EDF et le Nucléaire
par Trelawney
jeudi 7 juin 2018
Le 11 mars 2011 au Japon, un séisme suivi d’un fort tsunami met hors-service le système de refroidissement principal de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Les réacteurs 1, 2 et 3 entrent en fusion et entrainent la plus grave catastrophe nucléaire du XXIe siècle, classée au niveau 7, le plus élevé sur l'échelle internationale des événements nucléaires (INES), au même degré de gravité que la catastrophe de Tchernobyl (1986).
Cet accident a des répercussions mondiales importantes dans les domaines de l'environnement et la santé. Il présente surtout la particularité de poser de nouveaux enjeux non seulement pour le Japon, mais aussi pour le monde et notamment en ce qui concerne son approvisionnement électrique.
En France qui est le pays au monde à posséder les plus de réacteurs nucléaire, une cellule de crise est constitué pour non pas apporter de l’aide au Japon, mais rassurer le monde sur la supposée dangerosité de l’industrie nucléaire. Car dès le début de cette catastrophe, l’état français sait qu’elle sera préjudiciable pour son industrie nucléaire. Alors que les autorités nippones se débattent en pleine catastrophe causée par le séisme et surtout le tsunami qui ravagent le Nord-Est du pays, le président Sarkozy à l’occasion d’une tournée en Asie, fait un rapide croché par le japon. Il veut et obtient une conférence de presse conjointe avec le premier ministre japonais. Il ne veut surtout pas entendre ce que ce ministre a à dire, à savoir : la fin du programme nucléaire japonais. Nicolas Sarkozy déclara que l'heure n'est pas "à la polémique" et défendra une nouvelle fois le choix du nucléaire fait par la France même s'il admet que la situation à Fukushima est "critique".
Si certains pays avaient des doutes concernant la sécurité des telles installations sur leur sol, Fukushima achève de les convaincre et le gouvernement allemand qui avait déjà pris la décision en 1999 d’arrêter son programme nucléaire décide de fermer toutes ses centrales nucléaires à l’horizon 2021. La Suisse par référendum, mais aussi la Belgique, l’Espagne et l’Italie lui emboite le pas. Les USA qui est le plus gros pays producteur d’électricité d’origine nucléaire, arrête 2 chantiers et ne développe plus de réacteurs mettant leur entreprise Westinghouse dans une grosse difficulté financière. Cette société filiale de Toshiba sera déclarée en faillite en 2017. La Chine continue la mise en chantier de 34 réacteurs nucléaire (25 sont en cours de construction), mais n’ira pas au-delà. Elle privilégie tous les investissements vers les énergies renouvelables.
5 ans plus tard, l’industrie du nucléaire tourne au ralenti, ce qui inquiète grandement EDF qui avant d’être un fournisseur d’électricité est un industriel du nucléaire. EDF a repris ce qui reste d’Areva, l’ex fleuron nucléaire français aujourd’hui en faillite. Le 28 juillet 2016 se déroule un conseil d’administration plus que tendu et qui scellera définitivement l’avenir de cette société. Anticipant ce qui va se produire, un des membres du conseil (Gérard Magnin) démissionne. Les 7 membres issus du personnel et des syndicats sont abasourdis pas ce qui se dit. Jean Bernard Levy prend autoritairement la décision de démarrer la construction de deux réacteurs nucléaires EPR similaires à Flamanville à Hinkley Point près de Bristol (Royaume-Uni). Il n’attend pas l’accord du gouvernement britannique sur le "contrat de différence" pour garantir un prix de 92,5 livres le MWH quoi qu'il arrive, (En cas de baisse des prix du marché, le contribuable britannique paierait en théorie la différence) et décide l’ouverture de ce chantier titanesque estimé à plus de 20 milliards d'euros, qui sera donc entièrement financé par EDF. Tous les syndicats, y compris le Medef dénoncent les conditions économiques de cette décision, qui selon eux font courir à l’entreprise un risque financier grave et qui à la lumière du référendum du 23 juin sur le breixit, menace la survie d’EDF. Laurence Parisot présidente du Medef et présente à ce conseil d’administration rappelle que faute d'être épaulé par Areva, l'implication d'EDF est passée de 45 à 66%.
Rien y fait la décision est prise à 11 voix (les représentants de l’état, d’EDF et le PDG) contre 7 (les représentants syndicaux dont le Medef et représentants des salariés).
Jean Bernard Levy par ce coup de force, joue la survie nucléaire chez EDF qui ne fabrique plus que des EPR. A l'heure actuelle, quatre réacteurs EPR sont en construction, deux en Chine, un en France à Flamanville et un dernier en Finlande (ces deux derniers chantiers étant menés par Areva, alors que la maitrise d’œuvre des chinois est confiée à la Chine pour 70% et EDF pour 30%). Tous ont accumulé retards et surcoûts et il n'y a toujours aucun EPR qui fonctionne dans le monde. A Olkiluoto, en Finlande, les travaux ont débuté en 2005, avec une livraison prévue en 2009. Aujourd'hui, la mise en service est annoncée pour 2018. Pour un coût initial prévu de 3 milliards d'euros, Areva avait accumulé 5 milliards de pertes en 2015. A Flamanville, la facture est passée de 3 à 10,5 milliards, la mise en service n'interviendrait pas avant 2018, soit avec sept ans de retard. Si Hinckley Point ne démarre pas, c’est la fin de l’industrie nucléaire française. Le PDG d’EDF et la caste nucléaire qui le suit ne le veut pas, l’état ne le veut pas. Alors EDF comptabilisera les 24 milliards nécessaire dans sa dette, la faisant passer de 37 à 61 milliards d’euros.
En plus d’un chantier techniquement aléatoire comme la construction d’un EPR, EDF doit aussi mener de front le programme « grand carénage » qui consiste par la rénovation et le renforcement des réacteurs en activité à faire passer leur durée de vie de 30 à 40 ans. Ce programme est budgété pour les plus optimistes à 100 milliards d’euro.
Cela ne désengage pas EDF du démantèlement des 11 réacteurs en fin de vie (4 à Bugey, 2 à Fessenheim, 1 à Dampierre, 2 à Tricastin, 2 à Gravelines). L’estimation « fantaisiste » d’EDF est de 350 millions d’euros par réacteurs. Elle a sous évalué le coût de ce démantèlement en ne tenant pas compte, entre autre de la dépollution du sol et des bâtiments, en partant du principe qu’un réacteur sera remplacé par un autre. Elle oublie bien sur la loi sur la transition énergétique qui impose de réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025. L’estimation optimiste pour ce genre de travaux est de 800 millions d’euros par réacteurs, soit un total de 8.8 milliards d’euros. Une seconde tranche de 8 réacteurs (3 à Dampierre, 2 à Tricastin, 2 à Gravelines et 1 à Blaye) arrivant presque dans la continuité de la première.
Voilà donc EDF qui a un chiffre d’affaire moyen de 73 milliards, endetté à hauteur de 154 milliards. Avec ce niveau d’endettement, pour un potentiel d’évolution plus qu’aléatoire, il est moins dangereux d’investir dans les sociétés E Musk qui veut envoyer des gens sur mars, que dans EDF. La seule garantie qu’apporte EDF est qu’importe ce qui arrivera, ce sera l’état (et donc le contribuable) qui détient 84,3% du capital d’EDF qui absorbera les pertes.
J’ouvre une parenthèse pour donner des pistes afin d’essayer de comprendre la logique dans tout cela. Pour avoir travaillé comme sous-traitant avec cette entreprise, dès que vous rencontrez les cadres EDF, deux phénomènes vous sautent aux yeux. EDF est une structure pyramidale où les décisions sont prises unilatéralement par la direction centrale. Votre interlocuteur n’est là que pour débroussailler votre dossier qu’il, une fois complet, transmettra à son directeur qui prendra seul une décision sans appel. A EDF tout ce qui ne touche pas au nucléaire est ennuyeux. Et tous les chefs et ingénieurs d’EDF le savent, si vous ne travaillez pas pour le nucléaire, vous êtes forcément placardisés. Dans ce contexte on peut comprendre que la volonté d’EDF pour préserver coute que coute l’industrie nucléaire soit perçu comme une fuite en avant.
Pendant ce temps les pays s’organisent pour opérer une transition énergétique qui leur permettra à la fois de leur assurer d’une indépendance et d’être le moins polluant possible.
La Chine qui à elle seule concentre 90% des investissements mondiaux en matière d’énergie nucléaire dépense 4 fois plus dans les énergies renouvelables. Pour ce qui est du nucléaire, la Chine vient de fondre ses deux entreprises en une seule. Elle vient de mettre en construction un réacteur de nouvelle génération (réacteur « rapide ») qui sera validé par EDF, car c’était la condition pour que la Chine entre à hauteur de 33% dans le dossier Hinckley Point et minimise ainsi les éventuelles pertes financières. La mise en construction de ce réacteur chinois, plus petit que l’EPR, mais moins gourmand en uranium sonnera le glas des EPR dans le monde.
L’Inde qui en matière d’énergie, n’a jamais eu une politique très claire, réduit sa part de nucléaire. De toute façon Jean Bernard Levy l’a annoncé ; pour diverses raisons, l’Inde ne sera pas un client EDF.
L’Allemagne est un pays à observer avec intérêt. En effet, le gouvernement a annoncé de façon brutale la fermeture de ses réacteurs nucléaire avant 2021. Ce qui oblige ce pays à opérer sa transition énergétique à marche forcée. La particularité de ce pays est qu’en matière de distribution de courant, l’Allemagne a un système très régionaliste et le courant produit en mer Baltique ne fait jamais fonctionner un ordinateur à Munich. Il ne lui est donc pas nécessaire d’avoir de gros hubs de production d’électricité comme l’est une centrale thermique, nucléaire ou un gros barrage. De ce fait l’Alemagne opère sa transition énergétique sur deux plans : 1 – l’investissement et la subvention d’état dans les énergies renouvelables 2- un plan drastique d’économie d’énergie pour réduire de 30% sa consommation d’électricité à l’horizon 2030. L’Allemagne jouit d’une réputation de toujours tenir ses engagements. Attendons de voir si c’est vrai, mais sans être pour autant un optimiste pur et dur, dans ce domaine j’ai tendance à lui faire confiance.
En France, la politique énergétique ne se décide pas à l’assemblée nationale, ni à l’Elysée, mais à EDF. Alors que l’assemblée nationale et le sénat votent une loi pour réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025. EDF annonce sans qu’aucun député, ministre (Hulot, Royal) ou même président (Hollande, Macron) ne trouvent à redire, qu’elle ne fermera aucun réacteur nucléaire avant 2029 hormis ceux de la centrale de Fessenheim, et réitérera son intention d'obtenir l'autorisation d'en garder certains en service jusqu'à 60 ans. En 5 ans, EDF a investi 2 milliards d’euro dans les énergies renouvelables avec 10% pour la France et 90% à l’étranger. La France n’a à aujourd’hui aucun parc éolien offshore et, alors que nous avions dans un passé pas si lointain une supériorité technologique en matière de solaire, le développement en France de cette énergie est anecdotique.
La finalité de tout ceci est facile à déduire. Dans un proche avenir, à cause de difficultés financières qu’elle ne pourra plus surmonter, EDF ne pourra plus fournir d’électricité. L’état devra se séparer de ce monopole comme il le fait actuellement pour la SNCF. Des entreprises allemandes, danoises, chinoises qui se sont adaptées à la transition énergétique, viendront occuper le terrain et nous fournir en électricité avec un prix qu’elles auront décidé et que nous devrons subir, pendant que nous contribuerons à payer avec nos impôts une dette de plus de 154 milliards d’euros détenu par une société qui n’existera plus.