Et l’humanité dans tout ça ?

par benevole
jeudi 22 février 2007

Percutée par le véhicule d’un ivrogne, la voiture de Paolo-Luca et Samantha Tromboli a fait plusieurs tonneaux avant d’échouer dans le ravin. Leur bébé, sanglé dans son siège-auto, n’a pas survécu.

Le 9 mars prochain, le tribunal correctionnel rendra son jugement à l’égard des parents, accusés d’avoir provoqué sa mort par défaut de prévoyance. Le siège-auto ayant été monté à l’envers, ils risquent la prison !

S’il est un événement qui marquera à jamais la mémoire de ce jeune couple natif d’Audenaerde (Belgique), c’est bien cet accident qui a coûté la vie à l’être qu’il chérissait le plus.

Un tel drame est de ceux qui vous repassent par la tête des millions de fois et dont vous ne vous rétablissez que rarement. Une foule de questions vous harcèlent, lancinantes : "Et si j’avais vu le chauffard une seconde plus tôt ?" , "Et si je n’avais pas posé une question au conducteur ?" , "Et si nous étions partis une minute plus tôt ?", "Et si nous avions révisé les freins ?", "Et si nous avions disposé d’une voiture plus solide ?" , "Et si je n’avais pas insisté pour passer le week-end à la mer ?"

Un accompagnement psychologique s’avère souvent nécessaire, non pas pour oublier mais plutôt pour "vivre avec", "vivre malgré" ce souvenir atroce, ce présent obsédant.

Si vous aviez rencontré ces gens en pleine dépression, vous auriez tout naturellement cherché à les déculpabiliser et, même si vous aviez lu sur le mode d’emploi du siège pour bébé que ce dernier aurait dû être assis dans le sens inverse de celui de la marche, vous auriez sans doute hésité entre le devoir d’information et celui de ne pas aggraver leur douleur.

Dérive législative

En guise d’accompagnement psychologique, le ministère public a fait fort, en citant les parents à comparaître le vendredi 16 février 2007, un peu plus de deux ans après les faits, histoire de retourner le fer dans une plaie encore mal cicatrisée.

Défaut de prévoyance ayant entraîné la mort : La peine maximale est de cinq ans de prison. Même si on peut légitimement espérer que le juge acquitte les deux accusés, d’autant qu’en 2004 le Code de la route ne mentionnait pas encore, selon la défense, les détails du manuel d’utilisation, le seul fait de traduire en Justice les parents endeuillés pose un grave problème de dérive de l’Etat.

Bien plus qu’une histoire belge, c’est une histoire contemporaine. Elle aurait tout aussi bien pu se présenter en France ou aux Etats-Unis où, comme partout ailleurs dans le monde occidental, à notre époque qui voit chaque gouvernement nous gratiner de nouvelles lois.

En cause ici le lobby des assurances. On imagine volontiers que l’assurance du conducteur ivre n’a pas accepté la responsabilité totale de la mort de l’enfant au motif que la notice d’utilisation stipulait qu’un enfant de moins de 13 kg doit être assis, tête vers l’arrière du véhicule, au contraire d’un enfant pesant entre 13 et 18 kg dont le regard doit porter vers l’avant.

Ces recommandations sont certes très utiles. Elles s’appuient sur des avis du corps médical estimant qu’en dessous de 13 kg (environ deux ans), le cou est trop faible et la tête proportionnellement trop lourde pour éviter à l’enfant de se briser la nuque en cas de choc frontal. Elles s’appuient aussi sur des statistiques qui nous apprennent qu’un choc est plus souvent frontal que latéral mais il n’est pas exclu non plus qu’une voiture soit emboutie par l’arrière et, si tel était le cas, retranchée derrière ses statistiques, la compagnie d’assurances obtiendrait sans doute l’acquittement face à des parents dont le respect scrupuleux des lois dictées par les compagnies d’assurance, aurait causé la mort de leur enfant.

Mais cela aurait pu et dû rester au stade de l’information, voire de la sensibilisation. Et la décision devrait appartenir aux seuls parents. D’abord parce qu’ils sont présumés tenir beaucoup plus à la vie de leurs enfants que les parlementaires ou les comptables des compagnies d’assurances ; ensuite parce que ce sont eux qui conduisent et qu’ils peuvent tenir compte des informations ci-dessus en fonction de leur propre style de conduite.

Sans qu’il soit question de statistiques, on peut imaginer en effet qu’un choc frontal est plus probable associé à une conduite nerveuse, rapide ou sportive et qu’un choc par l’arrière se conçoit plus aisément quand on conduit plus lentement et prudemment que la moyenne car on a le temps de s’arrêter devant un obstacle, ce qui n’est pas toujours le cas du véhicule qui suit, surtout si l’état de la route ou la visibilité laissent à désirer.

En Belgique, le Code de la route relaie les recommandations des compagnies d’assurances et des constructeurs de sièges pour enfants en précisant même que ce siège peut se trouver à l’avant sauf s’il y a un airbag passager.

Quant aux enfants qui pèsent 12,950 kg avant et 13,100 kg après le repas, le code ne précise pas encore qu’ils ne peuvent pas manger en cours de route.

Qui est au service de qui ?

Attaquer au pénal les parents qui ont déjà eu le malheur de perdre un enfant peut sembler particulièrement odieux et scandaleux, mais faut-il se plaindre de la Justice, qui ne fait qu’interpréter les lois, ou du législateur qui sollicite les votes des citoyens à intervalles réguliers et, entre ceux-ci, ne s’inquiètent d’appliquer que les directives des lobbies et les conventions internationales ?

Les citoyens ont-ils été créés pour faire gagner de l’argent aux assurances ou à l’Etat ou bien les assurances et l’Etat ont-ils été créés pour servir les citoyens qui les paient ou les mandatent pour ce faire ?

Quand on a demandé à Sarkozy quelle serait sa politique à l’égard des lois antitabac, il a répondu qu’il les soutenait parce qu’ils ne voulait pas que les Français se tuent et tuent leurs semblables. Avec le même raisonnement, il pourrait interdire l’automobile, l’alcool, les usines chimiques et recommander à son ami Bush d’interdire aussi les armes.

Si les élus prennent leurs électeurs pour un ramassis de crétins irresponsables, peu soucieux de la vie de leurs enfants au point de craindre davantage une condamnation que la perte d’un être cher, s’ils se croient plus compétents derrière leur bureau que des citoyens en situation de vie ou au volant de leur véhicule, alors des aberrations comme celle qui fait le sujet de cet article se justifient.

Mais si nous voulons un Etat qui nous respecte, qui nous responsabilise au lieu de nous culpabiliser, qui nous informe plutôt que de nous bourrer le crâne, qui nous serve au lieu de se servir de nous, alors il est grand temps de ne plus justifier ses lois infantilisantes au motif que "les autres" en ont besoin.

Un monde parfait n’existe pas. Il y aura toujours une minorité de personnes nuisibles, peu respectueuses d’autrui qui, portées en avant par les médias, justifieront les politiques liberticides au nom d’une peur savamment entretenue.

Mais l’immense majorité est "comme nous", composée de braves gens généralement bienveillants, responsables et respectueux d’autrui, parfois négligents, parfois énervés, parfois sujets à l’erreur, souvent mal informés car il est bien difficile de répérer l’utile du superflu, l’information objective des multiples messages qui n’en veulent qu’à notre argent ou à notre vote.

Et c’est majoritairement à nous que ces politiques s’adressent.


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