En Syrie, dans un monde musulman sunnite, quel avenir sans Bachar el-Assad pour les laïcs et les minorités des…

par L’apostilleur
mercredi 20 novembre 2019

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 On notera ici qu’il n’y a plus de juifs en Syrie, ils ont été chassés ou ont fui pour les derniers avant la prise du pouvoir par Hafez el-Hassad. Ceux qui voudront comprendre pourquoi liront cet article de 1967 du Monde qui décrit la vie des juifs sous domination musulmane ici comme ailleurs (en Asie centrale exemple à Boukhara, Ouzbékistan). Après une présence millénaire, leurs expulsions se sont accélérées ce dernier siècle jusqu’à leur éradication par les musulmans généralement sunnites. Les autres minorités suivent.

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Et si ce n’est pas celui de Bachar el-Hassad, un régime autoritaire émanant d’une minorité paraît indispensable en Syrie sauf à envisager un nouveau chaos comme en Libye, en Irak... Il n’est pas question ici de faire l’apologie des Hassad ni de justifier les abominations mais d’entrevoir sinon, l’horizon étroit pour cet enchevêtrement ethnico-religieux ; la partition du pays ou la charia. (****)

Un contexte inextricable avec ou sans l’inexpugnable Bachar el-Assad semble donc s’installer durablement en Syrie maintenant qu’un réalisme arabe annonce son retour en grâce. Avec un enjeu collatéral ; la survie des communautés non musulmanes.

 

Explications.

 

Au préalable, il convient de se départir de nos concepts occidentaux laïcs et démocratiques parfois arrogants, pour s’ouvrir à la réalité de ceux qui ont cours au Proche-Orient. Quelques séjours en Egypte, Syrie, Israël, Jordanie, Chypre nord, Turquie, altèrent nos convictions et confirment ces différences que nos hôtes revendiquent.

 

Pour cela, un regard vers la Turquie nous renseigne déjà, elle qui s’est essayée un temps à l’occidentalisation, avec des efforts laïcs et démocratiques imposés par Atatürk au début du XXe s. et qui maintenant fait marche arrière avec son président Erdogan soutenu pas une majorité sans regrets.

 

Les soubresauts anciens et contemporains de l’histoire syrienne ont imprégné sa population hétérogène d’un point de vue ethnique, religieux, et donc politique car sur toile de fond islamique. Quelques rapides considérations éclairent des singularités éloquentes.

 

Dix groupes cohabitent, arabes sunnites, arabes chiites, turkmens, kurdes… et moins de 5% de chrétiens aujourd’hui (certains parlent encore la langue du Christ, l’araméen, comme à Maaloula) répartis en onze sous-groupes. Une mosaïque dessinée par une douzaine d’envahisseurs pendant trois mille ans ; Egyptiens, Perses, Hittites, Grecs, Romains, Arabes… Ottomans, Français. Pour finir, les trois millions de syriens de 1940 sont devenus neuf millions en quelques décennies avec un taux de fécondité supérieur à 6 enfants par femme chez les musulmans sunnites et un peu plus de 2 pour les femmes appartenant aux minorités ; une autre bombe syrienne, démographique celle-là. Comme au Kosovo, où les musulmans albanais devenu majoritaires refusèrent alors la domination Serbe, la démographie musulmane sunnite exponentielle se mêle à la racine des événements.

Malgré sa population musulmane sunnite majoritaire (4/5), la Syrie restait un état laïc avec une liberté de culte que chacun pouvait constater en déambulant de synagogues en églises et en mosquées, avant les événements de 2011. Damas l’exemplaire, reflétait alors l’entente religieuse de Cordoue onze siècles plus tôt. « La tradition alaouite encourage la communauté à s’adapter à leur environnement religieux, à vivre en sunnite parmi les sunnites et en chrétien parmi les chrétiens. »(**) Une analogie avec le conseil d’Ambroise de Milan « A Rome vit comme les romains ».

Fierté du régime, cette singularité proche-orientale au tournant du XXe s. était une conséquence de l’autocratie du parti Baas depuis Hafez el-Assad (1970) qui trouvait derrière cette façade la possibilité de laisser s’exprimer sa communauté alaouite imperméable aux contraintes habituelles des musulmans (voir plus loin). Cette minorité ethnique et religieuse d’émanation chiite, ne représente que 10% de la population syrienne et tient les rênes du pouvoir après avoir été opprimée et contrainte à se réfugier dans les montagnes pour échapper aux persécutions des musulmans sunnites.

La Syrie n’a pas connu pendant cette période « Hassad » de guerre civile comme celle du Liban qui dura quinze ans.

 

Regroupés principalement à Damas et à l’ouest du pays dans une poche territoriale qui longe la méditerranée, ils seraient ainsi « à l’abri » d’un changement de pouvoir. Ils anticipent une éventuelle alternance dont ils ont déjà eu à connaître les conséquences.

Les frères musulmans sont installés depuis 1935 en Syrie à Alep et les orthodoxes musulmans considèrent les alaouites comme des hérétiques, pire encore que des « kouffars … plus mécréants que les juifs et les chrétiens  », leur refusent tout lien avec l’islam et cherchent à les exterminer. S’ensuivit la fatwa anti-alaouite et « des massacres à Lattaquié, Homs, Hama... En août 2013, le cheikh alaouite Badr Ghazali a subi un interrogatoire théologique devant un tribunal d’Inquisition sunnite avant d’être torturé jusque mort s’ensuive… Durant les années 70 et 80, les Frères musulmans syriens ont recouru au même mode opératoire consistant à rafler des loyalistes, à séparer alaouites et sunnites, puis à n’exécuter que les alaouites.  » (**) A Alep en 1979, un officier sunnite a exécuté 83 cadets dans une classe au motif qu’ils étaient alaouites. « …dans le quartier d’Akrama à Homs, un attentat suicide a eu lieu devant l’école élémentaire Makhzoumi : 48 écoliers, majoritairement alaouites y ont perdu la vie, la plupart de moins de 12 ans… » (***) Etc.

 

Ces quelques commentaires illustrent l’ampleur du mal et l’irréconciabilité avant longtemps de communautés devenues immiscibles.

 

Les syriens alaouites ont probablement en mémoire le sort réservé à la minorité arménienne non musulmane en Turquie. Le génocide s’exécuta au nom du djihad par le pouvoir musulman sunnite, les kurdes turcs furent épargnés parce que sunnites. Le ciment de la religion était encore une fois l’outil de l’unité nationale. Depuis THÉODOSE Ier LE GRAND, qui imposa le christianisme comme religion officielle de l'Empire romain, la recette est la même, inversée parfois. Les romains imposèrent l’unité religieuse après avoir conquis les territoires, les musulmans sunnites cherchent à imposer leur religion et conquérir les territoires.

 

Le parti Baas à la tête du pays est donc une nécessité vitale pour les alaouites, qui probablement ont conduit aux exactions unanimement condamnées du régime. « L’épuration » de grandes villes comme Lattaquié qui consiste à favoriser le déplacement des populations syriennes sunnites vers le Liban, la Jordanie ou la Turquie en est l’expression. Les alaouites cherchent à « sécuriser » un territoire afin de se protéger des musulmans sunnites, ultra majoritaires dans le pays.

 

Pourquoi.

 

Les « déviants » alaouites ne sont pas assez islamo-compatible. Ils s’opposent à la charia, s’autorisent à boire de l’alcool, les femmes fréquentes les bars comme les hommes et s’habillent à l’européenne donc pas de voile, le ramadan dépend de l’envie de chacun, pas de mosquée, les prières se font dans des salles communes ou chez soi, pas de pèlerinage à la Mecque et ils célèbrent des fêtes chrétiennes… Un « islam » occidentalo-compatible ?

Leur religion est réservée aux hommes. « Comme celle des druzes, la religion alaouite est de type initiatique. Les adolescents mâles sont instruits par un cheikh qui devient leur père spirituel ; ils jurent de ne jamais révéler les secrets sous peine de mort… » (*)

Un jésuite lettré historien orientaliste, spécialiste de l’Islam, ayant vécu à Beyrouth, Henri Lamens, a estimé que les alaouites pouvaient être des chrétiens qui dissimuleraient leur foi. D’autres observent que « … trois personnages sont représentés par des symboles astraux : Ali est la lune, Mahomet le soleil et Salman le ciel. La présence d’une « trinité » dans leur religion a pu donner à penser que les alaouites étaient des chrétiens qui se seraient réfugiés dans la montagne lors de la reconquête musulmane ; en réalité, cette trinité provient de l’antique gnosticisme astral de l’Orient, qui s’était maintenu dans certaines sectes en dépit du christianisme et de l’islam. Une autre originalité de la doctrine alaouite tient à la croyance en la réincarnation… La métempsycose. » (*)

 

Malgré ces divergences religieuses, les représentants (80% des syriens) de cet islam sunnite qui n’a pas encore montré sa tolérance avec les autres religions, propose astucieusement un régime démocratique en Syrie qui les propulserait au pouvoir. Ils ont essayé de « vendre » cette proposition aux occidentaux. Seul François Hollande (influencé par L. Fabius qui cultivait peut-être d’autres desseins), est tombé dans ce piège un peu grossier en décembre 2016 en recevant l’opposition syrienne (musulmans sunnites) à l’Elysée où il a déclaré prématurément : "J'annonce que la France reconnaît la Coalition nationale syrienne comme la seule représentante du peuple syrien et donc comme le futur gouvernement provisoire de la Syrie démocratique permettant d'en terminer avec le régime de Bachar al-Assad". Depuis la France est rentrée dans le rang des pays silencieux et prudents ; la diplomatie au Proche-Orient est un billard à plus de quatre bandes.

Arrivés démocratiquement au pouvoir, les minorités peuvent penser qu’alors les musulmans sunnites instaureraient la charia comme le proposaient les frères musulmans dans les années 70/80 en Syrie et plus tard en Egypte ou en Algérie avec le front islamique du salut, tous renversés par les militaires à peine élus. L’exemple de Mossoul qui aurait montré des porosités avec l’état islamique, ne peut que les inquiéter.

 

La démocratie sunnite n’est pas encore née.

 

L’exception multiconfessionnelle autorisée par les alaouites ne résiste aujourd’hui qu’avec le régime autoritaire du parti Baas de Bachar el-Assad, qui n’a pourtant rien pu faire pour son maire alaouite et les chrétiens de Maaloula au nord de Damas.

Si d’aucuns voudraient se référer au système politique « démocratique » libanais « basé sur une répartition des différentes fonctions officielles de l’État entre les différentes communautés religieuses… » pour la Syrie, il leur faudrait observer que le dernier recensement libanais date de 1932 et que les chrétiens représentaient alors 60% de la population (estimée à la moitié aujourd’hui). Appliqué à la Syrie, ce système nécessiterait que le pouvoir remette ses clefs aux musulmans sunnites. A noter que les libanais devraient modifier leur constitution ou changer leur gouvernement au gré des recensements démographiques…

Cet aperçu rapide permet de deviner les craintes de la minorité gouvernementale. Quelle assurance auraient-ils en cas d’alternance, de ne pas être assujettis aux contraintes politico-religieuses des musulmans sunnites de la région ? Quel avenir pour les autres non musulmans de Syrie où les chrétiens d’Orient notamment qui sont en voie d’extinction ?

Après quatre siècles d’occupation musulmane, de coup d’état en conseils militaires, la Syrie cherche à exister depuis un siècle.

Conséquence de l’accord franco-anglais « Sykes-Picot » qui a découpé pour une bonne part le Machrek (partie occidentale du Proche-Orient) sur les ruines de l’empire Ottoman à la fin de la première guerre mondiale, la Syrie aurait dû exister dans un ensemble pan arabique supranational avant l’arrivée d’Hafez el-Assad (1970).

Les pulsions nationalistes et les répulsions musulmanes envers les juifs et les chrétiens sur la lancée des premières exactions initiées un demi-siècle plus tôt s’exacerbaient. Le terrain était propice au nationalisme arabe, revendication des peuples qui ont en commun une culture et une langue. Seuls les égyptiens et les syriens l’expérimenteront avec Nasser (opposé alors aux frères musulmans) pendant une courte période (1958-1963). Une autre tentative infructueuse vers cet idéal arabe devait réunir la Syrie, l’Egypte et l’Irak en 1963. 

Précédemment, pendant la révolte arabe (1916-1918), le chérif Hussein de La Mecque envisageait de créer un grand royaume arabe comprenant leHedjaz (Arabie), la Jordanie, l'Irak et la Syrie. Les ottomans musulmans et leur dernier calife n’entraient pas dans le contour de ce monde arabe dont on comprend les traits communs et aussi les différences inconciliables.

Les alaouites, et le « territoire alaouite », poche au nord du Liban officialisé en 1922 où ils se protégeaient des persécutions ottomanes, ont été privilégiés par la France pendant son mandat pour freiner l’expansionnisme pan arabique et le nettoyage ethnico-religieux dans son sillage. C’est aussi un bouclier pour les autres communautés aujourd’hui. Mais quel avenir pour eux, submergés par 80% de musulmans sunnites ? Probablement une partition du territoire comme l’a envisagé François Hollande en France.

On ne cohabite pas avec la charia.

 

En ce début de XXe s. l’accès aux ressources pétrolières pour alimenter l’ère industrielle en expansion en Occident prévalait. Le pan arabisme aurait pu devenir une entrave que le morcellement de ces territoires écartait.

La carte religieuse du Proche-Orient devra attendre la prochaine révolution énergétique pour se redessiner.

 

Il y a quelques années, pour mon interlocuteur syrien à Damas, le Proche-Orient n’était pas prêt à la démocratie, les événements doivent le conforter. Elle est née avec Solon il y a vingt-cinq siècles et toujours ignorée sur les terres revendiquées par la charia.

 

(*) Alaouites : une secte au pouvoir

(**) Information Médiapart à l’encontre de celles habituellement recopiées

(***) Article dans Le Monde de Gérard Bapt (Député socialiste, président du groupe d'amitié France-Syrie)

(****) A l’ONU 2019, « le Conseil dialogue avec les membres de la Commission d'enquête internationale indépendante sur la Syrie ». Une litanie de postures qui n’apprend rien quant à l’avenir du pays.


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