En quoi le changement de Constitution serait-il utile et bénéfique pour le pays ?

par GHEDIA Aziz
lundi 18 mai 2020

Ainsi donc, pendant que les Algériens sont censés être confinés, pendant que les chiffres de contamination par la Covid-19 ne cessent de grimper, les tenants du pouvoir actuels lancent la mouture de la nouvelle Constitution pour qu’elle soit débattue. Cependant, force est de constater que l’accueil qui lui est réservé est plus que mitigé. Pour certains partis politiques de l’opposition, ceux qui ne jurent que par l’Assemblée constituante, il n’en est pas question ; ils la rejettent d’emblée globalement et dans le détail. Même s’ils ne le disent pas de façon claire et nette. En politique, il est souvent utile et nécessaire de ne pas nommer les choses par leur nom.

Quant aux autres partis politiques, dont la responsabilité dans la crise politique algérienne est largement engagée, ils n’ont aucun intérêt à faire la fine bouche devant ce qu’on leur présente. Bien au contraire, pour eux, cette mouture de la nouvelle Constitution tombe à pic. C’est comme si on leur avait largué une bouée de sauvetage. Leur survie politique en dépend.

Mais en quoi le changement de Constitution serait-il utile et bénéfique pour le pays ? Depuis son indépendance à ce jour, l’Algérie a connu pratiquement une dizaine de Lois fondamentales. Chaque Président a eu la sienne. Celle dont je me rappelle le plus et qui avait fait couler beaucoup de salive et d’encre avant son adoption est, sans conteste, la Constitution de 1976, proposée par feu le président Houari Boumediene. A l’époque, j’étais au lycée. A Alger. Des débats populaires étaient organisés çà et là. Il soufflait un air de liberté sur Alger et probablement aussi sur les autres villes d’Algérie. Dans le milieu universitaire des années 70, la tendance idéologique – qui était sans aucun doute le marxisme-léninisme – permettait aux étudiants de mener des débats de haut niveau intellectuel. Pendant plusieurs jours, tous les articles de ladite Constitution étaient minutieusement étudiés avec un esprit critique qui semblait libre. Sauf qu’en fin de compte, toutes les remarques et suggestions avaient certainement été remisées aux oubliettes. Et, une fois la récréation estudiantine terminée, la Constitution fut adoptée comme le voulait son promoteur.

La dernière Constitution de 1996 adoptée sous la présidence de Liamine Zeroual a été triturée à deux reprises sous le long règne du président déchu Abdelaziz Bouteflika de façon à ce qu’elle lui permette la présidence à vie. On le voit donc, toutes ces triturations des Constitutions ont pour finalité d’être toujours dans l’intérêt de l’homme fort du moment. Elles s’étaient faites à main levée dans une Assemblée nationale dominée par les partis du pouvoir et donc largement acquise à la cause.

Voilà, par exemple, ce que j’écrivais en 2008, juste avant le 3e mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika : « En Algérie, c’est malheureux de le dire, la vocation des partis politiques n’est pas de faire de ou dans l’opposition. Est-ce parce que notre démocratie spécifique ne le permet pas ? Ou alors, est-ce parce que le fait de s’opposer à un pouvoir incarné par l’un de ses enfants prodiges fait peser le risque de perte de tous les privilèges à ces partis dits de l’opposition ? En fait, la situation à cheval entre être dans l’opposition et faire en même temps partie du pouvoir convient mieux à ces partis. Ainsi, ceux-ci pourront tenir deux discours diamétralement opposés selon l’évolution de la situation : l’un pour leurs ouailles et l’autre destiné aux tenants du véritable pouvoir. C’est une politique qui consiste à contenter le loup sans faire de ravage dans la bergerie. Il fallait y penser. Et ils sont trois, ces partis politiques qui siègent aussi bien à l’APN qu’au Sénat et qui détiennent des portefeuilles ministériels. Pas besoin d’étaler leurs sigles ici, puisque ils sont connus de toutes et de tous. Ils se positionnent et s’alignent sur un même mot d’ordre : oui pour un troisième mandat présidentiel pour l’actuel président de la République. Mais, pour cela, il faudra d’abord que la Constitution soit modifiée. Non pas de fond en comble, certes, mais du moins sur l’un de ses aspects qui porte justement sur la limitation à deux mandats de la plus haute charge au niveau de l’Etat : la présidence ».

Ce qui fut fait. Sans discussion aucune, la modification de cette loi fut acceptée par nos illustres députés de la majorité. A main levée. Et à portefeuille rempli. Une lettre à la poste n’aurait pas pu passer mieux. Sans être spécialiste du droit constitutionnel, on peut facilement relever le fait que, dans tous ces changements (de ces Constitutions), il n’a jamais été question de répondre à une demande émanant des gouvernés, donc du peuple, mais de ceux qui voulaient, par un artifice constitutionnel, s’éterniser au pouvoir. C’est ce qui explique, d’ailleurs, que les changements portaient généralement sur des articles bien précis et non sur le tout. Le dernier changement de cette dite Constitution n’a, d’ailleurs, fait que sauter le verrou qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels. Et sans une prise de conscience des Algériens et des Algériennes qui sont sortis le 22 février dans des manifestations grandioses et pacifiques, sans ce mouvement révolutionnaire connu sous le nom de Hirak, on serait à l’heure qu’il est encore sous le règne du 5e mandat d’un Président grabataire, mais soutenu inconditionnellement par des partis somme toute réactionnaires et non pas révolutionnaires comme ils le prétendaient.


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