« Encarté » d’Achraf Ben Brahim

par Serge ULESKI
samedi 2 janvier 2016

 Intrigué par l’actualité politique, l’auteur, âgé de 21 ans, a milité durant une année dans dix partis politiques ; pas un de plus, pas un de moins.

Son récit commence en 2012.

Issu d’un milieu social et d’un département - la Seine saint Denis -, qui ne se préoccupe pas de politique - taux d’abstention record, clientélisme électoral, chômage, faits divers largement exposés par des médias qui se fichent bien de ternir l'image de ce département...

En l’espace d’un mois, Achraf Ben Brahim sera adhérent des partis politiques suivants : PS, UMP, FN, Modem, EELV, Debout la République, Front de gauche – PC et Parti de gauche -, NPA et Lutte ouvrière.

C’est un nouveau monde qu’il découvrira au cours de cette immersion ; un monde occupé par ceux qui aspirent à s’y faire un nom et une situation ; un monde en décalage qui n’a que faire de l’autre monde, le nôtre ; un monde qui changera profondément la vision de l’auteur à propos de l’action militante.

 Le FN sera sa première aventure ; un FN qui compte parmi ses rangs un conseiller régional qui est l’un des plus importants grossistes en viande halal du Nord-Pas-de-Calais.

Belle entrée en matière côté contradiction, double-langage et « comment se payer la tête des électeurs ! »

Achraf Ben Brahim comprendra très vite que le débat n’a pas sa place au FN. Pas de primaire, pas de courant, pas de motion : le bureau politique est tout car il décide de tout. Localement, une poignée d’oligarques se partage les mandats et les indemnités : « Le FN n'a rien à envier à qui que ce soit quand il s’agit de téter les mamelles nourricières de la République » ; et si le FN n’est pas un parti raciste la question est : comment se fait-il que le racisme finisse toujours pour s’y exprimer ? interrogera si justement l’auteur qui en profitera pour nous confirmer le biais pro-israélien du FN. Au moins, ce parti sait-il qui il faut craindre par-dessus tout ici en France : le parti sioniste qui ne connaît pas de frontières ni de parti pour être à l’aise dans tous. Et puis, les adeptes racistes de l’exclusion et de la ségrégation se reconnaissent au premier coup d’œil ; en effet, il y a des programmes qui ne trompent personne, et en premier, ceux qui les partagent.

 Aucune révélation fracassante dans cet ouvrage ; rien que l’on ne sache pas déjà. A sa grande surprise, l’auteur réalisera très vite que les Français se moquent bien de ses origines de jeune arabe de banlieue ; leur seul souci, c’est de garder ou de trouver un emploi.

Néanmoins, ce parcours de l'auteur Achraf Ben Brahim retiendra notre attention, de parti en parti, de réunion d’arrondissement en conférence, d’une distribution de tract au stand en carton-pâte posé sur un trottoir de Paris, en plein hiver, tenu par des militants du « parti » Solidarité&Progrès de Jacques Cheminade et une question redoutable adressée aux passants toute l'après-midi durant : « Que pensez-vous du Glass-Steagall Act. »

Et là, on se dit : « Trop, c’est trop ! ».

 

 Militants LO, NPA, FN, PS, ex-UMP... ils sont jeunes et engagés. La plupart sont exploités à des fins totalement futiles. Ils ne luttent en rien contre le système, n’influent en rien sur la finance, sur l’économie, sur la politique. Pour certains d’entre eux, leurs actions sont isolés et sans efficacité ; sur les réseaux sociaux, ils ne sont vus que par une poignée, souvent par leur propre troupe, et leurs réunions sont vides : LO – le songe communiste - encore moins en rêve ! -, NPA et Modem.

D’aucuns sont dans l’admiration d’un leader ; d’autres dans la fascination ; et tous s’accrochent, tous espèrent. Un bon nombre n’oublie surtout pas, à terme, de lorgner sur le calice, le Graal, la coupe des délices : un mandat de député, de sénateur, de maire… pourquoi pas, ministre car… ministre un jour, ministre toujours !

Certains d'entre eux iront-ils jusqu'à voler la clé du tabernacle, en forcer la serrure ? Très certainement.

 

 L’expérience de l’auteur auprès des ex-UMP ou du PS a montré si besoin était, que ces partis ne représentent que les ambitions de carrière de ceux qui y font leur trou.

Ballotté entre condescendance et mépris, l'auteur n'y trouvera jamais sa place. Dans les partis dits "de gouvernement" les fauteuils sont chères, très chères. Un communautarisme « social » y règne en maître ; l’origine ethnique, sociale et les diplômes : seules les « grandes écoles » ont droit de cité.

Lutte ouvrière et NPA sont présents chez les étudiants, université de Nanterre principalement, dans quelques usines et administrations ; l’implication de ses militants a impressionné l’auteur ; disponibilité de chaque instant, militantisme hyperactif, mobilisation à toute épreuve. Les résultats ? Inversement proportionnels bien évidemment à leur engagement puisque aucun rapport de force digne de ce nom ne peut être établi.

Le Modem est qualifié de « mouvement fantôme » ; de plus, il a la fâcheuse habitude de prendre des décisions avant de demander l'avis de ses quelques militants. Un Modem dont le patron Bayrou a fini « chasseur de poste et de mandat » auprès de Hollande en 2012 puis auprès de l’ex-UMP à la mairie de Pau qu’il remporta, se faisant à nouveau solliciteur et courtisan, cette fois-ci, auprès de Manuel Valls.

L'infiltration de l'auteur auprès de la gauche parisienne comprenant le PS, EELV et le Front de gauche aura été responsable de sa désillusion la plus cruelle.

EELV est finalement un parti opportuniste ; les militants du PS, des masochistes patentés. Dans les sections de ce parti, la Novlangue est la langue la plus couramment parlée ; en effet, plus le PS était à droite plus il se dit à gauche. Les militants ne pipent pas mot ; une mort idéologique préside les débats.

Quant au PC, toujours à courir derrière le PS pour survivre ! Le Parti de gauche, en deux ans, a perdu la quasi-totalité de ses militants et de ses électeurs. Mélenchon n'est plus qu'un tribun des réseaux sociaux et des médias trop heureux qu'ils sont de donner la parole à un "animateur politique" garant de la pluralité des débats face au FN dont ces mêmes médias ne savent plus comment ne pas nous le vendre car le CSA veille.

 Aux deux partis de gouvernement et puis ceux qui peuvent raisonnablement espérer une place en tant que force d'appoint, leur seul atout, leur carte maîtresse, c’est le désintérêt croissant pour la politique et l’abstention qui de 20% (taux quasi-incompressible et gérable dans le cadre d’une "démocratie" représentative) est passée à 30, puis à 50, voire plus dans certains scrutins.

Un score compris entre 15 et 35% des suffrages exprimés, soit 7 à 18% des inscrits, soit encore 6 à 15% d’une population en âge de voter, suffit à occuper un poste rémunéré par la République : conseiller général, conseiller municipal, maire, député, sénateur, président de région, de département, ministre, secrétaire d’état…

Des maires sont donc élus ou ré-élus avec des scores dérisoires. Tous, du PC aux Républicains en passant par le parti de gauche, se partagent les postes en constituant des listes d’union parfois aussi inédites que surprenantes ; l’important étant de survivre coûte que coûte : tout sauf la relégation dans le salariat et l’entreprise, privée de surcroît ! Surtout pour les plus exposés d’entre eux ; ceux qui sont pauvrement diplômés ou qui ne possèdent pas un carnet d’adresses bien rempli.

 

 Suite à cette expérience d’une année, arrive bientôt un premier constat de l'auteur : « La manière dont les partis sont gérés annonce la manière dont leurs dirigeants exerceront leur fonction une fois élus." Puis, très vite une conclusion à la fois surprenante et contradictoire : « Politisez-vous ! »

Soit. C’est entendu. Mais… à quelle fin ? D’autant plus que l’auteur, quelques pages plus loin, nous confie ceci :

 « Au terme de cette année 2013-2014 pendant laquelle j’ai renoncé à tout pour mener à bien ce projet, je ne sais même pas quelle définition donner à ce mot qui reste désespérément vide de sens : la politique (…) Mais surtout, je m’en veux d’avoir ouvert les yeux sur une réalité contre laquelle je ne peux strictement rien faire car, de cette expérience militante, il n’y a qu’une chose que je regrette : celle d’avoir pris conscience de la société dans laquelle je vis (…) De mes illusions sur la sincérité, sur l’intégrité, sur l’espoir de vivre dans une France meilleure, il ne reste finalement plus grand-chose.  »

 

 Certes, à trop voir, on s’éblouit. Aveugle on devient ? Nuit noire, point mort à partir duquel le désespoir prend le dessus ? Arrive alors un radicalisme que rien ne viendra tempérer puisque aucune parole ne fait autorité car, sur quoi repose l'autorité si ce n'est sur la confiance et la compétence ?

 

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 Brigades rouges, Action directe, bande à Baader, les années 70…

 

A l’heure où des lanceurs d’alerte sont assignés à résidence, cloîtrés, sacrifiés, sans droit ni perspective d’avenir...

A l’heure des débats théoriques sur les nouvelles formes de lutte et de résistance (refus et action), le plus souvent sans issus et dont le prix à payer pour un engagement aux résultats incertains en dissuadera plus d’un… 

A l’heure où d’autres acteurs de gauche caressent le doux rêve d’une reconquête d’une opinion qui aujourd'hui plébiscite la déchéance de la nationalité, un Etat policier, une armée interventionniste à des milliers de kilomètres de chez nous...

A l'heure où des programmes de télévision débilitants et un journal de 20H ne désemplissent pas...

Et puis enfin : à l'heure où un François Hollande recueille plus de 50% de taux de satisfaction après avoir été au fond du trou trois années durant même si, pour en sortir, il semblerait que la politique étrangère de la France ait dû en faire descendre une bonne centaine dans ce même trou, 130 précisément, en 45 minutes, à Paris, tirés comme des lapins ou des pigeons, comme au ball-trap…

L'islamisme de ceux qui n'ont jamais lu le Coran ni ne parlent Arabe et qui ont découvert, voilà six mois, qu'ils avaient une religion, serait-il le nouveau gauchisme d’enfants perdus d’une République fasciste et mondialisée ? Un seul mot d'ordre pour cette République : Fuck those who won’t give in ! Et morts aux vaincus ! ; une République au service d'un projet qui a placé la dictature de la marchandise, corps et biens pour une optimisation de la ressource humaine sans précédent, au centre de ce qui devra être défendu mordicus même et surtout au prix de projets liberticides et criminels…

Ce nouveau gauchisme-là qui répond aussi en partie aux slogans de mai 68, plus tard... slogans altermondialistes, précédemment... pensée situationniste - " A bas la production !"... "Ne nous laissons pas bouffer par les politicards et leur démagogie boueuse !"... "On ne tombe pas amoureux d'un taux de croissance !"... "Je ne suis pas une marchandise !" -, qui ne fait qu'accompagner les derniers sursauts d'un monde de l’après-guerre dans lequel subsistait encore un peu de tolérance pour la faiblesse humaine, pour ses erreurs quant à l’exactitude de ses calculs chiffrés, pour un attentisme salutaire face aux innovations technologiques à vocation cybernétiques dans le contexte de l'avènement d'une nouvelle ère numérique aujourd'hui dictatoriale…

Paupérisation, abrutissement, discriminations et rejets par millions... ce désarroi sans compréhension ni soutien faisant face, seul, à l'abandon d'une "gauche prolétarienne" et en l'absence des groupes armés anarcho-communiste des années de plomb, cette déshérance identitaire et sociale annonce-t-elle un extrémisme de desperados aux cibles in-discriminées car ces derniers n'auront lu ni Marx ni Althusser ni Castoriadis ni Gorz ?

 

 Attendons de voir. L'important n'étant pas de savoir mais de comprendre pour mieux prévoir.

 

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  Martine Aubry, maire PS de Lille, annulera en mars 2012 la réservation d’une salle pour un débat autour de l'identité musulmane, les révolutions arabes, les émeutes de 2005... confirmant une fois de plus qu'il n'y a plus rien à sauver chez le PS que ce soit à un niveau municipal ou étatique.

 Les organisateurs, le public et les invités se replieront vers un autre lieu.

 


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