Et si la démocratie était le problème et non la solution ?
par Florian Mazé
samedi 16 mars 2019
Samedi 16 mars 2019, le mouvement des Gilets jaunes connaît un regain, du reste assez inattendu. Je fais partie – à tort, donc – des gens favorables au mouvement qui pensaient que c’était fini. Mais que désirent les Gilets jaunes ?
Mais que désirent les Gilets jaunes ? En définitive, abstraction faite de l’aspect « révolte fiscale », c’est un (grand) mystère. On entend fréquemment les Gilets jaunes revendiquer d’avantage de démocratie et plus d’horizontalité, un mot qui est désormais à la mode. Du moins, c’est que revendique l’aile gauchiste des Gilets jaunes. Mais, si la démocratie était le problème et non pas la solution ?
On sait que la démocratie a déjà fait l’objet de critiques immenses, y compris par ses créateurs : les Grecs de l’Antiquité classique. Platon y voyait la forme la plus décadente des régimes, préparant à toutes les tyrannies. On connaît la description platonicienne, criante de vérité et d’actualité, telle qu’on peut la lire dans le livre 8 de sa République.
Résumons un peu Platon :
1) La démocratie procède d’un calcul oligarchique. Les oligarques confèrent le droit de vote au peuple pour l’occuper, lui donner l’illusion de participer quelque peu aux affaires publiques. Mais cette égalité des voix n’empêche aucunement l’inégalité des richesses et des conditions.
2) L’égalité des voix donne alors l’impression que tout le monde vaut tout le monde. S’installe alors un nivellement par le bas où la parole du savant n’a pas plus de crédit que celle de l’imbécile, où le vrai sage est rabaissé au rang des sophistes et démagogues, où l’honnête homme est considéré comme plus dangereux qu’un criminel, où l’usurpation prédomine un peu partout. Puis, la mentalité démocratique se « renforce »… C’est alors l’inversion des valeurs qui succède au nivellement par la médiocrité. Cette fois, le criminel vaut bien plus que le vertueux, l’imbécile que le savant, le démagogue que le sage, l’immaturité que l’expérience, le talent que le gâchage, etc.
3) Le droit de vote suppose aussi un culte échevelé de la liberté qui se rajoute à celui de l’égalité. Car voter est un droit, donc une sorte de liberté. L’esprit de liberté s’introduit alors partout et dégénère en laxisme intégral, mafieux avant la lettre, et totalitaire. La description platonicienne est célèbre : les vieux ont peur des jeunes, les maîtres des élèves, les sages des fous, les humains des animaux mal dressés, les parents des enfants arrogants, les hommes des femmes devenues des viragos, etc. , etc.
4) La démocratie correspond aussi à une décadence des élites. Les dirigeants démocrates sont des dirigeants jouisseurs qui succèdent à leur parents avares (de riches oligarques avares et affairistes, qui avait au moins le mérite de ne pas jeter l’argent par les fenêtres). Avec les élites démocratiques, selon Platon, la nation rentre en phase d’autodestruction. Les élites n’ont même plus le vrai sens des affaires et ne sont mues que par une culture du gaspillage et de l’amusement effréné.
5) Pour finir, la démocratie transforme le peuple en une masse informe, une juxtaposition d’individus atomisés, sans aucun sens du bien commun, à la fois totalement soumis et très violents. C’est bien pour cela qu’il faut distinguer, parmi les Gilets jaunes, les Gilets jaunes tendance-peuple et les Gilets jaunes tendance-masse, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Il faut signaler toutefois qu’Aristote, mois pessimiste que son maître Platon, envisage dans sa Politique la possibilité d’une sorte de démocratie vertueuse, une "politeïa". Pour Platon, la démocratie est, par essence, perverse. J’avoue qu’il est difficile de trancher entre les deux positions. Mais, de toute manière, Aristote intègre aussi dans son analyse la démocratie démagogique dans sa classification des régimes vicieux et corrompus.
C’est dans cette perspective que j’ai écrit mon roman d’anticipation 2193 : Le Crépuscule des Humanistes, où je compare deux régimes de fiction, l’un totalitaire et terrifiant, au sud, l’autre démocratique et rassurant, au nord. Le lecteur peut y découvrir, de page en page, que le régime « démocratique », en définitive, engendre plus d’horreurs et de sottises que le régime « totalitaire ».
Tel en est le paradoxe.
"Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérisent les causes." Bossuet