Eloge de la quenelle
par Emmanuel Glais
jeudi 2 janvier 2014
Nous parlerons de football et de théologie, à la sauce Nantua.
Faut-il couper les bras des footballeurs ?
Sans bras, Maradona n'aurait pas eu l'heur de mettre un but de la main en finale de la coupe du monde 1986 et l'Angleterre aurait peut-être été sacrée championne du monde.
Sans bras droit, le salut fasciste n'existerait pas, du moins pas dans la forme qu'on lui connait.
Le problème de la quenelle – qui ne peut être rien d'autre qu'un salut nazi inversé - c'est qu'il peut se faire des deux bras. Un communicant du PS a même inventé la formidable double quenelle latérale simultanée à l'époque du "changement c'est maintenant".
Mais les temps ont changé et même la simple quenelle est calomniée. Selon des sources sérieuses, le ministère de l'Intérieur aurait chargé celui du redressement productif pour trouver une machine à couper les quenelles. Paradoxalement, l'Iran que défend Dieudonné pourrait inspirer l'industrie française.
C'est être nazi d'être contre le système, puisque le système est parfaitement démocratique.
Le système fonctionne par et pour le peuple. C'est bien connu. Quand on voit l'assemblée nationale ou celle du Bilderberg, comme le sommet de Davos, on se sent représenté. On se dit « c'est le peuple qui s'assemble, qui s'organise ».
Les journalistes n'aiment pas les footballeurs car les footballeurs gagnent plus d'argent qu'eux sans avoir fait d'études. Ce sont des riches illégitimes, écervelés. Qui ne savent pas parler et n'ont pas de plume. On s'étonne qu'Anelka puisse envoyer 3 tweets sans fautes d'orthographe.
Il faut donc couper les bras des footballeurs. A moins qu'on ne prenne le problème à la racine. Pour cela il faudrait stériliser les Beurs (métis et arabes), qui sont majoritaires dans le public de Dieudonné. Un peu à la mode falasha made in IsraHeil.
Anarchisme de la quenelle individuelle
La quenelle est ou bien peut être un geste d'émancipation. Geste anti-système ? Oui. Pourquoi Anelka ne serait pas crédible pour dénoncer le système ? Certes, Javier Poves, ce footballeur pro espagnol qui a arrêté sa carrière en 2011 à l'âge de 24 ans parce que le système du football le dégoûtait, est plus touchant1.
N'empêche, Anelka est au moins contre le système médiatique, clef de voûte du reste, cache-sexe de la mafia, partie émergée de l'iceberg.
Dans sa tenue de bleu, il ne chantait pas la Marseillaise. Il n'a pas obéi aux donneurs d'ordre merdiatiques. Ca ne pardonne pas.
Dieudonné s'affiche régulièrement avec un drapeau français. Bizarre ? Le drapeau français est devenu subversif, étendard du nationalisme le plus virulent, dans la logique illogique de la Pravda hertzienne (ou herlzienne ?).
Quand on observe le ramassis des quenelliers, comment ne pas être frappé par le caractère polymorphe de la quenelle ? Techniquement, l'épaulée ou celle de 175 sont les plus répandues. Mais son côté mystique, insaisissable, réside dans l'immense variété de ses pratiquants. La quenelle n'a pas de contenu ontologique propre. Dans cette optique, la quenelle est un geste individuel et individualiste. C'est un gros merde au système qui nous écrase. Rien de plus qu'un juron adressé à la fabrique géante à gagnants et surtout à perdants.
Anelka est plutôt du côté des gagnants, mais il reste un banlieusard, mauvais ou demi français, mal éduqué. C'est un bâtard pour les purs sangs qui nous disent quoi penser, qui aimer, qui haïr.
Des gens sont prêts à perdre leur travail pour la mettre bien profond, un jour dans leur vie, purement symboliquement, au système. Pour eux la quenelle est juste une parabole pour rappeler que eux aussi sont quelqu'un. Ils vivent comme ils peuvent mais pensent et rient comme ils l'entendent.
Pour l'immense majorité des quenelliers Dieudonné n'est pas un gourou mais un esprit libre qui a réussi. Peut s'additionner à l'admiration devant le talent, celle qu'on a devant la fleur, fragile, au milieu du troupeau de vaches. Dieudonné est en danger, cela ne fait aucun doute. Mais l'esprit qu'il agite est bien plus large que ses narines de nègre qui respirent la haine, plus long aussi que son bras tendu de néo-nazi.
M. M'bala M'bala est dans chaque quenelle d'après le principe chrétien de la consubstantiation, mais chaque quenellier a sa propre histoire, sa propre lecture des choses. Derrière chaque quenelle, il y a un libre arbitre (c'est aussi un principe du christianisme). Chaque quenelle est particulière, unique.
Mystique joyeuse de la quenelle collective
Les quenelles collectives, elles, se veulent joyeuses. Généralement, le sourire est sur les lèvres de ceux qui la pratiquent. Ils se marrent. Ils vivent. Ils disent merde aux pulsions morbides, à la morale laïque. Ils sont bien au-delà du manège infernal de la vie quotidienne engoncée dans l'aigreur de la norme. Ils tentent en toute simplicité de sublimer l'instant, de goûter à la félicité de la célébration d'autre chose que ce qu'on nous propose d'habitude. Rien à voir avec les faces constipées des pratiquants du salut fasciste,
Comme il faut faire un peu de pédagogie avec les profanes, je précise parler volontairement de christianisme et de laïcité en référence possible à l'auteur des one man show 1905 et Rendez-nous Jésus.
Quenelles archéologiques, quenelles sotériologiques
Si Dieudo est J-C, on peut dire que August Landmesser était Moïse. Voyez le faire une quasi quenelle en refusant sobrement de lever le bras droit au milieu d'une foule lobotomisée2.
Et puis il y a Romain le mystique de la quenelle, cancéreux condamné qui a posé hilare devant le scanner de l'hôpital. Dieudonné ne rate plus l'occasion de rendre hommage à Romain, disant : « Il a apporté à la quenelle une dimension héroïque. Face à la mort et face à la peur, eh bien : quenelle !3 »
Interdire la liberté, la vie, la dérision
Va t-on interdire la quenelle ? Et pourquoi pas cet autre geste historiquement philo-nazi que celui du Léhi4 ? Voire les gestes maçonniques (ne seraient-ils pas secrètements fascistes) ?
On peut trouver beaucoup de sens à la quenelle, mais c'est vrai que ce n'est aussi après tout qu'un gimmick de scène comme le dit très bien le premier footballeur pro à l'avoir expérimenté, Mathieu Deplagne5.
La quenelle n'est pas un geste d'aliénation, mais une manifestation du libre arbitre. « Une alternative magnifique au plan de contrainte de Satan », une des « forces qui nous sauveront », pour reprendre l'expression d'un article de théologie de James E. Faust6. Alors, bon Dieu, laissez-nous Dieudo !
1. « Quand j’étais jeune, je jouais pour l’amour du sport, mais plus tu connais le football, plus tu te rends compte que tout n’est qu’argent, que c’est pourri, et tu perds un peu tes illusions. Le football professionnel n’est qu’une affaire d’argent et de corruption. Je ne veux pas faire partie d’un système où les gens gagnent de l’argent grâce à la mort d’autres gens, en Amérique du Sud, en Afrique ou en Asie. À quoi ça sert de gagner de l’argent si vous savez que vous le faites sur le dos de gens qui souffrent ? Je ne veux pas me prostituer comme le font 99% des gens. Ce qu’il faudrait, c’est aller brûler les banques et couper des têtes »
2. http://www.lexpress.fr/actualite/monde/l-homme-qui-refusa-de-faire-le-salut-nazi_1080771.html
3. http://www.femmesdechambre.be/dieudonne-je-veux-aller-en-prison/
4. http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/quand-des-membres-de-la-ldj-posent-145605
5. http://www.bfmtv.com/sport/deplagne-quenelle-n-a-aucune-connotation-raciste-675546.html
6. « Le libre arbitre, qui nous est donné par le plan de notre Père, est une alternative magnifique au plan de contrainte de Satan. Grâce à ce don sublime, nous pouvons croître, nous améliorer, progresser et rechercher la perfection. Sans libre arbitre, nous ne pourrions pas nous développer en tirant les leçons de nos fautes et de nos erreurs, ainsi que de celles des autres. » James E. Faust, « Les forces qui nous sauveront », Le Liahona, janvier 2007
http://www.lds.org/topics/agency/what-the-church-teaches?lang=fra