Encore une professeur poignardée dans un collège ! Au suivant !
par Paul Villach
lundi 18 mai 2009
En décembre 2005, une professeur d’un lycée professionnel d’Étampes avait été grièvement blessée de plusieurs coups de couteau par un élève qui n’avait pas toléré qu’elle se fût plainte de lui à sa mère. Quelques semaines plus tôt, menacée de viol dans une de ses classes, elle avait alerté en vain sa hiérarchie qui s’en était moquée. Les deux inspecteurs-maison, chargés d’enquêter sur la tentative de meurtre, avaient exonéré l’administration de toute responsabilité, comme le ministre de Robien l’avait fait lui-même avant même qu’ils ne remettent leur rapport (1).


Dans un collège tranquille, dit-on
Pourquoi voudrait-on que les choses changent ? Au collège François-Mitterrand de Fenouillet, près de Toulouse, réputé tranquille répète-t-on, une jeune professeur vient d’être à son tour poignardée par un élève de 13 ans qu’elle avait puni pour un devoir non rendu. Le ministre s’est offert un petit voyage sur place. Mais est-il utile d’attendre les conclusions de l’enquête administrative qui a sans doute été ordonnée ? On sait d’avance que l’administration n’y est encore pour rien ! On lit déjà dans Libération.fr du 16 mai que, selon un élève, « (cette professeur) a des problèmes d’autorité. Elle (n’arrive pas) à se faire respecter » ! Donc, doit-on sans doute en déduire, les coups de couteau ne sont pas étonnants !
Les mesures que préconise le ministre sont à elles seules révélatrices : il penserait à installer des portiques de détection et des caméras dans les « collèges sensibles ». C’est bien la preuve que l’ordre est bien assuré par l’administration et que cette malheureuse tentative de meurtre n’est due qu’à une insuffisance de matériel de surveillance.
Seulement voilà, France-Inter, samedi matin 16 mai 2009, dans son journal de 7h, a interviewé une professeur de ce collège si tranquille qui a craché le morceau et fait entendre un autre son de cloche que celui de l’administration : c’était prévisible ! s’est-elle plainte. Les élèves sont de plus en plus violents. Certains professeurs craquent et se mettent en congé maladie. Ce n’est plus tenable. Ils vivent la peur au ventre, etc, etc. Des propos recueillis auprès de parents d’élèves par Libération.fr du même jour ont confirmé cette analyse : « Depuis trois ans, l’ambiance s’est beaucoup détériorée, a expliqué l’un d’eux. Avant, c’était un collège sans histoire, mais les problèmes de discipline s’accumulent. L’encadrement n’est pas adapté. Il est trop laxiste » Le recteur, en revanche, n’en veut rien croire : « C’est faux, corrige-t-il. Ici comme ailleurs, les classes ont changé. Désormais, il y a beaucoup plus d’enfants venus de milieux défavorisés. C’est le choc des cultures ». Est-ce si sûr ?
La responsabilité de l’administration
Qui peut soutenir qu’on ne connaît pas les causes de cette situation désastreuse ? Et ce ne sont pas les moyens de surveillance électroniques qui y remédieront.
1- On l’a plusieurs fois écrit sur Agoravox, les méthodes dont usent l’administration conduisent sinon à créer du moins à entretenir sciemment le désordre, en laissant, par exemple, quelques petites frappes agir à leur guise et empoisonner la vie d’un établissement, sous couvert d’une idéologie pseudo-humanitaire feignant de faire des « élèves (dits) en difficulté » l’objet de sa sollicitude.
2- Mieux, on l’a vu en protéger certains et s’en servir comme d’indicateurs et de provocateurs pour tenter d’intimider les professeurs indociles quand il en reste. Car ce ne sont pas les voyous qui sont la hantise de cette administration mais les professeurs qui lui résistent.
3- Les sanctions applicables en cas de transgression des règles sont écartées avec l’effet éducatif délétère qu’on imagine sur l’immense majorité des élèves qui, eux, respectent les règles. La tentation est grande, à l’adolescence, de tester les limites qu’on se voit imposer ; quand on constate que des petites frappes font reculer les adultes, pourquoi ne pas en faire autant, puisque c’est sans risque ? L’exclusion ponctuelle de la classe est refusée au professeur et le conseil de discipline différé le plus tard possible, remplacé par des « commissions de remédiation » où la petite frappe se paie parfois la tête des professeurs : « On ne peut rien me faire ! », entend-on par exemple.
4- Le professeur agressé, de son côté, se voit refuser quasi systématiquement la protection statutaire obligatoire prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983. La professeur d’Étampes, Mme Karen Montet-Toutain, a dû aller devant le tribunal administratif pour faire annuler le refus honteux qu’elle avait essuyé. Qu’est-ce qui a changé dans l’Éducation nationale depuis la tentative d’assassinat dont elle a été victime ? Rien !
La responsabilité des professeurs
5- Il reste que, devant cette démission et ce désordre auquel contribue l’administration, la masse des professeurs porte sa part de responsabilité.
- Ils ignorent le plus souvent tout de leurs droits et de leurs devoirs. Ainsi beaucoup ne connaissent-ils même pas la première « punition scolaire » applicable en cas de transgression des règles de la classe, « l’exclusion ponctuelle » (circulaire n° 2000-105 du 11 juillet 2000). Il faut dire que tout est fait pour qu’ils l’ignorent. L’administration peut, par exemple, se permettre de leur rappeler avec aplomb, en début d’année, dans son livret d’accueil, que l’exclusion d’un élève de la classe est strictement interdite ! C’est à cette condition, en effet, qu’elle peut couler des jours tranquilles en incriminant le manque d’autorité du professeur qu’elle a pris soin de laisser seul et démuni devant la délinquance. De même, la plupart des professeurs ne savent pas comment se met en oeuvre cette protection statutaire en cas d’agression, que la collectivité publique « est tenue » d’apporter selon la loi du 13 juillet 1983 (2). Ils multiplient ainsi les erreurs d’ordre juridique à la grande satisfaction de l’administration qui peut s’exonérer de toute responsabilité à peu de frais !
- Surtout, par compensation dans l’état d’humiliation où les tient l’administration, nombre de professeurs n’ont rien trouvé de mieux que de se réfugier dans une surenchère pseudo-humanitaire en se présentant comme les pédagogues les plus attentifs et les plus proches de ces petites frappes confondues abusivement avec les vrais « élèves en difficulté » qui, eux, travaillent sans agresser personne. Avec une bonne conscience exhibée qui fait peine à voir, ces bons samaritains courent au secours des voyous, même lorsque ceux-ci leur en font voir de toutes les couleurs. Ils vont ainsi au-devant des désirs de l’administration qui y voit une bonne stratégie pour ne pas prendre de sanction et entretenir le pourrissement.
6- Enfin, fort logiquement, les professeurs qui s’en tiennent à l’application des règles en cas de transgression, pratiquant, par exemple, l’exclusion ponctuelle de la classe avec retour en classe subordonné à une lettre d’excuse et d’engagement à changer de conduite, sont fermement combattus non seulement par l’administration dont ils contrarient les plans, mais encore par les professeurs pseudo-humanitaires et/ou courtisans dont ils ruinent la stratégie de défense.
Un tel état d’esprit et un tel fonctionnement pervers ne peuvent, on s’en doute, être modifiés par l’installation de portiques et de caméras. Il faut donc s’attendre à d’autres agressions de ce type. Quand les professeurs en auront assez d’être les dindons de cette farce tragique, peut-être se remettront-ils debout pour prendre le taureau par les cornes et faire appliquer les règles. Car il n’y a rien à attendre d’une administration que cette situation arrange : plus le service public d’éducation sera répulsif, plus les écoles privées se rempliront. La privatisation est en marche conformément à la stratégie définie par le rapport de l’OCDE paru en 1996, intitulé en termes abscons à destination des seuls initiés, « La faisabilité politique de l’ajustement ». « L’ajustement » en question est la privatisation de l’École et « la faisabilité politique » est la méthode habile pour éviter que les usagers se révoltent, celle qu’on voit justement à l’œuvre par l’entretien souterrain du désordre dans les établissements publics. Paul Villach
(1) Paul Villach,
- « La conduite indigne de l’administration envers K. Montet-Toutain, cette professeur poignardée dans sa classe », AGORAVOX, 9 décembre 2008.
- « Le livre de Karen Montet-Toutain, professeur poignardée : le service public outragé ! », AGORAVOX, 4 octobre 2006.
- « Karen-Montet-Toutain, ce survivant reproche vivant qu’aimerait discréditer "Le Figaro" », AGORAVOX, 26 janvier 2009.
(2) Article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 : « La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ».