Encore un soldat décédé : l’écœurement qui gagne la troupe
par morice
mercredi 28 mars 2012
Dès l'annonce des attaques de Toulouse, j'ai tenté comme vous de comprendre ce qui peut amener quelqu'un à un tel geste, comme j'ai pu rechercher les influences qu'a pu subir Breivik dans sa lente ascension vers son geste fou. En cherchant du côté de la thèse des militaires d'extrême droite, une fausse piste comme tout le monde s'en est aperçu, je suis tombé de haut, à vrai dire, à savoir sur le sujet du moral des troupes, au seuil de l'élection présidentielle. Ce soir, curieux hasard encore, je suis tombé sur un très bon reportage de TF1 sur ces militaires estropiés par les attaques talibanes. Et en suis sorti assez bouleversé, notamment par deux d'entre eux. L'un, presque complètement paralysé, à la suite du mitraillage par des soldats de l'armée régulière sur le groupe de formateurs français dont il faisait partie, et l'autre, son supérieur, blessé encore au bras semble-t-il, qui s'en veut encore, et se rend toujours responsable de ces hommes, dont plusieurs sont morts et les autres sévèrement touchés. J'ai pensé également aux quatre soldats tués par Merah, bien évidemment, en feuilletant les blogs des militaires...
Mais si sur TF1 pas un ne remettait en cause la présence là-bas (sauf le supérieur, plus dubitatif que ses subordonnés !) à la lecture de blogs de militaires, je suis tombé sur un sentiment omniprésent : celui de l'écœurement profond, de la notion d'abandon, de la part de ceux qui sont allés se battre en Afghanistan, dans des conditions très difficiles, qui ont vu un bon nombre de leurs camarades tomber. Des personnes qui n'ont pas bénéficié, semble-t-il, de la reconnaissance qu'ils espéraient à leur retour en France. En ce sens, d'autres sont responsables. Ainsi une ministre, qui, invitée le matin du 23 janvier dernier à la radio, sur RMC, avait oublié douze tués dans le décompte morbide des soldats morts en Afgnanistan. De quoi écœurer les gens qui les ont connus, de quoi les révolter, et ce, profondément. Analyse du phénomène qui envahit l'armée française, celui de ne pas être totalement persuadée de combattre au nom de la France, mais pour celui d'un gouvernement corrompu jusqu'à la moëlle, et qui n'en vaut pas la peine, décidément. Pour pouvoir se battre, on le sait, la motivation importe : elle est en train de s'éfilocher, à voir se succéder les décisions contraires décidées par l'Elysée (*).
Un auteur qui ajoute : "l’un de mes correspondants me fait part de « jalousie », de « sentiment d’infériorité » ressentis par des supérieurs obtus. L’acharnement peut tourner au harcèlement sur des personnels en reconstruction à la suite d’événement traumatisants vécus dans ces autres mondes. Nous connaissons un cas ou deux qui mériteraient toute l’attention de la direction de la gendarmerie avant qu’une catastrophe ne survienne. En forum, son avis est appuyé par des gendarmes qui ont été détachés là-bas (pour former l'ANA, notamment) : "merci pour l’article sur nous, les personnels Gendarmerie détachés en OPEX et principalement en Afghanistan. En effet, le départ de certains dans les petites unités entraîne une surcharge de travail, surtout pour ceux qui ne comprennent pas le sens de la mission là-bas ou les jaloux. Cette incompréhension existe aussi parmi nos chefs. Nous ne sommes que des planqués en vacances, payées de surcroit." Et ça va loin question mépris ou botter en touche, tel cet autre participant qui écrit : "après avoir été détaché un peu plus de six mois en OPEX et avoir obtenu de brillantes appréciations qui ont été communiquées au notateur, ce dernier, à l’époque, a écrit, en ce qui me concerne : le (grade et nom) n’ayant pas servi(dans le poste habituel)pendant la période du …. au …ne peut objectivement être apprécié pour la période annuelle de notation". Bref, on l'a évincé de ce à quoi il avait droit sous un prétexte lamentable ! Une compagne de soldat ajoutant : "merci pour avoir parlé de ces gendarmes de retour d’Afghanistan, victimes de harcèlement. Comment une institution comme la gendarmerie peut laisser faire de tels agissements. Encore des petits chefs qui ne pensent qu’aux chiffres. J’espère que tout sera fait pour ces familles laissées dans le plus grand désarroi."
Le point d'orgue de de profond sentiment d'abandon des militaires est symbolique, mais comme tout symbole, il est surtout extrémement révélateur. Le 6 juin 2010, dans un camps français en Aghanistan, une cérémonie dévoilait une plaque, sur un monument. C'est à la COP 46 située dans la vallée de Tagab, où des accrochages ont eut lieu à plusieurs reprises (on parle de TIC pour Troop In Contact, COp signifiant Combat Out Post) ), mais où aussi les soldats frnaçais semblent bien avoir réussi ce que les danois avaient réussi à leur époque en Irak (les derniers ont quitté le pays en novembre 2011).Cette approche avait été montrée dans le film Amardillo. Les danois avaient avec eux par exemple un interprète, visible ici. Et avaient décidé d'aborder les populations sans se munir de leurs casques : c'était risqué, mais ça a marché longtemps, les danois établissant de meilleurs contacts avec la population que d'autres troupes. En France, en Afghanistan, on a eu à peu près la même approche, au début, pour en revenir depuis plusieurs mois à d'autres consignes, surtout après la terrible embuscade de la vallée de la Kapisa. Une embuscade dont on a appris après coup les raisons : les italiens n'avaient jamais été attaqués car ils avaient accepté la règle talibane du coin, celle du paiement de "droits à ne pas se faire attaquer".
Procédé sordide, mais qui est bien à l'origine d'une attaque et d'un changement de ton des deux côtés. Un très bon reportage (****) sur la compagnie où était mis en évidence le sergent Christophe Tran Van Can, chef de groupe dans une unité de combat du 21ième RIMa, (de Fréjus) avait montré la difficulté de la zone, ses accrochages réguliers, et montré en même temps la vie de famille des soldats, au départ de leur mission comme au retour. Une vie de dingue, véritablement (mais comment font-ils pour supporter ça ?) à frôler la mort tous les jours et se retrouver après quelques heures de vol en famille. Très vite, alors qu'il débarquait, on assistait à une cérémonie en l'honneur de deux soldats tués, le capitaine Mezzasalma et le caporal chef Panezyck. Dans "une opération de sécurisation pour désorganiser les réseaux insurgés" dit l'annonce officielle de leur décès. Le lot régulier, hélas de la présence française à Tagab.
Car l'attaque venait de se produire sur l'ex camp 46, justement. "Des événements qui se sont produits sur la base de Gwam" apprenait-on, comme par mauvais sort : un soldat qui aurait très bien connu Hutnik a dû difficilement accepter que son nom ne soit même plus déjà utilisé pour annoncer un tel massacre en règle, au nom de convictions religieuses. Karzaï ne trouvant alors rien de mieux que d'asséner un coup supplémentaire en affirmant que"les relations entre les deux pays avaient toujours été fondées sur l'honnêteté". A remplir les avions d'opium, pour que sa famille puisse s'offrir de fastueuses villas sur Palm Deira, dans l'Emirat de Dubaï.
"Morts pour la France" ; gravent-ils sur les plaques. Ça reste à prouver, hélas, pour l'Afghanistan. L'épisode de Toulouse m'a fait aussi penser à ces morts, tel le capitaine Christophe Schnetterle, décédé hier après s'être battu contre la mort pendant trois mois sur son lit d'hôpital. Mort à 45 ans seulement, en laissant derrière lui une épouse et deux jeunes filles de 16 et 21 ans, il a avait été blessé dans un endroit qui n'a déjà plus le même nom !
le reportage en question :
http://blog.mrkrylau.info/2011/10/cest-pas-le-pied-la-guerre.html
http://www.youtube.com/watch?v=ZM3kcMANKNo
Et la position de l'armée dès la diffusion du film : elle n'avait pas vraiment apprécié.
AFP Publié le 13/10/2011 à 16:38
L'armée française a signalé aujourd'hui ne pas avoir apprécié un récent documentaire diffusé sur France 2 à partir d'images personnelles recueillies par deux anciens soldats en Afghanistan, jugeant "pas acceptable que des gens filment en permanence la mission qu'ils effectuent".
"Il y a des directives qui encadrent l'exploitation et le recueil d'images à titre personnel", a déclaré le colonel Thierry Burkhard, porte-parole de l'état-major, interrogé sur d'éventuelles consignes passées après la diffusion du documentaire "C'est pas le pied la guerre ?".
Sous-titré "Journal filmé de soldats français en Afghanistan", ce film montre la vie au coeur des combats de Maxime et Tony, 22 et 24 ans à l'époque, qui ont aujourd'hui quitté l'armée et peuvent témoigner librement. "Je n'ai pas l'impression qu'ils aient filmé des choses confidentielles. Mais c'est le procédé qui n'est pas acceptable", a expliqué le colonel Burkhard, notant que les "consignes" avaient en conséquence "été rappelées".
"Que les gens prennent des 'photos souvenir', ça s'est toujours fait, c'est quelque chose de tout à fait normal. En revanche, qu'on puisse en arriver à ce que des gens filment en permanence la mission qu'ils effectuent, je me demande si à un moment, ils sont capables d'accomplir cette mission", avait-il affirmé auparavant lors du point presse hebdomadaire au ministère de la Défense. Selon le colonel Burkhard, "en ce qui concerne le recueil d'images, il y a des moyens spécialisés qui sont mis en place et qui sont contrôlés, à vocation d'exploitation, de retour d'expérience".
"Il n'y a pas d'interdiction à ce que les gens prennent des photos et recueillent à titre personnel. En revanche, que des gens vivent en permanence avec des caméras sur la tête (fixées à leur casque, ndlr), ça c'est quelque chose qui n'est pas acceptable. (...) ils ne sont pas là-bas pour ça mais pour exécuter et remplir leur mission", a-t-il insisté devant la presse.
(*) on peut relire ici l'insatisfaction de l'armée qui avait émergé tôt à propos des décisions de Nicolas Sarkozy notamment avec l'éviction de Bruno Cuche. Sarkozy, en visite alors avait ainsi abordé les militaires avec un "Vous êtes des amateurs ! Vous n’êtes pas des professionnels", qui leur reste toujours en travers depuis. Sa conclusion était limpide : "Enfin, les opérations sont de plus en plus dures pour les forces terrestres indéniablement les plus exposées, face à des adversaires très différents, réguliers ou plus souvent irréguliers, disposant d’armements toujours plus performants, capables de mutations rapides et résolus à nous imposer leur volonté. L’horizon visible n’est pas celui de la paix tant espérée, mais demeure celui de la guerre et donc de l’utilité de la force militaire." Résultat : viré !
A noter que le 3 juillet 2008, j'avais ajouté en post-scriptum à ce texte : "aux dernières nouvelles, la reprise en main s’accentue encore : outre la nomination du "Squale",Bernard Squarcini un fidèle des fidèles (Corse), à la tête d’un FBI à la française, on apprend ce soir la nomination en Conseil de ministres de Benoît Puga, à la tête du renseignement militaire. Nous y reviendrons sous peu, tant celle-ci dénote encore d’une farouche volonté d’alignement sur la défense américaine. Et ce n’est pas fini : selon Le Point, la vengeance présidentielle continue : le président aurait supprimé tous les noms d’officiers généraux de la promotion de la Légion d’honneur du 14 juillet prochain. Un militaire privé de hochet, on ne sait de quoi ça peut être capable..." Un Puga que l'on retrouvera dans l'affaire des otages du Niger !
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-otages-du-niger-une-equipe-88378
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-otages-du-niger-une-equipe-88379
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-otages-du-niger-une-equipe-88380
(**) lire à ce sujet ma (longue saga) sur le trafic d'armes en Afghanistan :
1) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-afghanistan-les-americains-56366
2) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-afghanistan-les-americains-56392
3) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-afghanistan-les-americains-56500
4) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-afghanistan-les-americains-56444
5) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-afghanistan-les-americains-56475
6) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-afghanistan-les-americains-56637
7) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-afghanistan-les-americains-56657
8) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-afghanistan-les-americains-56548
9) http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-afghanistan-les-americains-56660
10) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/en-afghanistan-les-americains-56549
(***) ma conclusion du 7 janvier 2008 : "Mais est-ce bien la peine, dans ce cas en Afghanistan, que des soldats français périssent en définitivepour des tonnes de pavot ? Cela valait-il la peine d’aller serrer la main du plus grand narco-trafiquant au monde ? Et de rappeler dans des vœux de facture bien classique que la France et son président pensaient à ses soldats, ceux qui "risquez votre vie pour défendre nos valeurs" ? Risquer sa vie pour le pavot, une valeur ?" Rappelons qu'avant d'être élu et d'envoyer la France faire la guerre en Afghanistan, Nicolas Sarkozy avait en avril 2007, affirmé vouloir faire cesser cette présence. "Il était certainement utile qu’on les envoie dans la mesure où il y avait un combat contre le terrorisme. Mais la présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive", avait-il affirmé à l’émission "A vous de juger".
sur L'afghanistan de Karzai et l'intensité du népotisme et du trafic de drogue :
1) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-73034
2) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-73946
3) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-73154
4)http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-73246
5) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-75499
6) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-73483
7) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-77574
8) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-77878
9) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-73386
10) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-73951
11) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-76063
12) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-77921
13) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-77448
14) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-73743
15) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-77611
16) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-80022
17) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-80095
18) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-80091
19) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/karzai-le-parrain-de-l-afghanistan-85245
(****) devenu un livre chez Plon : Journal d'un soldat français en Afghanistan