Est-il si anodin d’injurier le président de la République ?

par Paul Villach
mercredi 11 août 2010

 Un hebdomadaire, la semaine dernière, a choisi de faire sa couverture avec ce titre tonitruant puisqu’il était incrusté sur une photo en gros plan du président de la République au regard menaçant : « Le voyou de la République ». Et pour le justifier, ces sous-titres l’encadraient : « Nationalité, immigration, délinquance – Xénophobe et pétainiste ? Certes pas. Mais aucun intérêt moral ne l’arrête. Et pour garder le pouvoir, il est prêt à tout ». Le but, on s’en doute, était à la fois de capter l’attention par une transgression délibérée et de stimuler un réflexe de répulsion envers l’intéressé.

 
Peu importe le nom de cet hebdomadaire qui n’a pas songé à une possible rétroaction ! La question posée par ce titre est, en effet, la suivante : est-il si anodin en démocratie d’injurier ainsi publiquement un président de la République ?
 
Deux raisons pour condamner l’injure
 
 1- Une fonction présidentielle identifiée au peuple
 
Il semble que non pour deux raisons. La première est que, pendant le mandat pour lequel il a été régulièrement élu, il est le président de la République et sa fonction dépasse sa personne : qu’on le veuille ou non parce qu’on a voté pour lui ou non, il représente le peuple français. Le contrat démocratique qui réunit les citoyens d’un pays, régit ainsi leur communauté. Le président élu est investi par la constitution de pouvoirs pour agir au nom de tous. L’injurier comme le fait cet hebdomadaire, c’est injurier la fonction présidentielle qui est identifiée au peuple français. L’injure s’adresse donc en même temps au peuple français dont la majorité aurait élu non un président mais « un voyou ».
 
Que des factions extrémistes s’y adonnent, n’est pas surprenant puisqu’elles ne souscrivent pas à l’ordre républicain et s’inscrivent dans une logique de guerre civile visant à renverser l’ordre républicain et lui substituer un autre régime. Mais qu’un hebdomadaire qu’on ne peut soupçonner de ces menées subversives, use de l’injure envers le président, est le signal qu’il est devenu réceptif à un mode de combat qui n’est plus républicain.
 
2- Un profil caractériel visé et non des actes
 
La seconde raison est que l’injure proférée envers le président, «  Le voyou de la République  », ne vise pas des actes mais un profil caractériel permanent. L’intéressé n’est pas accusé d’user à l’occasion de méthodes de voyou, mais d’être psychologiquement et moralement acquis à un mode d’être qui viole systématiquement les lois républicaines.
 
Nombre de groupes existent, en effet, qui asseoient sur le délit et le crime organisés leur mode d’existence : et on peut dire de leurs membres que ce sont des voyous. Il faut une persistance dans la pratique délictueuse ou criminelle pour mériter cette injure. Une administration qui jouit de la stabilité dans la durée et qui montre une inclination régulière à violer la loi depuis de nombreuses années chaque fois qu’elle y a intérêt, peut mériter l’appellation d’administration-voyou, comme il existe des patrons-voyous ou des États-voyous. On ne peut en dire autant, sauf exception, d’un président élu démocratiquement pour un mandat de cinq ans, fût-il renouvelable.
 
Les effets pervers d’une immunité excessive ?
 
Le président Sarkozy ne peut donc être confondu avec un groupe quelconque de crime organisé ni avec une administration familière du délit. De toute façon, on n’injurie pas un président qu’on juge indigne de sa fonction, on le destitue ou on ne le réélit pas. Il est vrai, cependant, que le mode de destitution prévue par la constitution française et l’immunité pénale accordée en cours de mandat au président, depuis en particulier la présidence Chirac, a un effet pervers : quoiqu’ il fasse ou peu s’en faut, un président de la République française en exercice est intouchable. Et c’est sans doute ce privilège excessif au regard des autres démocraties occidentales, qui, en retour, peut conduire à ces dérapages comme une campagne injurieuse envers sa personne.
 
En revanche, des actes politiques qu’on est en droit de réprouver
 
Il reste que, quels que soient les griefs qu’on puisse nourrir envers le Président Sarkozy, ils ne justifient pas l’injure de l’hebdomadaire. Le rôle normal de l’opposition en démocratie est seulement de les argumenter et de proposer des solutions alternatives.
  • Ainsi l’élection du président Sarkozy grâce aux voix de l’extrême droite qu’il a flattées pendant sa campagne, n’est pas une découverte. Qu’il se soit exposé à en rester prisonnier, n’en est pas une non plus. Il a suffi d’un peu plus de 3 % des votants pour faire la différence entre les deux candidats en 2007. Et Dieu sait si le Parti Socialiste a fait tout ce qu’il pouvait pour les faire perdre à sa candidate, Mme Royal. On s’étonne d’ailleurs de l’anathème que vient de jeter sur le Président Sarkozy M. Michel Rocard, après avoir consenti si complaisamment à lui apporter « son opposition constructive » dans les diverses missions qui lui ont été proposées et qu’il a acceptées. La part prise par l’électorat d’extrême droite à l’élection du président Sarkozy impliquait en retour qu’il fût satisfait tôt ou tard après avoir eu l’impression d’avoir été roulé. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison de la mise en scène de mesures sécuritaires à deux ans des prochaines élections présidentielles, sans compter qu’elles jouent un leurre de diversion qui masque l’embarrassante affaire Woerth-Bettencourt.
  • Il n’est pas moins évident que le président n’a pas tenu sa promesse électorale emblématique. L’augmentation du pouvoir d’achat selon le slogan démagogique « Travailler plus pour gagner plus » est toujours attendue. Il faut dire qu’une crise d’une rare violence à soumis l’ économie ultra-libéraliste déréglementée aux caprices du casino de la finance triomphante. Les banques sauvées de la faillite par les États ont eu la délicatesse de se retourner et de spéculer contre eux sous prétexte qu’ils ont accru leur endettement… pour les sauver. L’issue choisie est un budget d’austérité qui frappe prioritairement la politique sociale. Seuls les milliardaires, symbolisés par « le dîner du Fouquet’s » au soir de son élection en mai 2007, ont des raisons de se réjouir de la politique du président qu’ils ont soutenu : ils paient moins d’impôts, pratiquent l’évasion fiscale si on en croit les enregistrement clandestins de l’affaire Woerth-Bettencourt, ou vivent dans des paradis fiscaux.
  • Quant à son autre promesse emblématique sur la paix civile et à la sécurité, l’échec y est aussi patent. Comme ministre de l’Intérieur et président de la République, M. Sarkozy en a pourtant la charge depuis plusieurs années. Certaines formes de criminalité visant les personnes et les biens ont augmenté. L’économie souterraine et les délits et crimes qu’elle implique, reste apparemment florissante. On peut se demander si ce chaos n’est pas sciemment entretenu, faute de pouvoir être éradiqué : la permanence du crime permet utilement d’entretenir à volonté la stimulation des réflexes de peur et de demande de protection accrue : «  La peur, disait Clémenceau, est le grand moteur des actions humaines ». De même, dans l’École n’utilise-t-on pas les petites frappes, en les protégeant sous couvert d’humanitarisme, pour pourrir la vie les établissements publics et encourager la fuite des élèves vers le Privé ?
 
Un hebdomadaire a l’embarras du choix pour recenser les échecs de la présidence actuelle. Il n’est nul besoin d’user d’injure envers le président pour critiquer sa politique. Y recourir, au contraire, tend à discréditer l’ordre républicain qu’on prétend défendre. Comment l’hebdomadaire Marianne a-t-il pu l’ignorer ? 
 
Paul Villach
 

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