En tant qu’occidentaux, caricaturer Mahomet n’est pas synonyme de liberté mais de domination et d’égoïsme

par enréfléchissant
jeudi 5 novembre 2020

Parler de ce sujet demande de préciser (ou d'informer) que l'Islam n'est pas différent des autres religions : comme les autres religions, l’Islam propose un chemin à suivre pour faire le bien et aller au paradis, il connaît une pratique très diverse et modérée dans la plupart des cas, et l’extrême majorité de ses membres sont pacifiques et condamnent les attentats revendiqués en son nom.

Les actes violents au nom de la religion existent pour l’Islam mais aussi dans les autres religions, ce n’est pas une spécificité islamique : comme par exemple l'attentat du cinéma Saint-Michel en 1988 contre la projection d'un film blasphématoire sur Jésus-Christ (16 blessés).

La sur-représentation de la revendication islamiste dans les attentats (dont le fondement religieux est dénoncé par les instances musulmanes) dans le monde est liée à la déstabilisation et à la misère dont souffre une partie du monde musulman.

Le monde musulman a été largement fragilisé par les exploitations coloniales, des guerres et ingérences occidentales, les financements étrangers de groupes extrémistes et la misère qui en découle.

La misère et le chaos entraînés par les occidentaux (Afghanistan, Irak/Syrie, Libye) ont accentué le refuge identitaire vers l’Islam, qui peut faire office de refuge et de rempart quand plus rien de positif ne rattache au monde (Etats défaillants, invasion étrangère, exclusion de l’économie mondiale). L’Islam a également permis aux peuples colonisés de se réapproprier leur identité.

La modernisation progressiste qu’a connu l’Occident (et qui est loin d’être terminée) n’a pu se faire que par l’essor économique permis par les richesses des colonies et par des luttes politiques nationales de longue haleine. La colonisation a empêché ces processus au 19ème et 20ème siècle dans le monde musulman, les guerres et manipulations occidentales se chargeant de ralentir encore le progrès.

La modernisation progressiste a été ralentie dans les pays musulmans à cause de ces ingérences géopolitiques, bien que ces pays soient pour la plupart plus progressistes que nos pays occidentaux à l’aube de la seconde guerre mondiale (voir le vote des femmes ou la part de femmes dans les assemblées par exemple).

L’Occident ne peut donc pas exiger du monde musulman un détachement religieux (nécessaire pour l’acceptation du blasphème) qu’il entrave lui-même par sa domination. Le sujet est d’ailleurs plutôt la France que l’Occident puisque la France est l'un des rares pays à s'obstiner à ériger ce blasphème en porte-étendard (les autres pays ayant un peu plus d'humilité et d'empathie pour l'autre). La France ne peut pas exiger des musulmans qu'ils ne soient plus choqués et outrés par les caricatures, ni dans les pays musulmans (souffrant des ingérences étrangères et de la pauvreté), ni en France (où les musulmans sont largement exclus économiquement et politiquement). L’Etat ne peut et ne doit que sanctionner les menaces (qui sont le fait d’une infime minorité), ce qu’elle fait déjà (et avec une rapidité expresse, quand on la compare à la répression des menaces homophobes ou racistes par exemple).

Il ne peut pas être fait de parallèles entre les blasphèmes de la religion chrétienne, et ceux de la religion musulmane, dont les croyants n’ont pas du tout les mêmes vies et n'ont pas bénéficié des mêmes progrès et privilèges dans l'histoire.

Le chaos des guerres, la misère, et le financement des fondamentalistes et terroristes (avec l'affairisme saoudien et le financement américains des talibans et d'Al Qaeda/MAK) ont créé un terreau fertile qui assure une relève très peu nombreuse mais continue et déterminée de quelques jeunes gens influençables qui se laissent endoctriner par l'idéologie islamiste. S'assurer de surveiller et de neutraliser ces groupuscules est une évidence, mais le risque zéro n'existe pas et de tels attentats pourront toujours survenir, d'autant plus que des zones de chaos persisteront, ou que le sentiment et l'identité islamique sera renforcée dans un mouvement de réaction (face aux exactions d'Israël en Palestine ou aux caricatures par exemple). Cet état de fait ne pourra s'arranger qu'avec une pacification politique et un essor économique et social du le monde musulman.

Faire du droit de blasphème de la religion de l’opprimé un étendard revient à vouloir l’humilier et peut avoir pour unique résultat de le braquer, de rejeter celui qui humilie, à juste titre, et de revigorer le sentiment religieux chez les musulmans.

Vouloir dessiner Mahomet alors que cela choque et blesse des centaines de millions de musulmans dans leur croyance la plus intime, alors même que notre monde actuel les exclut et ne leur offre pas d’autres horizon est un acte de domination, ethnocentré et égoïste.

C'est comme si dans un groupe de quelques personnes où l’une d’entre elle était exclue, en situation faiblesse (pauvre, différente des autres…) on défendait à tout prix le droit de se moquer de quelque chose qui lui tenait le plus à cœur, sous prétexte d’une prétendue liberté d'expression totale. Quelle cruauté et quel intérêt si ce n'est amplifier l'exclusion, braquer l'autre et accentuer la différence ?

Le délit de blasphème ne doit évidemment pas être établi, mais l’Etat ne peut pas pour autant revendiquer et promouvoir le blasphème ciblé sur une population et une culture fragiles.

En France, sur le plan national, l’usage du délit de blasphème ne peut avoir pour seule conséquence que de braquer une partie de la communauté musulmane, déjà largement exclue économiquement et politiquement, et va ainsi à l’encontre du vivre ensemble.

Dans la vie de tous les jours, on pense, on reformule ou on se tait plutôt que de dire des choses blessantes à quelqu’un de fragile, car cela serait inutile et contreproductif, pourquoi en serait-il autrement ici ? Pourrait-on donc penser les avantages, les intérêts, la plus-value de dessiner Mahomet ?

Qu’apporte réellement le fait de pouvoir caricaturer Mahomet ? Un sentiment de liberté ? Une satisfaction personnelle ? Qui ici caricature ou dessine Mahomet régulièrement ? Personne ?

Il n’y a absolument aucun intérêt à dessiner Mahomet, mais seulement des effets non désirables et de mauvaises raisons. Sans l’interdire, arrêtons donc de défendre cet acte qui ne vise qu’à diviser et blesser.

En ces temps pré-électoraux il fait bon attiser la haine et essayer de focaliser l’attention des citoyens sur des problèmes présupposés, afin de détourner des vrais problèmes, et surtout de s’assurer un second tour victorieux en faisant monter le front national, présenté comme une vague, alors que ses résultats sont les mêmes depuis les années 90… Jusqu’à quand cette stratégie sera porteuse et le choix du moins pire l’emportera sur le refus de ce système biaisé ? Jusqu’à quand resterons nous coincés dans cette dictature élective qui nous oblige à voter pour remettre tout pouvoir à nos maîtres plutôt qu’une réelle représentation citoyenne par le tirage au sort ?

Pour finir, il faut préciser que le droit des femmes dans la majorité des pays musulmans est bien supérieur au droit des femmes en Europe avant la seconde guerre mondiale. La modernisation progressiste du monde musulman est en marche partout où les occidentaux ne sont pas venus foutre le chaos. Quel effroyable aveuglement que de voir en l’Islam un problème alors que celui-ci réside dans l’intégrisme causé et renforcé par les occidentaux.


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