Egalité des chances ou des places ?

par LibreSF
mercredi 9 janvier 2013

 Alors que le gouvernement Ayrault se démène comme il peut, entre pragmatisme, pression externe et cadres de pensée obsolètes, beaucoup s'interrogent sur la rengaine de l'égalité, servie à toutes les sauces (éducation, mariage, fiscalité...).

Principe fondateur de la République française, l'égalité n'appartient ni à la gauche, ni à la droite. Force est pourtant de constater que la première a souvent préempté cette valeur. Mais à trop vouloir l'entonner, la valeur "égalité" s'est démonétisée. Alors, comme pour d'autres (la laïcité par exemple), on lui a rajouté tantôt un adjectif, tantôt un complément. 

Derniers en date : la notion de "l'égalité réelle" (histoire de faire comprendre qu'on ne se contente pas d'incantation). La formule est souvent combinée avec la notion jumelle d'"égalité des places", promue par le sociologue François Dubet (1). Une idée reprise par le Parti au pouvoir, et entonnée à tue-tête par Benoît Hamon lors des dernières universités d'été du PS. L'idée force que défend Dubet, directeur d'études à l'EHESS, est la suivante : l'égalité des chances, qui vise à permettre à chacune et les moyens de disposer des mêmes outils (scolaires en particulier) pour se réaliser, favoriserait la concurrence, les écarts. Tout en étant souhaitable, elle ne doit pas, d'après lui, être prioritaire. Car le risque serait le suivant : "créer la concurrence de tous contre tous au nom de l'égalité des chances".

A l'inverse, ce que François Dubet préconise est la promotion de l'égalité des places. Point d'utopie égalitariste et communiste là-dedans, selon lui, mais un souci volontariste de réduire les inégalités sociales. L'égalité des places "cherche à resserrer la structure des positions sociales sans faire sa priorité de la circulation des individus entre les diverses places inégales." (2) Elle serait préférable pour la confiance, la qualité de la vie sociale et même (prétend-il) pour la réalisation effective de l'égalité des chances. A y regarder de plus près, le joli navire de l'égalité des places (qui porte volontiers le pavillon de l'égalité réelle) se heurte pourtant à plusieurs écueils. En voici deux (parmi d'autres).

Le premier est l'histoire républicaine de la France. Contrairement à ce que Dubet prétend, l'égalité des chances n'est pas une notion qui "s'impose progressivement aujourd'hui", comme s'il s'agissait d'une nouveauté importée et de laquelle il faudrait se méfier. Formulé à l'époque avec d'autres mots, l'égalité des chances n'en est pas moins un principe fondateur et structurant de la République française ! Le tour de passe-passe théorique et historique qui prétendrait remplacer l'égalité des chances par l'égalité des places comme socle de pensée naturel des républicains est intenable.

Second écueil : le dossier scolaire. Les beaux discours sur l'égalité réelle, l'égalité des places, le diplôme pour tous, la diabolisation de la "sélection" etc... ont accéléré le naufrage scolaire actuel : la baisse de niveau, longtemps maquillée par le système clientéliste qui "tient" le paquebot Education Nationale depuis 30 ans, n'est plus contestable et fait trinquer les pauvres en premier (pour eux, pas de cours parts à Acadomia). À force de réduire les écarts, rapprocher les "places", on a nivelé par le bas, découragé l'intelligence, saboté le bel outil républicain qu'était l'école laïque et gratuite.

Rien d'étonnant dès lors si, le 25 août 2012, lorsque Benoît Hamon a invité les socialistes « ne pas perpétuer l’égalité des chances, mais à mettre en place une véritable égalité des places » (sic), il n'a recueilli que "des applaudissement mesurés" (3).

 

(1) François Dubet, De l'égalité des chances à l'égalité des places, Paris, Seuil, 2010.

(2) François Dubet, "Egalité des places, égalité des chances", site Médiapart, 19 mars 2010.

(3) Cité par Bastien Bonnefous, Solferino Blog, site http://partisocialiste.blog.lemonde.fr, 25 août 2012.


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