Ecole primaire, zone de non-droit au cœur de l’Education nationale

par Alain Michel Robert
vendredi 14 mars 2008

L’histoire que vous allez lire ne se passe pas dans une banlieue difficile, ni dans une zone d’éducation prioritaire, ni même dans un grand centre urbain stressant, mais dans un petit village de Haute-Savoie (450 habitants) lové dans un écrin de verdure face au Mont-Blanc. Un taux de chômage parmi les plus bas de France, une vie associative intense, les gens se connaissent, se parlent entre eux, la vie y est douce et paisible... En résumé, vous écoutez la chanson de Jean-Jacques Goldman Il y a et vous aurez une idée précise du cadre de l’affaire.

Donc, comme dit la chanson, « il y a une petite école avec des bancs de bois... » et, dans cette école (environ 45 élèves répartis en deux classes), un ou deux enfants perturbateurs, trois au maximum, issus de familles difficiles et violentes qui transforment, jour après jour, acte après acte, provocation après provocation, la vie en classe et la cour de récréation en un champ de bataille ravagée par « la guerre »... c’est le mot qu’ils emploient entre eux. Jusque-là, me direz-vous, rien que de très banal, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, ce genre de situation existe depuis toujours, partout. Les plus optimistes me diront que, dans une petite école, primaire de surcroît, deux instituteurs sont largement à même de pouvoir faire respecter le cadre minimum et le respect des uns envers les autres nécessaire à toute vie sociale...

C’est ici que tout commence.

Jeudi soir, 20h30. Réunion des parents d’élèves. Ordre du jour : problèmes de violence à l’école. L’instituteur et l’institutrice racontent, face aux parents abasourdis, une de leur journée type de travail, leurs actions menées pour tenter de faire face à une situation qui se dégrade jour après jour de plus en plus, leurs convocations à la gendarmerie, les provocations continuelles des enfants, vols, croche-patte pour faire tomber dans les escaliers, agressions verbales, jeux violents (le dernier jeu en date est : le jeu du mari qui bat sa femme), passages à tabac de boucs émissaires choisis pour une coupe de cheveux ou pour la couleur d’un pantalon ou d’une jupe qui ne plaît pas aux meneurs, balancement sur la chaise pour cogner répétitivement la table de celui qui est derrière, injures, arrachages de pages de cahier, menaces, représailles dans le car scolaire pour ceux ou celles qui se plaignent au maître, etc., etc.

Mais que font les instituteurs !? C’est la première question qui vient à l’esprit ! Eh bien, les instits tentent de faire leur travail, c’est-à-dire, normalement, un travail pédagogique. Malheureusement, l’espace et le temps réservés à la transmission du savoir sont rongés jour après jour, insidieusement, par le temps réservé à faire la police, à remplir des dossiers pour signaler à leur hiérarchie la dégradation du climat, à remplir des formulaires... En effet, pour qu’une personne extérieure à l’Education nationale puisse rentrer dans une classe il faut remplir un formulaire (au minimum 4 pages). Alors, l’instit remplit des formulaires pour faire venir des intervenants extérieurs : psy, gendarmes, parents, éducateurs... qui tentent d’expliquer aux enfants les règles minimums du respect de l’autre.

L’inspecteur d’académie, lui, ne se déplace pas. Il répond, par courrier, aux parents inquiets que la situation de l’école est normale et que de toute façon, les statistiques montrent qu’il y a un enfant difficile par classe et que c’est donc aux parents et à l’instituteur de se débrouiller avec.

« Se débrouiller avec » ! La phrase semble simple, l’instituteur et l’institutrice font donc avec... Les parents aussi.

La suite de cette histoire est ahurissante et dépasse largement le cadre individuel pour s’inscrire dans celui d’une société malade.

L’instituteur, lui, convoque les parents des enfants violents, certains viennent, d’autres ne viennent pas... Il les convoque de nouveau, par téléphone, parce que les enfants ont collé entre elles les pages du cahier sur lesquelles était écrite la convocation. Une convocation, puis deux, puis trois, puis quatre... Rien n’y fait. Et puis, un jour, l’instit donne une punition sous forme d’un devoir à rendre pour le lendemain. L’enfant le regarde dans les yeux et lui dit : «  De toute façon, je ne le ferai pas !  » Le maître s’approche de lui et lui demande de répéter. L’enfant lui répond : «  Si tu m’approches plus près je dirai à tout le monde que tu m’as frappé.  » L’instit recule. On est dans une classe de CM2.

Mais qu’attend donc le maître pour renvoyer, au moins pour une semaine, l’enfant de l’école !? Une simple petite mise à pied disciplinaire, quoi ! Le maître signale à son inspecteur l’incident. L’inspecteur ne fait rien...

Mais tout ça n’est encore rien, ce que vous allez entendre maintenant est absolument effrayant et peut vous arriver à vous.

Une petite fille de 8 ans reçoit un coup assez violent pendant la récré. Les parents portent plainte à l’inspecteur d’académie. Celui-ci demande au médecin scolaire de venir constater les faits et de faire une enquête. Pendant l’entretien avec la petite fille le médecin lui demande : «  Ton père te tape-t-il ?  » l’enfant, en toute naïveté, lui répond : «  Oui, il me tape  » parce qu’elle a reçu quelques claques et coups de pied aux fesses pendant sa vie d’enfant ! L’entretien se termine et les parents victimes se retrouvent accusés avec menaces qu’on leur retire leur enfant. Vous avez bien lu !

Or, il se trouve que je connais bien ces parents, ce sont des amis, des gens comme vous et moi, la maman est infirmière en pédiatrie, le père est cadre dans une société, des gens absolument normaux qui ne feraient pas de mal à une mouche ni à leurs enfants, mais qui, comme nous tous, ont distribué quelques paires de claques de temps en temps.

Les parents ont porté plainte contre le médecin pour «  Diffamation privée  », l’affaire suit son cours... mais les parents de l’enfant qui a tapé la petite fille, eux, n’ont jamais été inquiétés.

Fait divers, me direz-vous ? Oui, mais un fait divers qui se répète combien de fois par jour dans toutes les écoles de France ? Les instituteurs et les institutrices se retrouvent aujourd’hui à devoir faire face à des violences contre lesquelles ils n’ont aucun moyen de se défendre. On leur demande d’assumer une autorité qu’un enfant de CM2 lui-même sait être de papier pendant que la hiérarchie de l’Education nationale continue de nier la gravité des faits qui leur remontent journellement. La hiérarchie de l’Education nationale est coupée de sa base... navire aveugle au réel naviguant en hyper espace pédagogique. Voir à ce sujet l’article Agoravox du 4 mars 2008 par Paul Villach : « La condamnation de l’agresseur de la professeur Mme Karen Montet-Toutain... »

Rien ne s’arrangera dans les écoles tant que le législateur ne donnera pas aux instituteurs et aux profs les moyens légaux de pouvoir assumer l’autorité qu’on leur demande d’avoir pour nos enfants.


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