Enseignante « braquée » : … anormal ? « normal » ?

par Marcel MONIN
dimanche 21 octobre 2018

Enseignante « braquée » : … anormal ? « normal » ?

Une enseignante de Créteil est mise en joue par l’un de ses élèves qui exige d’elle qu’elle gomme une absence. L’enseignante ne prévient pas les dirigeants de son établissement.

Ce qui s’est passé n’est pas aussi extraordinaire que cela paraît. Il y a bien longtemps, que dans tel autre lycée, des élèves sanctionnés envoyaient leurs grands frères injurier et menacer le professeur qui avait osé punir. Lequel professeur « encaissait » … dans l’indifférence de ses collègues, lesquels se « tenaient à carreau » pour ne pas subir le même sort. Des bandes attendent des élèves à la sortie de lycées pour faire le coup de poing. Activité devenue banale, dont on ne reparle que lorsque la bagarre fait un mort. Des jeunes sortent des établissements scolaires avec des connaissances plus que lacunaires. Qui savent que, connaissances, diplômes ou pas, c’est une « vie de galère » que la société leur prépare. Compte tenu, entre autres, de l’existence des millions de chômeurs et de leur profil « sociologique ». Des jeunes qui, sur le lieu de divers trafics, attendent les policiers pour les faire décamper. Quand ils ne tirent pas sur ces derniers.

Si ces comportements sont « inconvenants », ils nous paraissent s’inscrire exactement dans la logique de la société (nouvelle) (*) que certains politiques ont choisi d’installer. Et que leurs successeurs (particulièrement les politiques contemporains) non seulement n’ont pas remis en cause, mais encore ont accepté de conforter et de développer. Société nouvelle que les citoyens sont incités à reconduire au moment de chaque élection, après que les spécialistes de la communication et de la manipulation ont donné de leur science.

En effet, avec les prescriptions des traités dits « européens », complétés et renforcés par les règles d’autres traités ( Marrakech, transatlantique et autres) – dont le contenu est inchangeable par les élus quels qu’ils soient –(les traités sont faits pour éviter le changement) la loi du plus fort économique et financier est devenue la loi fondamentale (*). Textes dont il s’agit, qui permettent mécaniquement, et ont permis dans les faits (ainsi que toutes les statistiques le montrent), d’organiser une société ayant comme finalité l’enrichissement … des plus riches (*) . Avec des théories économiques et des argumentaires présentant la chose comme nécessaire (*) . Les politiques ont donc désormais dans leur fiche de poste la suppression des obstacles à la réalisation de cette société . Et celui d’en faire supporter les effets secondaires négatifs par la population, par la voie d’une communication adaptée (**) . Donc, de « détruire » l’Etat comme régulateur, comme protecteur ou comme organisateur de l’intérêt général. Avec les techniques que l’on connaît, et dont observe quotidiennement la mise en œuvre : Suppression du plus grand nombre possible de services publics, privatisations, vente des biens publics, subordination des finances de l’Etat à la politique des banquiers et des marchés financiers, décentralisation, promotion des communautarismes … (surtout qu’à court terme, flatter les communautaristes rapporte des voix)

Cette sorte de loi de la jungle qui sert de constitution non écrite, organise comme il a été dit, la promotion des intérêts de ceux au profit de laquelle les traités ont été rédigés et signés. Mais elle régit nécessairement le comportement des autres couches de la population dès lors que ces dernières sont désormais privées des lois de jadis, qui organisaient un avenir commun. Et qui avaient au moins (un peu) comme objectif le plein emploi, la diffusion de l’enseignement ou de la santé à tous, indépendamment de la fortune, etc… On a donc « en haut » le fort économiquement qui ose (via les politiques acquis) la domination inéquitable sur les tiers. Et, « en bas », on a celui qui ose (le voyou) et celui ou celle qui accepte ou qui est contraint de subir : Comme le professeur qui n’est pas certain de l’attitude de ses collègues ou de la hiérarchie, comme la hiérarchie qui craint les ennuis (comme les collègues) ou qui craint de se faire désavouer. Parce que les uns et les autres ont « intégré » qu’au dessus, on ne pourra ou on ne voudra rien faire. Puisque au sommet, le gouvernement a accepté la mission consistant à mettre en place les mécanismes qui engendrent … cette situation.

Il convient donc probablement de relativiser les cris d’orfraie des politiques quand une enseignante se fait « braquer » , comme d’ailleurs les larmes qu’ils versent sur les personnes qui fréquentent des restaurant du cœur. Et de s’interroger sur le point de savoir quelle est l’effet escompté par eux de leur indignation ou de leur compassion (**).

Marcel-M. MONIN m. de conf. hon. des universités.

 

(*) Tout cela n’est pas nouveau sur le fond. Par exemple, au Moyen Age, diverses théories ont été fabriquées et des règles ont été imposées, pour permettre à une minorité (les aristocrates propriétaires terriens) de prospérer. Et aux autres, de subir le sort qui en résultait mécaniquement.

(**) On se trouve dans une situation en apparence paradoxale : la communication « marche » sous un certain rapport, puisqu’a été élu en 2017 le candidat « fabriqué » (comme cela est admis par beaucoup) par ce que l’on nomme habituellement « l’oligarchie ». Mais d’un autre côté, la cote de popularité très faible de l’actuel président de la République tend à montrer que les mêmes techniques de communication sont inopérantes. La question se pose alors probablement de la mise au point d’une communication et d’une stratégie, sinon communes, du moins parallèles des opposants (minoritaires dans les institutions, mais majoritaires dans le pays). V. sur cette question, notre réflexion sur Agoravox : « les leçons du 16 octobre ».


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