Et si nous parlions de projet de société plutôt que d’une réforme des retraites bidon

par Jean-Luc Picard-Bachelerie
jeudi 5 décembre 2019

Du temps de sa conquête du pouvoir, Macron nous a fait croire (comme tous ses prédécesseurs) qu’il ne serait pas comme eux. Avec lui, le pays allait être réformé, réparé de toutes les erreurs de ses illustres devanciers incompétents. Faut-il rappeler toutes les réformes, tous les plans, toutes les promesses d’Emmanuel Macron ou bien faut-il se contenter de celles qui ont réellement produit du progrès économique et social ? Cette dernière liste est bien plus simple car elle est vide. La seule réussite de ce banquier c’est d’administrer le pays comme un comptable : économie, dette, économie, dette… lobbys et inégalités. Mais que de beaux discours maniérés accompagné d’un coach voix pour ne pas être ridicule… Alors, cette réforme des retraites ? Simple correctif ? Projet de société ? Ou nouvelle erreur ?

Disons-le sans détours et circonvolutions lexicales. Mise à part la volonté de supprimer le régime spécial aux parlementaires (c’est pas gagné), tout est à jeter dans la réforme Macron.

Prenons la suppression des régimes spéciaux et leur remplacement par un traitement égalitaire. Comme si tous les métiers se valaient et qu’ils n’avaient aucune raison d’être sinon celui de créer de l’injustice. Leur création répondait à des motivations diverses, comme la nécessité de fidéliser un personnel qualifié, la volonté de « récompenser ceux qui exerçaient un métier vital pour la nation » et compenser des métiers pénibles ou exposés à des risques. Les supprimer d’un trait en prétextant un traitement égalitaire, relève d’un déni de la réalité. Certes, tous ces régimes doivent être mis à jour et certains peuvent mériter d’être supprimés. Mais, tout de même. Á l’heure ou le commerce parvient désormais à faire du sur-mesure pour tout et n’importe quoi, les ordinateurs de Bercy n’y parviennent pas. Quand l’iniquité prend le masque de l’égalité.

Prenons les riches qui gagnent plus de 10 000 euros mensuels. Au-delà des 10 000, au lieu de cotiser à 28%, ils ne cotiseront plus que 2.8%. Cela veut dire que celui qui gagne 100 000, au lieu d'abonder les réserves des caisses de retraite, ne paiera 28% que sur 10% de son salaire et 90% avec un taux ridiculement bas. Après la suppression de l’ISF, la suppression de la cotisation retraite pour les riches !

La catastrophe de l’arrivée des baby-boomers, parlons-en. Pourquoi ne parle-t-on pas des fonds de réserve de Jospin et des caisses de retraite ? Ceux-ci existent pour répondre à cette arrivée massive des nouveaux retraités et représentent, environs, 150 milliards. Certes, mal répartis, mais ils existent. Sans compter la CADES qui aura rétabli les comptes de la sécu en 2024. Tout cela permet de prendre le temps d’une vraie concertation qui prenne en compte les attentes de la société et qui réponde aux évolutions à venir.

Car la réforme, ça n’est pas qu’une question de comptabilité mais un vrai projet de société qui intègre aussi la disruption technologique, la poussée démographique et la transition écologique.

Entre 2030 et 2040, il y aura moins d'actifs cotisants que de retraités. Raison démographique, raison technologique. Alors, qui paiera ? Le dernier salarié devra-t-il payer pour tous les autres ? La réalité est que la technologie remplace de plus en plus le travail humain et ce depuis le début de l'ère industrielle et qu'elle représente 13 fois plus de poids de PIB que le travail humain. Ecart exponentiel. Travail humain qui diminue par des journées plus courtes, des congés plus longs, un taux de chômage entretenu par la finance et la retraite. Technologie qui, certes, crée des emplois mais jamais autant que ceux qu’elle ne crée pas et qui entretient un chômage endémique.

Continuer à se faire croire que c’est le travail humain qui peut abonder les caisses pour des retraites confortables, c’est foncer droit dans le mur car c’est impossible. Le recul de l’âge de la retraite trouve ses limites par la santé et les jeunes qui ont besoin de gagner leur vie.

Si encore, le gouvernement développait les secteurs non menacés par la technologie : service à la personne ; agriculture bio et recherche. Mais non ! On manque de personnels de santé, de personnels éducatifs, de magistrats, de policiers, d'aidants, etc. Le retour à la terre est une notion inconnue de ce gouvernement. Et les budgets de recherche sont chaque année en baisse.

Alors, qui doit abonder les caisses de retraite : le salarié ou la technologie ?

Au-delà de la question des retraites, c’est bien du temps libre généré par le remplacement de l’humain par la technologie qu’il faut aménager et gérer. Cette problématique est un enjeu de société, un projet pour un monde nouveau.

Le modèle sur lequel on vit est intenable à tous les niveaux.

Le progrès nous a donné la possibilité de vivre mieux. Au contraire de cela, nous avons fait en sorte de rendre les choses incompatibles entre elles. La France est riche, mais la pauvreté augmente tandis que les classes moyennes régressent. On connait les solutions « vertes » mais la pollution augmente à tous les niveaux comme la production de C2. La pression économique est telle, qu’elle provoque des contestations de plus en plus fortes et de plus en plus nombreuses et qu’en réponse des mesures antidémocratiques sont prises. Ces régressions sont le fait du système économique dans lequel nous baignons : un capitalisme déclinant qui tente de résister en se raidissant dans le néolibéralisme. Et cela se généralise dans tous les coins du globe. Nous vivons dans un monde de progrès mortifère dont nous profitons et que vont payer nos enfants et les enfants de nos enfants.

La vérité est que l’Etat - les Etats - peut intervenir. Un autre récit que celui de la régression sociale, la régression démocratique, la régression de la qualité de vie, peut être encore inventé si tant est que nos économistes se dégagent de l’emprise des lobbys pour inventer un nouveau système économique. Une économie qui ne repose plus sur la croissance et la productivité mais qui repose sur une écologie sociale, environnementale et démocratique. Une économie qui ne raisonne plus en quantité de production / consommation mais en qualité de vie dans un environnement sain et une expression sociétale mieux prise en compte.

Comment rendre compatible et complémentaire les avancées technologiques et les défis sociaux, environnementaux, sanitaires et démocratiques ?

Le travail est source de revenus mais aussi source d’épanouissement. Mais, comment faire que tout le monde travaille ?

La terre a besoin qu’on s’occupe d’elle en cessant de polluer, de produire trop de CO2 et en la « réparant » : la nettoyer, la replanter, la désartificialiser et en protégeant la faune et la flore.

Les réseaux sociaux et l’Internet ont facilité la diffusion de l’information, développer un système d’échange et de mise en relation qui génère un désir de plus en plus fort de participation à la décision et donc de démocratie.

Une solution existe et l’Etat peut l’organiser.

- Développement des emplois protégés des avancées technologiques : personnels de santé, personnels éducatifs, magistrats, policiers, aidants, etc. Développement de l’agriculture bio et encouragement au retour à la terre. Augmentation des budgets de recherche afin de permettre la transition écologique et d’assurer la productivité à moindre coût.

- Inventer la semaine de 21h sur 3 jours en doublant les équipes de telle sorte que la semaine travaillée soit de 6 jours. Le plein emploi est retrouvé.

- Pour compenser la baisse de revenus, l’Etat compense par la mise en place d’un Revenu universel de base avec contrepartie : sur les deux jours libérés d’un travail salarié, suivre une formation continue et participer à un service citoyen qui consiste à agir sur les communs : l’environnement, la solidarité, l’humanitaire, la démocratie, la culture.

- Pour assurer les abondements pour la couverture sociale, les entreprises sont taxées sur leur technologie. Limitation des profits personnels et implication des salariés dans la gouvernance des entreprises.

- Par ailleurs, même si l’impôt existe toujours, la taxe sur les transactions financières est élargie et la TVA sur les produits de première nécessité disparait.

Macron nous avait promis de réformer le pays.

En fait de cela, nous avons l’autoritarisme, l’injustice, les inégalités, le chômage, et maintenant une baisse des retraites généralisée.

Si le système de retraite actuel est obsolète, celui de Macron l’est déjà avant même d’avoir existé et passe totalement à côté du sujet.


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