Est-ce que Mélenchon a raison de dire que le conflit syrien est lié aux gazoducs ?

par Joseph
samedi 15 avril 2017

Suite aux déclarations de Mélenchon sur le conflit syrien qu’il attribue à des conflits d’intérêts liés aux tracés de gazoducs, des boucliers se sont levés pour défendre l’idée selon laquelle ce conflit est surtout lié à des soulèvements populaires qui ont pour cause la gestion dictatoriale du pays par Assad. Déjà à cause de la complexité liée à l’histoire des projets de mise en place de ces gazoducs, et du contexte socio-économique en Syrie. Donc au lieu de rentrer dans les détails des problématiques liées aux tracés de gazoducs et d’un contexte socio-économique défavorable, on essaiera de prendre un peu de hauteur pour remettre les choses en perspective et se débarrasser de cet écran de fumé humaniste qui cache des conflits d’intérêts bien réels derrière la guerre en Syrie.

D’abord quelques précisions, je ne soutiens pas Mélenchon ou encore d’autres. Mais lorsque qu’un politique qui est susceptible d’être écouté par un grand nombre de personnes donne un peu de lumière, il serait dommage de la voir disparaître derrière des écrans de fumée.

Donc suite à ses déclarations, des articles (de presses) soutiennent que le conflit Syrien est avant tout lié au régime dictatoriale d’Assad, et au contexte socio-économique. Ces articles disent beaucoup de vérités, mais cette conclusion lié à une volonté autonome du peuple syrien de s’émanciper, qui bien que réel en partie, paraît un peu rapide et occulte une grande partie de la vérité comme on le verra.

Ces articles utilisent grosso-modo ce type de rhétorique :

  1. Les tracés possibles des gazoducs ont pour but de ne pas dépendre uniquement de l’approvisionnement en énergie des Russes.

  2. Les tracés possibles des gazoducs en discussion et leur réalisation ou non ont de multiples facteurs qui interviennent dans leur mise en place et ne peuvent être seulement reliés à la guerre en Syrie

  3. Impossibilité de mettre en place de gazoducs et faire des affaires dans un pays en guerre, le problème Syrien ne peut donc cacher cette relation de cause à effet

  4. La guerre en Syrie est donc avant tout la faute de la répression sanglante du gouvernement Assad d’un soulèvement populaire en 2011, lié à un contexte socio-économique morose, et il est difficile d’y voir une quelconque récupération de l’opposition à Assad, comme la présence de conflits d’intérêts extérieures (notamment lié aux gazoducs donc)

Tout n’est pas faux, mais tout n’est pas vrai non plus. Oublions un instant l’histoire des projets de tracé de gazoducs et tentons de remettre les choses dans leur contexte.

Comme on l’a vu dans un précédent article, ce qui se passe au Moyen Orient dérive de ce l’on appel le Grand Jeu, c’est à dire les luttes d’influence pour la domination de l’Asie centrale (et maintenant étendu au MO). L’idée est que celui qui contrôle cette partie du monde, contrôle le monde. Difficile donc de ne pas voir dans les conflits du MO des problématiques liés à des confits d’intérêts que chaque partie en lice va essayer de faire tourner à son avantage en fonction des situations.

Pour ce qui est des principaux acteurs sur cet échiquier, on pourrait dire que la Russie, la Syrie et l’Iran défendent leurs pions face aux USA et ces alliés. Bien sûr la Chine n’est pas loin et se place à côté de la Russie, d’autres acteurs sont aussi en lice. Difficile donc de ne pas parler de conflits d’intérêt, d’autant plus que la Syrie a une position géostratégique non négligeable pour la Russie. Difficile de croire que cette position géostratégique n’intéresse pas les USA, et bien sûr que les Russes ne veulent pas perdre cet allié, et donc cette position géostratégique. Rien de plus normal et humain que de vouloir défendre ces intérêts, difficile encore de le nier. Comme il est difficile de nier que le MO dispose de ressources énergétiques importantes, donc que des conflits d’intérêts pour leur contrôle émergent forcément entre les différents acteurs du Grand Jeu.

Mais est-ce que défendre ce point de vue n’irait-il pas à l’encontre de nos intérêts en favorisant les Russes aux détriments de nos alliés américains et des nôtres comme le sous-entendent ces articles ? Au delà de savoir s’il est pertinent de cacher ou non une partie de la réalité de la situation car elle irait à l’encontre de nos intérêts, la France ne devrait pas être dépendante des Russes, ni même de notre allié, et ami, américain si elle veut assurer son indépendance.

A ce sujet, on a déjà vu que certains de nos intérêts sont parties du côté américain à nos dépends. On pourrait parler de Total qui s’était vu à l’époque refuser par les USA de faire passer un gazoduc en Iran car l’Iran était considéré comme un ennemi.

Ou encore de la vente de 70 % des activité d’Alstom à General Electric. On parle ici de la vente de notre savoir faire lié aux turbines à vapeur qui équipent nos centrales nucléaires, donc de la la maintenance de ces turbines et de nos centrales nucléaires laissée maintenant au bon vouloir de cette entreprise américaine. Y-at-il besoin de souligner l’intérêt stratégique de cette perte ?

Ou même de « comment Airbus a cessé d’être français » depuis qu’un ancien membre de la DARPA (une annexe du pentagone) est devenu directeur technique d’Airbus group. Là encore est-ce normal de céder sciemment la direction technique d’un groupe européen à des alliés non européens, et encore moins français ?

On peut donc voir à l’aide de ces exemples que les choses ne sont pas aussi simples. Que ce n’est pas parce que ce sont des alliés historiques que nous n’avons rien à perdre avec les USA. Ou encore que ce n’est pas parce que les Russes sont vus comme des concurrents que nous ne pourrions pas avoir des intérêts communs (la lutte contre Daech semble être un intérêt commun, mais qui peut s’opposer à la chute d’Assad par exemple). A chacun d’ouvrir les yeux et faire attention, et surtout quitter une vision binaire du monde, Bien versus Mal, qui cache la complexité du réel. « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge ! » disait Voltaire, rien de nouveau sous le soleil.

Précisons à tout hasard que cette défense de nos intérêts n’a rien à voir avec un quelconque nationalisme. Elle se rattache plutôt à une optique de conserver les moyens de notre indépendance, et donc de pouvoir protéger notre lieu de vie et interagir avec ceux qui nous entourent comme bon nous semble (ce qui ne veut pas dire égoïstement et en se refermant sur nous-même bien entendu, mas pas naïf non plus et en ayant conscience de faire partie d’un tout qu’il est difficile de négliger sans répercussions). Les libéraux intègres savent de quoi je parle, c’est un principe qui se rattache au respect du principe de subsidiarité (donner la liberté d’action nécessaire aux entités qui composent un tout), et dont découle aussi le principe de non-ingérence extérieur.

Mais revenons au MO et à la Syrie. On vient donc de voir que la situation géostratégique de ce pays en fait de facto un enjeu lié à des conflits d’intérêts et autres luttes d’influences. Alors comment ne pas voir dans ce conflit une volonté de récupération dans le soulèvement populaire syrien, et donc une volonté de faire passer la Syrie du côté des USA en faisant chuter Assad quitte à soutenir des factions terroristes ? Ce genre de procédé n’a-t-il jamais eu lieu ?

Bien sûr que si, et il est vieux comme le monde. On pourrait déjà se pencher sur les documents déclassifiés des services secrets américains en rapport avec l’Amérique Latine, ou encore du soutien de ce qui deviendra plus tard Al-Qaeda lors de la guerre d’Afghanistan. Nombre de renversement de régime ont eu lieu par un soutien extérieur dirigé par les USA. Mais les USA ne sont pas forcément les seuls à blâmer, en fait tout le monde fait ou a fait pareil. Les Russes comme nous les premiers. En fait cela a toujours eu lieu, et est même à l’origine de la chute de biens des empires.

La logique est très simple, lorsqu’une entité A devient trop autoritaire dans le but de s’imposer par la force au détriment des autres elle va créer des mécontents. Lorsque ce nombre de mécontents atteint un certains niveau, une autre entité B peut agir pour récupérer, soutenir (voir créer) ce mécontentement pour tenter de renverser l’entité A. On peut voir ça au niveau international, national, politique, etc.

Ou encore plus proche de nous, au sein d’une entreprise lorsque quelqu’un cherche à prendre la place de l’autre en montant contre cet autre ceux qui ont été froissés par cet autre, ou encore par le biais d’information mensongère visant à le discréditer. Bien sûr tout ça dans le but d’éliminer celui qui nous gène et prendre sa place. Rien de plus « humain », on appel ça « poussette », diviser pour mieux régner, médisances, monter les uns contre les autres, avoir les dents longues, coups de vices, pousser à la faute, quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage, etc.

Au fond les gouvernements n’ont rien inventé et ne sont pas plus retors que nous, en revanche leur pouvoir de nuisance engendre des répercussions bien plus importantes. C’est aussi eux qui prennent les décisions pour le plus grand nombre. Il est donc normal de rejeter la responsabilité à ceux qui prennent les décisions, pas à ceux qui les subissent.

C’est donc en utilisant la présence de divisions que certains on pu s’imposer et même détruire des empires. Ce fut une des causes de la chute de nombreux empires comme ceux d’Alexandre, Romain, Perse Sassanide, Arabes, Mongols, etc. Bien sûr les causes des chutes d’empires sont multiples et complexes, mais l’utilisation des divisions et du mécontentement revient souvent à différents degrés. En ce sens on peut se demander si s’imposer par la force au risque de créer des divisions qui pourront être récupérés par la suite est la meilleur des stratégies à long terme, ou est-ce se tirer une balle dans le pied ? Autrement dit, tenter de préserver l’unité au travers de la multitude en respectant le principe de subsidiarité ne serait-elle pas la meilleur des solutions sur le long terme ? Ou encore de ne pas être trop gourmand comme dirait la sagesse populaire ?

On a vu également dans un autre article ce que pouvaient engendrer des actions illégitimes d’un point de vue stratégique. L’ingérence extérieure et s’imposer par la force brute en sont des exemples, comme elles sont aussi facteurs de mécontentements qui pourront servir à d’autres.

Assad qui a certainement été trop autoritaire dans la manière de gérer son pays en a fait également les frais, il a permis à certains de récupérer ce mécontentement. Bien sûr rien n’est simple dans la gouvernance d’un pays, surtout lorsque des forces extérieurs tentent de le déstabiliser. Difficile aussi de savoir le degré de manipulation dans la monté de ce mécontentement (voir les archives déclassifiées plus haut en ce sens et les articles afférents pour des exemples similaires dans le passé), comme pour ce qui est de la réalité des choses vis à vis du peuple syrien antérieurement au conflit. Mais une chose est sûr, la situation du peuple syrien est largement pire qu’avant le conflit, sans parler d’un surplus de déstabilisation au sein d’une région qui n’en avait pas besoin, comme du manque de détermination à contrer le totalitarisme de Daech, car Daech sert aussi les intérêts de ceux qui veulent renverser Assad.

Donc pour revenir à la Syrie, il est évident que l’on a été prêt à soutenir des factions terroristes dans le but de faire tomber Assad. Difficile donc de prétendre que la Guerre en Syrie n’est que le fruit d’un soulèvement populaire autonome. Difficile de prétendre que ce soutien n’a pas fait plus de mal que de bien au peuple syrien (et ce n’est pas fini). Difficile de prétendre que ces soutiens ont été fait dans l’optique humaniste d’éliminer un dictateur alors que nous en soutenons d’autres lorsque cela nous arrange respectons le droit de non ingérence des affaires d’une Nation dirigé par d’autres dictateurs.

On pourrait ici revenir sur le cas de l’Amérique Latine, mais l’Afrique ou l’Asie n’est pas en reste. Par exemple durant la Guerre froide lorsque les USA ont soutenu un régime dictatoriale en Indonésie qui a tué plusieurs centaines de milliers de sympathisants communistes (des millions selon les auteurs de ces massacres dans un documentaire) sans que cela émeuve grand monde. La liste des régimes dictatoriaux soutenus par ceux qui critiquent Assad serait trop longue.

Difficile donc de prétendre qu’il n’y a jamais eu d’ingérence extérieure aux mépris élémentaires des droits de l’homme et des Nations à pouvoir disposer d’eux même au cours de l’histoire, que ce soit par un camp ou l’autre. Difficile aussi de nier que des régimes dictatoriaux n’ont pas déjà été soutenus lorsque cela nous a arrangé.

Enfin, lorsque l’on parle de l’impossibilité de faire des affaires dans un pays en guerre, il n’y a qu’à voir ce qui ce passe en Afrique et ailleurs. On voit bien qu’une guerre civile n’empêche pas les affaires de tourner comme on l’a vu dans un article sur le conflit d’Aceh, ou encore ce qui se passe actuellement en et autour du Congo. Bien au contraire diraient certains, d’autant plus que pour ce qui est de la mise en place de gazoducs/pipelines rien ne presse et peut attendre une stabilisation en Syrie.

Alors est-ce qu’il y a eu du mécontentement au sein du peuple Syrien ? Bien sûr, comme dans de nombreux pays d’ailleurs, mais cela est loin de tout expliquer. D’ailleurs sans récupération de ce mécontentement et soutiens extérieurs aux « rebelles » la situation serait-elle ce qu’elle est actuellement ? Poser la question est déjà y répondre, même si l’on postule que la situation socio-économique antérieure au conflit n’est le fruit d’aucune volonté de manipulation extérieure visant à l’accentuer.

Difficile donc de ne pas voir des conflits d’intérêt, des luttes d’influences, et des ingérences extérieures dans le conflit Syrien. Difficile de ne pas les rapprocher à des problématiques géostratégiques et énergétiques, et donc de transport de ces énergies par des gazoducs/pipelines dans un future proche ou lointain. Difficile donc de donner tort à Mélenchon sur ce point.


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