Est-ce que vous condamnez les violences ?

par Gustave
mercredi 29 mars 2023

Je suis militant d’une association qu’il est convenu de classer dans la « gauche radicale ».
Non pas au sens que lui donnent MM. Darmanin, Lallement et son successeur Nuñez, qui feignent tous de ne rien connaître de l’étymologie. Non pas au sens où nous rêvons de mettre la France à feu et à sang, et de faire du terrorisme un moyen d’action politique.

Mais bien au sens où notre volonté est de remonter à la nature profonde des choix politiques que nous dénonçons. Où notre action vise à éclairer les raisons essentielles de ces choix, à ne pas confondre les effets et les causes.

Pour nous, l’injustice fiscale, le laxisme face à l’évasion fiscale massive, le mépris des enjeux climatiques, la destruction systématique du système de santé et des services publics en général, l’introduction de la marchandisation à marches forcées ne sont pas des faits séparés, ne sont pas des erreurs de calcul, ne sont pas non plus des mauvaises actions perpétrées par des esprits pervers.
Toutes ces facettes de la politique dite néolibérale relèvent en fait la nature profonde des choix de société, des analyses économiques qui les sous-tendent, et de la logique gestionnaire qui en découle.
Tous ces choix mettent en évidence une lutte des classes toujours niée ou masquée, mais parfaitement évidente aux yeux de tous, les bénéficiaires comme les victimes1.

Toutes nos analyses, toute notre action, consistent à exposer ces choix, leurs raisons et leurs conséquences, à produire des argumentaires, à les diffuser, à les faire connaître au plus grand nombre.

L’angle de lutte que nous avons choisi fait que l’âge moyen de nos militants et sympathisants est un âge de raison, l’âge où l’on ne met plus le feu aux poubelles ni aux cars de CRS, et où l’on ne cherche pas à tous prix la confrontation avec la force publique caparaçonnée et solidement armée.

La question se pose pourtant de l’efficacité de nos stratégies, depuis plus de deux décennies de lutte, et au vu du constat évident de la régression sociale, du mépris et de l’hypocrisie des pouvoirs successifs, de l’aggravation des inégalités, du détournement par une infime minorité du produit du travail de tous.

Or, force est de constater que cet échec de la stratégie sage que nous observons depuis toujours, qui est aussi celui du syndicalisme et de tout ce qu’il est convenu de nommer « corps intermédiaires », interroge tout le mouvement social, depuis les mouvements libertaires jusqu’aux centrales syndicales les plus modérées, les plus adeptes du compromis.

Il est aujourd’hui difficile de ne pas entendre l’évolution des discours dans les cortèges actuels, où les manifestants se sentent à la fois dans leur bon droit, se vivent comme l’expression de la démocratie vivante2 , et se savent représentatifs d’une part majeure de l’opinion.

Impossible de ne pas sentir que tous se souviennent que seule la masse, la détermination, l’obstination peuvent faire bouger les choses.

Mais surtout, et cela est nouveau, difficile de ne pas entendre de sages et chenus manifestants, de paisibles manifestantes, se demander s’il peut être utile face à un pouvoir déterminé à imposer ses « contre-réformes », de défiler poliment dans les avenues choisies par le préfet, aux heures qu’il aura fixées, tout en observant les cohortes de cars de police mobilisées pour l’occasion.

Difficile de ne pas noter que certains susurrent : « tiens, ils protègent le Mac-Do ».

Les slogans, maximes et dessins fièrement proclamés par les pancartes improvisées, au de là de l’humour, reflètent une exaspération croissante, une rage qui n’échappe à personne.

Impossible de ne pas entendre évoquer l’épisode des Gilets Jaunes, qui révéla de manière spectaculaire la réaction du pouvoir, son désarroi, et sa reculade devant un mouvement qui ne jouait plus le jeu qu’il avait organisé, qui ne suivait plus les règles, qui envahissait les beaux quartiers. Impossible de ne pas entendre que « finalement, cette violence a fait bouger les choses ».

Impossible de ne pas entendre dénoncer l’hypocrisie d’un pouvoir qui, tout en diabolisant les violences marginales, toujours se réclame de la république et de la démocratie directe, feignant d’oublier d’où elle vient, et par quelles actions elle fut arrachée à un autre pouvoir qui lui aussi se croyait et se proclamait légitime.

Au sein même de notre sage association – si sage qu’elle est reconnue d’utilité publique – la vanité des analyses contradictoires, des propositions, de la dénonciation des injustices les plus flagrantes et des lois les plus scélérates, a conduit à s’interroger sur la pertinence de l’obéissance servile, et fait naître un fort courant favorable à des actions désobéissance citoyenne3.

L’épisode des la bataille des retraites est de ce point de vue le point d’orgue d’une césure sociale majeure, d’une prise de conscience de la lutte des classes impitoyable révélée par l’obstination du chef de l’état, par ses liens avec les intérêts financiers et par sa mansuétude vis à vis des grands possédants, des grands gagnants de toutes les crises.

Le ton dans les cortèges est indiscutablement monté d’un cran, ce que les services de renseignement ne peuvent évidemment ignorer. Ce que très certainement l’on analyse dans les cercles restreints du pouvoir.

Et corrélativement, on observe que les rédactions des médias « mainstream » sont à l’affût de cette potentialité d’exacerbation, suggérant des titres alléchants. Mais sur les plateaux de télé, le ton général est à la mise en demeure de chaque acteur du mouvement social, sommé de « condamner les violences »… malheur à celui qui, ne répondant pas sans nuances « oui », sera classé séditieux, et responsable du désordre. Malheur à celui qui ose évoquer la responsabilité d’un pouvoir incapable de comprendre la marche des événements, incapable de comprendre que sa « légitimité » formelle ne suffit plus ; cet imprudent sera rapidement accusé d’envenimer la situation, classé « ultra gauche ».

Or il convient d’entendre et de comprendre les sens de cette montée du sentiment de révolte.

Ainsi, nous avons pu entendre dans le cortège du 23 mars, l’un des leaders syndicaux d’une grande centrale « responsable », entonner dans le mégaphone, sous les drapeaux de sa confédération, sur le plateau de la camionnette de la confédération, ce slogan tonitruant : « On a décapité Louis VXI, on peut décapiter Macron ».
Cette « violence symbolique », très inhabituelle au mégaphone des grandes organisations, nous a semblé d’une très grande signification, extrêmement révélatrice de l’évolution explosive des consciences exaspérées par le mépris, la surdité, la morgue… et pour quoi ne pas le dire, l’imbécillité politique du chef de l’État.

Et même si, de guerre lasse, la résignation l'emportait finalement, par épuisement, par désespoir, pour cause de difficultés financières, si la résignation offrait à Macron l’amère victoire à la Pyrrhus qu'il supputait en bon boutiquier... et même dans ce cas.

Que vaudrait cette victoire pour notre pays ? Comment ferait-on fonctionner une société violentée, désespérée de sa démocratie, dont l'attente aurait été ainsi méprisée, pas même prise en considération ?

Macron irait sans nul doute valoriser chez Goldman Sachs ou ailleurs ses talents de meneur d'hommes à la baguette, mais comment irait la France ? Pensent-ils tous, les Darmanin, les Véran, les Dussopt, les Philippe, les Macrons en herbe, que la mémoire collective est défaillante au point de les pardonner ? Que peut-on construire de solide, de fier, d’engagé, sur un peuple résigné ?

Eh bien sans nul doute, cette rancœur accumulée deviendrait délétère, acide, et présagerait des lendemains bien difficiles, dans une démocratie déjà emplie de doutes.

 

1On se souvient que Warren Buffett, affairiste Etats-unien, est connu pour sa fameuse formule (1) évocatrice du « classisme » : « La lutte des classes existe et que ce sont les riches qui sont en train de la gagner » !

2Tandis que sur les plateaux de télé et dans les studios de radio l’on déplore le désintérêt pour la politique, et que l’on s’interroge sans fin sur le désamour pour la démocratie, réduite à une élection tous les 5 ans….

3Concept très vite « criminalisé » par le pouvoir qui tenta de les considérer comme des actes de terrorisme sous le chef d’accusation de « vol en réunion », mais fut fort heureusement débouté par des juges de bon sens.


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