Effet de serre et niveau de vie

par PHURIAS
samedi 19 avril 2014

Beaucoup de nos concitoyens pensent que si la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas entreprise avec la vigueur nécessaire, c’est en raison même d’un « manque de courage » des uns (nos politiques ) ou bien à cause des intérêts des lobbys industriels ou agricoles en tous genres qui n’auraient pas du tout d’intérêt à voir se réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Voire !

Mais supposons un instant que les hommes politiques, subitement, se mettent à oeuvrer de manière vigoureuse pour la réduction des gaz à effet de serre et que les industriels et les entreprises en général, fassent de même. Cela signifierait que ces dernières vendraient alors moins de « choses » émettrices de GES c’est-à-dire moins de choses tout court : connaissez-vous des choses, des services, qui pour être produits, acheminés puis vendus ne génèrent pas des émissions de gaz à effet de serre ? Connaissez-vous des moyens de produire plus ou même simplement autant qu’avant en utilisant moins d’énergie– et donc aujourd’hui - avec moins d’énergie fossile tout court : si oui alors on va vous élire roi du monde tout de suite tellement ce talent nous serait précieux. Ceux qui pensent que l’on gaspille l’énergie dans tous les processus de notre économie et qu’il suffit donc de faire la chasse au gaspi devraient quand même garder à l’esprit que tout système qui fonctionne « gaspille de l’énergie » dès lors qu’il fonctionne. Un travailleur manuel ou un cheval qui font des travaux de force doivent manger plus d’énergie et génèrent toujours plus de pertes (chaleur) que des travailleurs assis dans un bureau ; pour produire plus et de manière tout à fait naturelle (à main d’homme ou à pied) il faut toujours manger plus (donc consommer plus d’énergie). S’agit-il d’un gaspillage ? Si l’on veut rationner un travailleur de force il faut en tirer les conséquences et accepter qu’il produise moins ou qu’il marche moins longtemps. Bref qu'il produise moins qu'avant.

Curieusement, nous ne tirons pas la conséquence évidente que si les acteurs économiques (c’est-à-dire à peu près tout le monde), en réduisant les émissions, vendaient in fine moins de choses, nécessairement, nous autres consommateurs achèterions donc moins de choses à la fin. (Comment acheter plus de choses, voir même seulement autant de choses qu’avant si l’activité humaine produit moins de ces choses-là ?). Acheter moins n’est-ce pas (dit d’une autre manière) voir son pouvoir d’achat réduit ?

Par quelle magie voyons-nous sous un jour positif la réduction des émissions de GES alors même que si l’on nous réduisait à tous notre salaire nous nous lèverions immédiatement comme un seul homme pour crier au scandale. Certains pourraient me dire : si je garde mon pouvoir d’achat mais que je consomme en émettant 3 fois moins de gaz à effet de serre qu’avant alors où serait alors le mal ? On pourrait lui répondre : dans beaucoup de cas, pour « émettre » 3 fois moins il vous faudra pratiquement acheter 3 fois moins de choses qu’avant ; cela peut s’envisager soit avec le même salaire qu’avant (dans ce cas votre pouvoir d’achat aura été divisé par 3 en raison de l’inflation) ou bien dans une autre alternative on pourrait envisager de dire : OK je consomme 3 fois moins qu’avant mais, en gardant les 2/3 de mes revenus en réserve, mon pouvoir d’achat est maintenu (n’est-ce pas !). Evidemment le raisonnement ne tient pas la route : si vous ne faites qu’épargner pour consommer moins, vous n’avez pas conservé votre pouvoir d’achat (l’épargne ne servant à rien pourrait être jetée à la rivière ce serait pareil). Et si vous dépensez un jour votre épargne alors oui vous aurez conservé votre pouvoir d’achat initial mais ce jour là vous « émettrez » des gaz à effet de serre au pro-rata de votre dépense. (quand je dis vous émettrez je veux dire que votre consommation aura nécessité en amont des processus ayant généré des gaz à effet de serre).

L’explication de ce paradoxe (on pense qu’en étant vertueux on diminuerait nos émissions de gaz à effet de serre tout en conservant le même niveau de vie qu’avant) vient du fait que les émissions de gaz à effet de serre sont vues comme une sorte de « péché » lié à notre système économique capitaliste. En réduisant les GES on combattrait donc le capitalisme qui aurait alors moins de profits à faire. Très bien OK, mais nous autres alors ? comment pourrions-nous continuer (si ce n’est par le recours à la magie) à vivre comme avant : que trouverions nous à acheter ? 

La réduction globale du niveau de vie moyen des gens est inscrite dans le sillage de la constriction énergétique. Il va falloir s’y faire. Ce n’est pas qu’on le souhaite bien entendu mais c’est que c’est comme ça : c’est sur la Terre que l’on habite, celle d’aujourd’hui et notre niveau de vie ne peut pas s’affranchir de la contrainte physique (combien nous sommes sur Terre et de quelles ressources pouvons-nous disposer par unité de temps). N’importe quel être humain raisonne juste lorsqu’il se trouve confronté à la réalité physique. Mais aujourd’hui on vit un peu loin de ces réalités là. (que connaissaient forcément les paysans et que connaissent encore aujourd'hui ceux qui travaillent encore la matière). On finirait même par croire (en écoutant certains) que l’on pourrait même se passer de l’Agriculture puisque, dans la vie moderne celle-ci représente une part de plus en plus réduite dans la richesse nationale (en l’occurrence 2% du PIB). Je laisse à penser ce qu’il adviendrait si l’on suivait ce raisonnement jusqu’au bout : on arriverait à 100% moderne avec 0% d’agriculture !. Nous mourrions tous à grand échelle et d’une manière 100% moderne.

La transition énergétique est au centre des problèmes qui sont devant nous ; elle devra être faite, de gré (en l'aménageant de manière réfléchie) ou de force (contrainte par la nécessité, avec toute la violence qu'il y a derrière cela). Vivre mieux demain n'est pas impossible mais cela va être difficile et requiérera du Terrien en général beaucoup d'intelligence et beaucoup d'esprit de coopération.

PS : on lira utilement le livre de Jean-Marc Jancovici « Transition énergétique pour tous » qui éclaire beaucoup ces sujets de l’énergie et du climat. Et le Carbone qui est l’unité de compte la plus pertinente aujourd'hui (mais pas la seule évidemment) pour orienter nos choix de vie (ici et maintenant en tous les cas). Il ne se contente pas d’anlyser les choses mais dresse l’ossature d’une transition énergétique où la pensée est fortement étayée.


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