Elus socialistes, quittez le PS pour construire le Front populaire !

par lucien brenant
mercredi 30 janvier 2013

Lettre ouverte d'un militant de gauche aux élus socialistes de la gauche, appelant à construire le front populaire dont nous avons besoin.

Mesdames, messieurs, dirigeants de ce pays,

Vous avez tous probablement entendu parler de cette enquête menée par l’institut IPSOS, le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès intitulée « France 2013 : les nouvelles fractures ». Elle révèle ce que les gens ordinaires ressentent et expriment depuis des années : le corps social ne fait plus confiance aux élites politiques et économiques. Le Peuple pense à 82% que leurs représentants ne sont mus que par leurs intérêts personnels, ne s’inquiètent pas du déclin du pays, ne s’intéressent pas aux vrais problèmes (le chômage, les problèmes d’argent, etc.). Et force est de constater qu’ils ont en partie raison. Certes, vous n’êtes pas motivés par vos intérêts personnels. Mais vous vivez en vase clos, dans un entre soi avec les autres représentants des élites, « entre soi » qui vous coupe des réalités sociales. Indépendamment des volontés particulières de ses membres, la gauche officielle s’est coupée des gens ordinaires, accusés de « populisme ».

Il n’y a pas lieu de se réjouir que les Français aillent mal. Il n’y a pas lieu de s’en réjouir pour la simple raison que cette configuration, qui n’est pas une configuration typiquement française, est assez proche de ce que nous avons connu en Europe dans les années 1930. Il n’y a pas lieu de s’en réjouir, parce que si cette configuration peut tout à fait « profiter », en termes électoraux, au Front de gauche, elle alimente incontestablement le ressentiment généralisé du Peuple face aux élites. Elle peut parfaitement se traduire par une expression massive des opinions d’extrême droite. Ce phénomène ne résulte nullement des volontés particulières. Un discours moral qui rattache artificiellement les volontés particulières aux causes générales d’un problème structurel est à la fois non-nécessaire et insuffisant. La montée du fascisme en France vient de ce que les gouvernements, avec les meilleures intentions du monde, ne répondent plus aux questions du commun des mortels.

Vous, les socialistes, avez au cours de ces dernières années acquis tous les leviers du pouvoir en France. Nous, à gauche, avons un Président de la République, un Premier ministre, des majorités parlementaires nationales et d’élus dans les collectivités territoriales. Les élus de gauche ont donc tous les moyens d’agir pour sauver ce qui peut l’être.

Pour autant, depuis que vous êtes au pouvoir, vous avez démultiplié les occasions de mal vous faire voir de ce Peuple qui vous critique tant. Les élites ont eu l’occasion d’entendre de nombreux intellectuels s’exprimer sur cette crise. Pourtant, au sein des élites économiques et politiques, les idées néolibérales continuent de prospérer et de produire des métastases. Aucun enseignement n’a été tiré de la crise, des crises à répétition qui frappent le modèle capitaliste depuis des décennies et des siècles. Il faut écouter et lire, s’intéresser à ce que disent les intellectuels de gauche qui sont meilleurs économistes que les économistes orthodoxes.

Les sociologues, économistes hétérodoxes ou anthropologues de l’économie ont non seulement tiré les leçons de la crise, mais un certain nombre d’entre eux l’ont prévue, certains ont même prédit avec une exactitude foudroyante le déroulement de la crise avant qu’elle ne se matérialise. Entre une science économique qui ne prédit rien et des sciences sociales capables de prédire des phénomènes aussi énormes que cette crise, il va de soi que ce ne sont pas les économistes dominants qui doivent être écoutés. Les économistes hétérodoxes en ont expliqué les causes : en déréglementant le système de crédit, nous l’avons complexifié. En faisant reposer la croissance sur le crédit et non sur le salaire, les dirigeants ont fragilisé le système au profit d’un système bancaire qui a généré des profits colossaux, en s’imaginant que le système pourrait être solvable à long terme. La croissance des profits au détriment du salariat a créé les conditions d’une bombe atomique sociale à retardement.

Les récents accords entre le MEDEF (une fraction minoritaire du patronat) et la CFDT (entre autres syndicats minoritaires) signalent que la modération salariale, à l’origine de la crise, est la véritable politique de ce gouvernement. En allégeant les cotisations sociales, qui constituent du salaire différé, c’est bien une politique de modération salariale qui est mise en œuvre par le gouvernement actuel. En réduisant les investissements publics, c’est bien une politique de modération salariale, de compression de la demande intérieure et des salaires sociaux, que ce gouvernement est en train de mettre en place. Le fait d’avoir gravé dans le marbre la politique de modération salariale et d’austérité budgétaire par la voie du TSCG sont un signe de ralliement de ce gouvernement à la politique du gouvernement conservateur allemand. C’est pour cette raison que le Parti de gauche et le Front de gauche ont raison lorsqu’ils disent qu’il est inutile de jouer les aiguillons de gauche d’une majorité qui va, de fait, dans la mauvaise direction. Le fait qu’Eva Joly, alliée réformatrice des socialistes pendant la campagne, ait condamné « les sirènes du socialisme de l’offre » est tout à fait significatif. Il faut prendre les mesures adéquates pour augmenter les salaires. Sinon rien.

Il va de soi que le contexte européen ne joue pas en notre faveur. En effet, le libre-échange et le refus de protéger le salariat européen de la concurrence internationale constituent l’une des raisons fondamentales pour lesquelles une relance des salaires est impossible dans les conditions actuelles en Europe. Pour autant, le gouvernement actuel n’a pas avancé sur des positions protectionnistes permettant de protéger le plus vaste et le plus riche marché du monde des pillages associés aux délocalisations du travail et aux pressions internationales à la baisse sur les salaires européens. Il ne sert à rien de nommer un Ministre du Redressement Productif, sur le modèle de ce que fit Roosevelt, sans lui donner les moyens concrets d’agir. Il faut prendre des mesures de type protectionniste pour reconstruire les industries en Europe.

Vous prétendez relancer l’emploi, sans jamais répondre à une question qui se pose depuis que l’informatique et le numérique ont modifié la donne technologique. Ces dernières années, de nombreux travailleurs ont été remplacés pour des machines, ce qui nous conduit à voir que l’emploi capitaliste se fait de plus en plus rare. On ne répondra pas à ce problème avec le « plein emploi » au sens keynésien du terme. Il est urgent de prendre connaissance des travaux divers et des questions sur le revenu universel de base ou – mieux – sur le salaire à vie et la cotisation sociale proposés par le Réseau Salariat, qui sont des mesures directement applicables. Nous avons voulu libérer les êtres humains des peines du travail forcé en mettant en place des machines pour remplacer nos bras. C’est sans doute un progrès. Pour autant, nous n’avons pas assez réfléchi aux conséquences sur les salariés, assavoir que dans le système actuel les salariés dépendent de l’emploi pour leur simple survie. Il faut libérer les salariés de l’emploi pour pouvoir travailler et vivre !

En laissant la spéculation se faire sans rien voir, en refusant d’interdire les paris sur les fluctuations de prix, en refusant de donner au régulateur les moyens pénaux et légaux de s’attaquer à l’une des racines du problème qui nous est posé, ce gouvernement laisse de se reproduire une situation qui a conduit à cette crise financière. Pourtant, nous savons fort bien aujourd’hui que la spéculation n’apporte rien à la société. Elle dérègle le système de formation des prix en laissant des dominants prédateurs armés d’ordinateurs surpuissants, avec le soutien des paradis fiscaux, se faire une guerre spéculative sur les marchés internationaux. La crise alimentaire de ces dernières années est en lien direct avec la spéculation qui détruit tous les systèmes productifs du monde. Il faut pénaliser les paris rémunérés sur les fluctuations de prix.

Par ailleurs, nous savons que la guerre des devises à l’échelle internationale est le produit de quarante années au cours desquelles le monde n’était plus doté d’un système monétaire international stable, comme c’était l’objectif manqué des accords de Bretton Woods et des institutions internationales qui en ont résulté. Le Front de gauche a répondu dans son programme à ce problème, reprenant les propositions de chercheurs pour établir un système monétaire international, en s’appuyant sur les demandes répétées du gouvernement chinois depuis 2008. Déjà en 2011, le Parti de gauche a pris une résolution sur l’euro susceptible de répondre à un éventuel effondrement de la monnaie unique par des moyens adaptés dont il vous appartient de prendre connaissance. Il faut lutter contre les paradis fiscaux et, d’urgence, rebâtir un système monétaire international stable.

Enfin, l’un des enjeux les plus fondamentaux de ce siècle, c’est la crise écologique. Depuis deux-cents ans, notre modèle industriel productiviste et consumériste menace très concrètement la survie des écosystèmes dont nous dépendons étroitement pour notre survie en tant qu’espèce animale. L’exploitation des ressources naturelles, et au premier chef les énergies fossiles, a très probablement conduit au réchauffement climatique actuel. Le fait que ces ressources soient limitées, et que nous avons atteint les limites pour un certain nombre d’entre elles, signalent l’urgence d’une réelle prise en compte de la question écologique, à toutes les échelles, dans les systèmes industriels et commerciaux. Jusqu’à présent, le gouvernement socialiste n’a, en aucune façon, répondu à ces enjeux essentiels dont dépendent les générations actuelles comme les générations futures. Quel paradoxe que ce gouvernement socialiste soit celui qui, dans les phrases, souhaite agir contre le réchauffement climatique et qu’il continue pourtant à défendre la construction de l'aéroport de Notre Dame des Landes, à l’heure où nous sommes en train de passer le pic de production de pétrole. Il faut engager, par des investissements publics, des réglementations strictes et une planification de la production, la conversion écologique de notre société.

Les fins de non-recevoir qui sont adressées aux organisations dominantes de gauche sont des signaux de la décadence intellectuelle de nombreux représentants de partis réputés « de gauche ». Les critiques qui vous sont faites ne sont pas uniquement produites par les organisations de gauche, comme le Front de gauche, le Parti de gauche ou le Parti communiste français et leurs alliés. De nombreux collectifs, parfois anciens, souvent des alliés solides pour une gauche de combat, partagent peu ou prou ces analyses. ATTAC, le collectif Roosevelt, le mouvement Démocratie Réelle, les syndicats non-réformistes comme la CGT, le Réseau Salariat, le collectif des Economistes Atterrés, la plupart des organisations écologistes et écosocialistes, partagent ces analyses. Emmanuel Todd milite depuis longtemps pour la mise en place d’un protectionnisme européen. Paul Jorion a fait l’analyse complète des raisons de la crise et des éventuelles réformes à apporter pour nous en sortir. Frédéric Lordon fait l’analyse détaillée des mesures relatives au système bancaire et financier. Bernard Stiegler apporte une profondeur philosophique aux questions touchant à la crise, à la fois technologique et sociale, qui frappe notre civilisation. Ce ne sont pas des affreux « populistes », comme vous aimez parfois le dire, mais des gens sérieux qu’il faut écouter avec attention, pour la simple raison que l’analyse de la société humaine dans laquelle nous vivons, c’est leur métier. Comment se fait-il que vous n’écoutiez plus vos alliés naturels, assavoir des gens qui ont travaillé longtemps sur ces questions, pour vous en remettre aux solutions préconisées par le patronat ?

Voici donc les propositions qui font consensus dans une bonne partie de la gauche dite « réformistes ». Vous n’en retenez aucune. Vous avez lu cette enquête sur les « nouvelles fractures ». La route que vous avez empruntée n’est pas la bonne. Elle nous conduit collectivement à l’impasse du totalitarisme et de la guerre. Beaucoup d'entre nous, à gauche, sommes résolus à refuser les politiques d'austérité que l'on ferait avaler au peuple à coups de matraquage physique, de matraquage médiatique et d'anesthésie généralisée de la population. La situation est d’une gravité sans précédent depuis les années 1930. Le tournant pris par le PS ces derniers temps ne convainc plus un grand nombre de ses militants. Par ailleurs, nous avons voté pour François Hollande pour la principale raison que nous ne supportions plus les atteintes répétées du Président Nicolas Sarkozy aux droits humains. Vous voilà en guerre au Mali, contre toute légitimité internationale. Nous constatons avec écœurement que le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls poursuit la politique sécuritaire du gouvernement de droite. Le PS est en train de vider nos votes « utiles » du sens le plus restreint que nous lui avions donné : assavoir que ce serait « moins pire ». Est-ce moins pire ?

Aux socialistes qui partagent ces analyses, la direction empruntée par ce gouvernement n’a rien d’inéluctable. Il n’est pas nécessaire de vous coucher face à la direction d’un parti qui n’écoute manifestement plus ses militants, qui n’écoute plus la gauche et demeure reclus dans ses vieilles lunes productivistes. Pourtant, tout parti repose avant tout et en dernier ressort sur ses militants et ses élus. Il n’y a pas de raison de croire que notre servitude intellectuelle à un parti qui se revendique aujourd’hui clairement social-libéral doive se poursuivre. Aux élus, vous ne perdrez rien, absolument rien à quitter ce parti. Votre mandat est personnel. C’est un mandat à responsabilité qui ne dépend pas de votre parti. Pour un militant de base, le coût d’une démission est très élevé. Mais pour vous, qui avez chacun un mandat d’élu du Peuple en recommandation, vous avez le pouvoir de quitter ce parti, de rendre visible votre engagement véritablement de gauche. Aux élus du Peuple, quittez votre parti et rejoignez la gauche du combat socialiste ! Il est temps de construire un véritable Front populaire pour nous sortir de cette crise !


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