Eric Zemmour, oiseau de mauvais augure - L’islam est compatible avec la France
par Kader Hamiche
lundi 12 septembre 2016
La France rejettera-t-elle les Musulmans qui l’aiment sous prétexte que ceux qui ne l’aiment pas les décrètent mauvais musulmans ?


A l’occasion de la publication de son dernier livre, Éric Zemmour a toutes les chances de faire le buzz pendant encore une semaine dans les médias main street et pendant des mois dans les rézosocios. Comment ? En parlant islam et islamisme, les deux étant, dans son esprit, une seule et même chose. Connaissant et appréciant l’homme, je me refuse à parler de mauvaises intentions et de mauvaise foi ; je n’irai pas jusqu’à dire que Zemmour est bienveillant mais je ne doute pas une seconde de sa sincérité. Et je mets volontiers son discours outrancier sur le compte de la peur. Car la peur d’Éric Zemmour est parfaitement fondée : la France est à la veille d’une guerre civile.
Moi qui ai connu concrètement et pas seulement dans les livres la Guerre d’Algérie[1], je dis que la France est à la veille d’un événement majeur de son Histoire : un remake, dans les formes, de cette terrible guerre civile. Nous ne sommes pas, en réalité, le 7 septembre 2016 mais le 7 septembre 1954 ; la Toussaint 2016, anniversaire du déclenchement officiel de l’insurrection FLN, pourrait fort bien constituer, pour un terrorisme islamique très inspiré par la guerre d’Algérie et les méthodes de ses initiateurs, une date idéale pour lancer une offensive dont beaucoup de spécialistes ne doutent plus qu’elle se produise sans savoir quand.
Mais alors, me direz-vous, si vous êtes d’accord avec Zemmour, pourquoi cette contradiction, cette « dispute » au sens qu’avait ce mot au XVIème siècle à propos, déjà, de religion ? La réponse est que je ne conteste pas les craintes d’Éric Zemmour, qui sont partagées par bien d’autres intellectuels : Michel Onfray, Jean-Christophe Rufin, entre autres. Je ne parle pas de Finkielkraut, l’obsédé d’Israël pour qui l’Arabe est l’ennemi absolu, ni de Houellebecq, dont « la Soumission » est un énorme gag éditorial mal écrit, bâclé, pas documenté et, surtout, révélateur de son ignorance totale de la psychologie des Musulmans. Je conteste l’assimilation par Éric Zemmour de l’islam à l’islamisme. Et cela n’est pas qu’une erreur, c’est un crime contre l’intelligence et la raison.
Concrètement : 1. Les Hommes sont absolument absents de sa réflexion. Or l’islam, comme toute religion, est ce que les Hommes en font. Les Musulmans ont démontré à travers les siècles qu’ils étaient capables du meilleur comme du pire. Et quiconque s’intéresse sérieusement à l’Islam sait que les périodes de grandeur et de paix de son Histoire sont beaucoup plus longues que ses périodes de barbarie et de guerres. 2. Éric Zemmour ne retient de l’islam et de ses textes fondateurs que ce qui arrange les buts téléologiques qu’il a fixés à sa démonstration : prouver que l’Islam (je l’écris volontairement avec une majuscule, comme j’écris Christianisme ou Judaïsme) est une religion de haine et de conquête « incompatible avec la France », selon sa propre formule.
Au mieux, c’est de l’ignorance ; au pire, c’est voulu pour servir un dessein inavouable qui est de participer à l’exacerbation des haines en vue d’une guerre civile que, dans cette hypothèse, il n’appréhende pas mais qu’il espère. Dans les deux cas, c’est impardonnable de la part d’un prescripteur d’opinion responsable. Mais l’est-il ? J’ai compris depuis longtemps qu’Éric Zemmour s’était délesté du fardeau que constitue pour tout intellectuel dans son siècle la responsabilité morale de ses écrits. Pour s’en justifier, il se drape dans ses habits immaculés d’homme du verbe et de la belle littérature sans considération aucune du mal que ses mots, fussent-ils les plus beaux et les mieux agencés, peuvent faire aux populations qui n’y peuvent mais.
Il y a en France, si on sait interpréter et croiser les données de l’INSEE, douze millions de « Musulmans » dont on est bien incapable de dire combien le sont vraiment et combien ne le sont pas, soit qu’ils l’ont jamais été que par leur ascendance, soit qu’ils ne le sont plus après l’avoir été. D’ailleurs, ça ne nous regarde pas si ce n’est pour dire qu’il n’y a pas, en France, douze millions d’islamistes. Pour la seule et bonne raison que l’islamisme – dût la démonstration oiseuse d’Éric Zemmour dans la vidéo de France5 en pâtir – n’est pas l’Islam. Le mot « islamisme » a, peut-être, selon Zemmour, en d’autres temps, été synonyme d’« Islam » ; aujourd’hui, et c’est cela qui compte, il permet de nommer l’idéologie politique basée sur le volonté d’imposer partout l’islam et sa loi, la charia. Quelqu’un (de sérieux, j’entends) osera-t-il dire qu’il y a douze millions d’islamistes en France ? Evidemment, non !
D’ailleurs, et c’est là le nœud, qu’est-ce-qu’Éric Zemmour veut signifier par la formule : « l’islam n’est pas compatible avec la France » ? Si on s’en tient au registre de l’intellectuel spéculatif qui glose sur tout et n’importe quoi dans l’abstrait, c’est-à-dire sans tenir compte des réalités, on peut à la rigueur l’admettre. Ce serait encore une erreur mais une erreur dont on se ficherait car elle serait sans conséquences. D’ailleurs, je ne prendrais pas la peine de la discuter car, contrairement à Zemmour, je m’intéresse à la vie des gens, pas à la manipulation de concepts. Dans le réel, si l’islam, que j’écris avec une minuscule quand je parle de celui nocif et étriqué de Zemmour, n’est pas compatible avec la France, cela signifie que les musulmans (même remarque que pour le mot « islam ») n’y ont pas leur place. Dans ce cas, que fait-on des deux, trois, quatre millions ou on ne sait combien de citoyens français de confession musulmane, comme on disait naguère, qui vivent en paix dans un pays qu’ils aiment et qu’ils considèrent comme leur patrie, et qui ne veulent absolument pas que les lois de la République soient remplacées par la charia ?
Zemmour ne répond pas directement à cette question. En tout cas, pas dans cette interview RTL ni dans celle de France5. Mais sa solution, ou plutôt, l’impasse dans laquelle sa dialectique nous emmène, est sous-jacente : les Musulmans qui ne sont pas islamistes ne sont pas nombreux (on ne sait pas comment il le sait mais qu’importe) et, d’ailleurs et, là, c’est très fort, « ils ne sont pas considérés comme musulmans ». On a envie de lui dire : « raison de plus pour les garder ! ». En effet, il serait quand même paradoxal que la France rejette les Musulmans qui l’aiment sous prétexte que ceux qui ne l’aiment pas les décrètent mauvais musulmans. « Ah, oui, mais non ! », nous dit Zemmour. Car « donner un prénom qui n’est pas français à son enfant, c’est se détacher de la France ! » Il se trouve qu’un Musulman (même avec un M majuscule) se doit de donner un nom musulman à son enfant, tout comme un Chrétien ou un Juif donne un nom biblique à ses enfants. Il y a aussi, chez les Musulmans, comme chez les Chrétiens et les Juifs, la tradition de piété filiale qui consiste à donner le nom d’un aïeul à ses enfants. Faut-il que seuls les Musulmans soient obligés de se faire violence, en renonçant à leurs traditions, pour mériter d’appartenir à une nation… par ailleurs laïque ?
Bref, tout cela sent la rhétorique spécieuse pour obliger tous les musulmans de France, qu’ils le soient vraiment, qu’ils le soient pas supputations ou qu’ils ne le soient que dans l’œil de l’autre, à renoncer à la France. Le pire pour le fils de Harki que je suis, si proche d’Éric Zemmour par mes racines (françaises, je le précise, la Kabylie était française !) de descendant de Berbères, de victime de la décolonisation et, même, d’ancien, comme lui, « des cités », le pire pour moi est qu’à aucun moment il n’a une pensée à ces millions de Français musulmans qui doivent leur francité au sang qu’ils ont versé pour la France. Je pensais qu’eux, au moins, méritaient d’être rassurés et confortés dans leur sentiment d’appartenance à la France. C’est là une grande faute d’Éric Zemmour. (A suivre)
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[1] Né en 1955, j’ai connu à 7 ans et 1/2 le couteau des égorgeurs à 30 cm de ma gorge et, à moins de 8, l’ignominieux abandon des Harkis. Zemmour, né d’un père communiste (comme Robert Ménard) est parti bébé d’Algérie, et sa famille a bénéficié de l’aide des association humanitaires juives françaises. Lesquelles, soit dit en passant, ne se sont jamais préoccupés ni des Piénoirs ni, surtout, des Harkis relégués dans des camps de concentration et de travail.