nous apprend qu’ils étaient au nombre de... un. En l’espèce, la très connue banque d’investissement IXIS CIB. Connue surtout de la CDC, pour avoir été tout simplement son ancienne filiale.

Par ailleurs, la Caisse a aussi eu la prudence de suivre l’avis de ses conseils. On apprend qu’ils sont basés sur de simples informations banales du marché. Ils disaient que le marché était porteur sur EADS, pour autant qu’on s’inscrive dans le long terme. Et, la CDC, c’est vraiment du long terme. Donc, elle devait y aller.

On rappelle ici que la note de l’APE, faite au ministre Breton, disait qu’à moyen terme, il n’était pas exclu que le marché des avions se retourne car, en fin de cycle. L’APE basait son analyse sur l’avis de dix-neuf analystes. La CDC suivait, quant à elle la moutonnerie du marché !

L’audition nous apprend aussi qu’IXIS CIB est l’intermédiaire financier du marché qui a fait affaire avec Lagardère. Son interlocuteur privilégié pour intervenir sur le marché, normal. IXIS CIB a même monté un produit spécifique, qui fera bénéficier Lagardère des hausses du cours EADS mais, pas des pertes. Hallucinant ! Ensuite pour se couvrir des aléas bousiers, l’ancienne filiale de la CDC va voir son ancienne maison mère, la Caisse, pour lui vendre les fameuses actions EADS au cours de 32,60 euros, dans un contrat à terme. Fabuleux !

Résumons : Lagardère vend EADS à IXIS CIB qui le "fourgue" à la CDC.
Y a-t-il eu vente dolosive (article 1116 du cc) de Lagardère à IXIS CIB ? Y a-t-il eu vente dolosive entre IXIS CIB et la CDC ?

Qui savait quoi sur la future mauvaise affaire que l’autre ne savait pas ?
Et puis, comme finit par le dire la CDC, j’ai été mal informée. Je suis la victime. Et, par ailleurs, j’étais surbookée, d’une part par la maladie de mon directeur et d’autre part, par le très difficile dossier de la CNCE (Caisse nationale des caisses d’épargne).

Monsieur le directeur, personne ne vous avait demandé d’acheter EADS ! Personne, et surtout pas l’Etat. Si vous l’avez fait, sans même informer votre tutelle, bien que vous fussiez surbookée, c’est que vous pensiez vraiment que c’était l’affaire du siècle ! Sinon votre histoire ne tient plus. Est-ce votre vendeur IXIS CIB qui vous a mis ce deal dans la tête ?

Bon... finalement, tout cela est intéressant. Mais c’est de la cuisine interne.
Entre une commission de surveillance qui ne surveille rien ; un directeur du Trésor présent mais qui ne peut rien dire ; un directeur général nommé par le chef d’Etat, mais contrôlé a postériori par la représentation nationale ; une ancienne filiale qui conseille et qui vend des titres - peut-être mal achetés - à son ancienne maison mère ; des analyses stratégiques basées sur seulement deux informations de marché... cette audition n’apporte rien à l’affaire du délit d’initié. Rien du tout !

Tout au plus montre-t-elle, comment une usine à gaz peut se construire à partir d’informations peu vérifiées. Un véritable cocktail pour un plantage programmé.

Mais, ce sont les risques du métier de zinzin. Au figuré naturellement. Qui ne s’est jamais planté ? Qui n’a jamais fait confiance à son ancien collègue, en oubliant que ce collègue jouait désormais dans une autre cour ? Qui n’a jamais fait d’erreur en ayant trop de choses vitales à faire en même temps et en oubliant que l’une d’elles n’était finalement pas du même enjeu que les deux autres...

De plus les auditions du directeur du Trésor, M. Musca, et du directeur de la SOGEADE, M. Pontet, confirment qu’ils ne savaient rien. Ou plutôt, tous savaient mais, personne ne pouvait dire mot. Eux aussi étaient réduits au rang de sleeping partners tel que cela avait été conçu par l’invraisemblable pacte d’actionnaires de 1999.

Belle histoire ! Cette journée du mardi 9 octobre 2007 a révélé que l’Etat n’était pas armé, car trop honnête, trop tendre et trop cloisonné, pour jouer dans la cour de loups, toujours présumés innocents.

Mais l’affaire va peut-être rebondir car, ayant mis sa signature au bas d’un contrat léonin, l’Etat a très sûrement favorisé le départ du délit d’initié, peut-être doublé d’une manœuvre dolosive préméditée à l’endroit de la CDC par l’intermédiaire d’un maillon, devenu aujourd’hui important : IXIS.

L’enquête judiciaire s’annonce longue et difficile. L’audition de la banque IXIS CIB devrait éclairer l’instruction du contribuable dans cet obscur dossier où son argent, pourtant si précieux en ce moment pour le pays, a semble-t-il été l’objet des convoitises les plus malsaines depuis le scandale du Crédit lyonnais.


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