Etats généraux de l’alimentation (EGAli) : Faut-il abandonner les agriculteurs ?

par Elixir
lundi 16 octobre 2017

« On pourra bien se demander alors ce qu’un Macron, dont la politique pro-medef est maintenant largement reconnue et assumée par le gouvernement qui se raccroche néanmoins à son « string social », pour ne pas être accusé d’exhibitionnisme, pourra proposer de plus que ce qui n’a déjà été fait par ses prédécesseurs, à part les quelques broutilles entendues cette semaine ou autres effets d’annonces qui ne rassureront que la FNSEA »

C’est par ce titre un peu provocateur certes, mais peut-être pas tant que çà, que nous souhaitons aborder ce grand classique des marronniers qu’est la crise du monde paysan, traitée en règle générale en Février avec le salon de l’agriculture et le non moins traditionnel défilé des personnalités politiques se succédant au gré de leurs différentes « campagnes » électorales, ou de leurs prises de postes ministéro-présidentiels.

On s’étonnera donc chaque année que le nombre d’agriculteurs ait été divisé par quatre en 50 ans, que les grandes entreprises agricoles représentent désormais 40% des exploitations contre 12% en 1988, laissant de plus en plus les petits exploitant traditionnels sur le carreau, on feindra découvrir avec une étonnante régularité teintée d’airs de faux dépit, qu’aujourd’hui un agriculteur sur trois gagne moins de 350 euros, presque 3 fois moins que le seuil de pauvreté, que 20 % sont en déficit, c’est à dire vendent à perte, ce qui constitue en soi une exception tolérée aux sacro-saintes lois de la concurrence libre et non faussée européenne, les paysans appréciant d’ailleurs pleinement leur « avantage »…

Tout cela alors que ceux-ci sont déjà sous perfusion de la PAC et de ses subventions depuis 1992. Quel succès...(sources le monde, MSA)

 

 

Un représentant des jeunes agriculteurs nous révélait ainsi sur BFM que sur 100 euros de panier de la ménagère alimentaire moyen 6,20 euros seulement revenait au producteur, ce qui met au passage en lumière la pression toujours plus constante des industriels et distributeurs sur les revenus des producteurs depuis 50 ans, on se souvient à ce propos de la conférence magistrale et passionnante de Christian Jacquiau sur « Les coulisses de la grande distribution  » début des années 2000 et que l’on ne saurait trop conseiller aux enfants pour qu’ ils aient mention très bien au bac(disponible sur youtube).

Les grandes enseignes ont, pour illustrer cette tendance ruralodécadente, défrayé la chronique récemment avec la mise au grand jour par des journalistes bien inspirés de leurs marges exorbitantes sur les produits bio. Mais s'il n'y avait que le bio...

Envoyé spécial et son Elise Lucet d’investigation, qui connaît bien la politique des portes fermées, nous avertissait d’ailleurs jeudi, sur la question très française du fromage, que l’artisanat était ainsi tout simplement en train de disparaître emportant pour toujours les goûts, la diversité et savoir-faire ancestraux, la part des produits industriels standardisés et pasteurisés (se vendant de manière trompeuse pour le consommateur sous label AOP, acheté par le lobby agroalimentaire) ne cessant de croitre inexorablement. Adieu les fromages qui puent, bonjour les Babibel pour tous ou autre vaches kiri d’appellation d’origine protégée bien sûr !!!!

Alors, il va sans dire que le constat sera pour beaucoup « alarmant », qu’on « ne pourra pas continuer ainsi », qu’il « faudra que cela change », et de là les multiples promesses, plans et nouvelles donnes se voulant toutes aussi inédites et ambitieuses que les autres.

Ainsi, entre la main au cul d’une vache ou autre incontournable gorgée de bière artisanale avalée cul-sec devant les caméras, on présentera les nouvelles mesures censées redonner l’« espoir » aux paysans, à défaut de pouvoir rendre du pouvoir d'achat. (Cnews)

 

 

Mais se pose-t-on réellement la question de savoir ce qui cloche là-dedans ?

Non, bien sûr…

 

 Et même le journal Le Monde, qui n’est pourtant pas véritablement néo-marxiste n’y va plus maintenant par quatre chemins, en dénonçant frontalement le libéralisme comme doctrine responsable de la paupérisation agricole -merci du scoop- mais c’est vrai que de la part d’un canard tiraillé entre son idéal journalistique et son besoin vital de caresser ses actionnaires et patrons milliardaires dans le sens du poil, çà n’est pas toujours facile de placer de temps à autre une telle révélation...alors peut-être que de faire parler la jolie petite stagiaire de 35 ans çà fera passer plus facilement la pilule ? Apparemment oui, elle est très jolie.(vidéo pédagogique en fin d'article)

Mais alors, qu’entendent-ils par libéralisme ?

Sans trop développer( c’est vrai qu’en une vidéo de 2 min, financée par un spot publicitaire de 30s pour une formidable voiture c’est assez difficile d’aller loin) ce serait selon eux la compétition internationale, y compris au niveau intra européen et la dérégulation des marchés avec pour mesure emblématique la fin des quotas laitiers en 2015 qui serait responsable de cette déchéance et de la vente à perte des petits producteurs, accélérant une course effrénée au productivisme et à la paupérisation observée déjà depuis des décennies, à savoir que plus les industriels grossissent, plus ils avalent les petits agriculteurs et réduisent la concurrence, plus les petits exploitants familiaux traditionnels disparaissent…

Ah bon çà se passe comme çà le capitalisme maintenant ?

Et l’industrie çà pollue ?

Et c’est grave de polluer ?

 

 

« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels » Anatole France

 

On pourra bien se demander alors ce qu’un Macron, dont la politique pro-medef est maintenant largement reconnue et assumée par le gouvernement mais qui se raccroche néanmoins à son «  string social », pour ne pas être accusé d’exhibitionnisme, pourra proposer de plus que ce qui n’a déjà été fait par ses prédécesseurs, à part les quelques broutilles entendues cette semaine ou autres effets d’annonces qui ne rassureront que la FNSEA (syndicat pro agriculture conventionnelle). Il serait étonnant qu’un néolibéral notoire, à moins d’avoir bu quelques verres de Schnaps au stand Alsacien, propose de sortir du libéralisme pour résoudre le problème du libéralisme. Ce serait trop compliqué, surtout qu’il y a pas d’alternatives nous dit-on, car on aurait déjà tout essayé.

Non, comme tout bon communiste qui s’ignore, pour un libéral, si çà ne marche pas, c’est qu’on n’est pas allé assez loin, et qu’on n'a encore rien vu ! (Mais si ceux-là pouvait y aller sans nous pour vérifier leur dires, on leur en serait pour toujours reconnaissant, surtout s’ils ne reviennent pas…)

 

Alors pas étonnant que la cinquantaine d’ONG qui ont suivi jusqu’à présent les rencontres EGALi semblent s’être fait une raison(Reporterre, Le Monde) eu égard aux intentions d’un gouvernement qui assume pleinement jouer la carte du productivisme, la suppression des aides au maintien de l’AB ayant été en cela symptomatique et symbolique pour un secteur déjà fragile qui ne représente que 6,5% des surfaces agricoles utiles et qui aurait eu besoin au contraire d’un bon coup de pouce pour enclencher la deuxième vitesse de la transition écologique… mais c’est vrai qu’on ne peut pas financer les pauvres et les milliardaires en même temps et qu'il a bien fallu choisir... Les voyages en jet oui, la nourriture de qualité pour tous ? çà attendra, et peut-être bien très longtemps…

 

 

 Aussi le ministre de l’agriculture, qui ne fait pas les choses de Travers (oui, c’est son nom), n’hésitera-t-il pas à poser sur la photo avec Nicolas Hulot pour faire bonne figure mais ne se gênera-t-il pas de l’écarter lorsqu’il s’agira de prendre les décisions importantes, c’est à dire celles qui se concertent entre personnes de bonne compagnie...

Il est vrai que l’on peut bien se demander ce que la politique défendue par Monsanto ou Bayer et vénérée idéologiquement par le gouvernement peut bien avoir de commun avec l’agroécologie défendue par Pierre Rabbhi ou autres altermondialistes siphonnés de la crête …

Pour le « fun » voici quelques mesures annoncées par notre jeune ex-banquier amateur de théâtre, qui a du être aidé par sa cinquantaine de conseiller officiels à temps plein week-end compris et jours fériés, tant elle nous ont émerveillé (troué le cul – NDT expression paysanne) par leur caractère presque prophétique, voire ronflantes , à se demander pourquoi on y aurait pas pensé plus tôt :

Attention prenez un bon café :

 

– Des ordonnances au 1er semestre prévoiront de fonder les contrats entre agriculteurs et leurs clients (distributeurs, industriels) sur le coût de revient proposé par l’agriculteur

– Pour les négociations commerciales de fin d’année, les acteurs sont priés de s’engager à refléter "l’esprit de la loi à venir" sous l’égide du gouvernement. 

– les négociations commerciales doivent s’inscrire dans une contractualisation pluriannuelle de 3 à 5 ans, souhaite-t-il. 

– Pour établir ces coûts de production, filière par filière, "des indicateurs de marché doivent être définis" avec aussi un renforcement de l’observatoire des prix et des marges ainsi que des contrats-types. 

– Emmanuel Macron s’est dit "favorable au relèvement du seuil de revente à perte(SRP) pour les produits alimentaires et à l’encadrement des promotions", mais a ajouté qu’il n’était pas prêt à signer de "chèque en blanc". 

– Le relèvement du SRP sera compris dans les ordonnances du premier semestre 2018 mais le président demande en retour à l’ensemble des acteurs, de conclure pour la fin de l’année des plans de filières. Selon les filières (lait, céréales, poulet…), cela pourra consister à s’engager soit à des restructurations, soit à investir pour monter en gamme, soit à s’orienter vers de nouveaux modes de commercialisation tels que les circuits courts ou la restauration collective. 

– Les agriculteurs sont priés de se structurer en interprofessions qui puissent peser dans les négociations. Pour répondre aux inquiétudes sur d’éventuelles entorses au droit de la concurrence, le président souhaite que l’Autorité de la concurrence puisse répondre aux demandes des interprofessions en expliquant le cadre légal précis. 

– Les coopératives seront encouragées à faire preuve de plus de transparence dans la répartition de leurs gains à leurs adhérents. 

– Il a réaffirmé son engagement de campagne d’un taux de 50% de produits bio ou locaux dans la restauration collective en 2022.

source Sud-Ouest

 

Ces propositions auraient été fabriquées par un générateur de langue de bois et de beaux discours trouvé sur internet que cela n’aurait choqué probablement personne, certains observateurs éminents ne s’y sont en cela pas trompés (Atlantico sur l'échec du discours de Macron, Le Point, La santé : l'objectif oublié des EGAli).

Hyppocrate, père de la médecine, disait que la nourriture était notre premier médicament. La façon dont sont traités nos agriculteurs et le peu d'intérêt que cette question occupe dans la tête des français en dit long sur la manière dont nous nous considérons nous-mêmes et le niveau de décadence culturelle dans laquelle nous nous aventurons toujours plus. Et nous n'enfoncerons pas le clou avec la citation de Ghandi sur la façon dont une société traite ses animaux, pour ne pas nous faire de peine...

Après la théorie du "ruissellement" réfutée par Macron et Philippes eux-mêmes, mais qu'ils n'ont pas décidé d'arrêter pour autant (cherchez l'erreur), on a le droit maintenant à la théorie de "la cordée"(Interview Macron TF1) selon laquelle les plus riches, c'est à dire ceux qui "réussissent" selon lui, et dont on serait forcément "jaloux" en voulant les taxer, seraient les guides de tous les autres. Il y a tout lieu de croire que les paysans qui nous nourissent aujourd'hui soient les derniers de cordée, et qu'ils nous entraineront probablement dans leur chute, bien avant que les premiers n'aient eu le temps de nous faire découvrir leur fameux "Septième Ciel".

 


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