Existe-t-il une malédiction brésilienne ?

par Patrice Gibertie
mercredi 20 avril 2016

Frappé durement par la crise de 1929 le Brésil assiste à l’effondrement d’une économie de plantation.

Dans les années 50/60 le Brésil servit de modèle à l’économie du développement. Les erreurs et les limites de la stratégie d’industrialisation par substitution aux importations, les manœuvres de la Cia, le mécontentement des classes moyennes entrainèrent le coup d’Etat contre Goulart en 1964.

Les généraux au pouvoir relancèrent la machine et après la belle croissance des années 70 le Brésil s’effondra au cours des années 80 ; trop endetté, victime de la dollarisation de son économie le pays s’enfonça dans quinze ans de récession. Soumis au consensus de Washington, au poids des créanciers à la libéralisation contrainte de l’économie, le flamboyant Brésil connut une crise semblable à celle des années 30Le miracle brésilien des années 2000 n’en parait que plus extraordinaire.

Aujourd’hui l’histoire semble se répéter, le modèle de développement, celui d’un pays primarisé, est en crise, le prix de l’énergie s’effondre. Les classe moyennes grondent, les Etats Unis retrouvent le sourire.

La société brésilienne est au bord de la guerre civile, faut-il redouter un coup d’Etat ?

Dimanche 17 avril, 367 députés brésiliens ont voté « oui » à la destitution de Dilma Rousseff, contre 137 « non ». Première femme Présidente du pays, issue du Parti des Travailleurs (PT), elle est accusée d’avoir maquillé les comptes publics. Elle s’en défend, en dénonçant une « conspiration » et un « coup d’Etat institutionnel ». C’est au Sénat maintenant de se prononcer sur le sort de Dilma Roussef. Si la Présidente venait à être destituée, c’est son vice-président et ex-allié, Michel Temer, du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), cité dans le scandale Petrobras, qui la remplacerait

 

LES LIMITES DU MIRACLE

La chance du Brésil, c’est d’avoir eu deux hommes d’Etats remarquables : Cardoso (1994-2002) et Lula (2002-2010). Cardoso met en place des réformes structurelles : privatisation, lutte contre l’inflation et il rétablit la confiance avec l’extérieur (FMI). Avec les répercussions de la crise asiatique, Cardoso décide de faire passer le real en change flottant. En 1999, le real est attaqué sans être défendu (40% de perte de valeur).Le renouveau du Brésil aurait été impossible sans monnaie sous-évaluée.

L’intelligence de Lula, c’est d’incarner la contestation altermondialiste tout en rassurant l’extérieur. Il a rassuré le FMI sur sa politique : le premier mandat a été un mandat de rigueur.

Politique sociale en faveur des plus démunis avec les programmes de « Fome zero » pour améliorer l’accès à l’alimentation des plus pauvres (programme récompensé par la FAO car la malnutrition a reculé de 70%) et de la « Bolsa familia » (12$ par mois par enfant scolarisé, concerne 12 millions de ménages). Le salaire minimum est, lui, augmenté de plus de 50%, le Brésil vit la plus forte réduction de la pauvreté de son histoire.

Ce n’est que lors de son second mandat qu’il a mis en place une politique commerciale expansionniste. Il a bénéficié de l’appréciation des cours des matières premières et la découverte de gisement(Pré-Sal), le Brésil peut alors rembourser par anticipation ses dettes envers le FMI, belle revanche sur les années 1980. La croissance économique moyenne depuis 2005 se situe autour de 5%, et 7,5% en 2010 mais 3,8% en 2011.

Il a mis en place une réforme fiscale dure pour continuer à lutter contre l’inflation. Il a fait des politiques structurelles pour permettre la remontée des filières : éducation.

Il a un pragmatisme commercial :il contraint Apple a produire au Brésil ,il développe Embraer et l’agro-business.

Il définit et met en place un fond stratégique de développement : qui utilise les fonds de Petrobras pour financer les firmes innovantes brésiliennes.

En 2007 est découvert Pré sal, une nappe longue de 800 km au large de Santos et Rio mais à plus de 7 000 mètres sous l’eau, elle livre son pétrole depuis 2011 et devrait livrer 2 millions de barils/jour vers 2020. Le potentiel en énergie renouvelable est aussi réel pour le solaire ou l’éolien. En résumé, « Dieu a décidé de passer au Brésil, il ne veut plus partir » Lula.

 

Ces facteurs sont les moteurs de l’émergence brésilienne.

 

Certains évoquent pour le Brésil le concept de maladie hollandaise. Depuis quelque année, l’accès au Brésil à la vente d’énergie couplé à la hausse des prix permet d’assurer au Brésil un excédent de la balance des comptes courants au prix d’un Real surévalué.

une économie de rente qui surévalue la monnaie et tue l’industrie à l’exportation. Il y a même un effet insidieux : ces revenus faciles génèrent des investissements qui se font prioritairement dans ces secteurs au détriment des autres firmes d’activités. Il dispose de produits énergétiques : charbon, gaz naturel et même pétrole pour lequel il est autosuffisant dès 2006. Il met en valeur de façon marginale des schistes bitumineux (Paraná). L’hydroélectricité est un vrai atout, le Brésil ayant tiré parti de son exceptionnel potentiel grâce à la mise en service des centrales d’Itaipu sur le Paraná (à la frontière avec l’Argentine et l’Uruguay) et de Tucurui sur le Rio Tocantins en Amazonie, la rivière Parana (détenue conjointement par le Brésil et le Paraguay)1973, un traité »pour le développement des centrales hydroélectriques ressources du fleuve Parana « et fondée » ITAIPU Binacional « (une collaboration avec les capacités juridiques, administratives et financières et la responsabilité technique à régime, mis en place et exploitation de l’usine PETROBRAS, symbolise un capitalisme brésilien triomphant, réalise en septembre 2010 à Wall Street et Sao Paulo la plus forte augmentation de capital de l’histoire (51,7Md de $), et s’affirme auprès des Majors anglo-saxonnes du pétrole.

http://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Bresil

 

AUJOURD'HUI Un pays en crise

Entré en récession en 2015, le pays a peu de chances de voir une reprise s’amorcer en 2016. Les perspectives pour l’économie sont en effet peu encourageantes en raison d’une conjoncture interne et externe défavorable à la croissance. Sur le plan interne, la consommation des ménages, principal moteur de la croissance, devrait encore souffrir de la cherté du crédit et la baisse du salaire réel en raison du niveau élevé de l’inflation. Le secteur bancaire, exposé à l’endettement des ménages, devrait en effet restreindre l’offre de crédit du fait de la hausse attendue des prêts non performants en lien avec la progression du chômage (taux de chômage élevé autour de 9 % fin 2015) qui limiterait également la reprise de la consommation. Les répercussions de l’affaire Petrobras et la réduction du programme d’investissements 2015-2019 annoncée par cette dernière continuent de décourager les investissements et l’activité des entreprises annexes, dans la construction en particulier, en raison de l’implication des grands groupes du BTP dans cette affaire. L’industrie devrait encore souffrir du manque d’infrastructures et de main d’œuvre qualifiée, qui se traduit par des coûts qui augmentent plus rapidement que la productivité.

http://www.liberation.fr/planete/2015/09/28/le-bresil-s-enfonce-dans-la-crise_1392673

 

En regardant leur passé proche, celui des années Lula et celui de Dilma Rousseff, les Brésiliens découvrent que la croissance économique des années fastes n’a pas été synonyme d’industrialisation. « Pire, cette croissance s’est accompagnée d’une désindustrialisation », estime Guillaume Tresca, économiste au Crédit Agricole. « Le Brésil des années Lula a profité du boom des matières premières. En exportant minerais et autres énergies fossiles le pays avait de quoi satisfaire l’appétit de l’ogre chinois », . Ce qui a permis à la septième puissance économique mondiale de surmonter assez rapidement la crise de 2008. Et de mettre en place des programmes sociaux de lutte contre la pauvreté. » Certes, le Brésil pouvait se targuer d’avoir comme premier partenaire la Chine. Mais quand la Chine cale, se sont les carnets de commandes des industries agroalimentaires et autres exportateurs d’énergies fossiles qui se sont aussitôt vidés.

A tout vouloir miser sur les matières premières, le Brésil a oublié d’adopter une politique industrielle digne de ce nom. Le pays découvre aujourd’hui toutes les vulnérabilités d’un modèle que les économistes qualifient de « modèle de reprimarisation de l’économie ». En clair, la part des matières premières dans le PIB que dans les exportations n’a cessé de croître tant sous l’ère Lula que pendant celle de Dilma Rousseff. Le Brésil s’est laissé bercer par un modèle d’économie de rente des matières premières. Des chiffres ? « Le taux d’investissement dans le secteur industriel n’est que de 18% du PIB, note Pierre Salama, contre près du double en Inde et plus de 50% en Chine. »

 

http://notes-geopolitiques.com/ou-en-est-vraiment-le-bresil/#more-3712

 

S’il bénéficie d’une bonne aura sur la scène internationale, il est cependant patent que le Brésil de Lula et de Dilma Rousseff n’a pas su profiter de la croissance de la dernière décennie pour entreprendre des réformes de fond. Déficits majeurs en matière d’infrastructures, crise du système éducatif, dysfonctionnements criants du système de santé, bureaucratie tatillonne et désorganisée… provoquent maintenant l’ire du pays profond.

Contrairement à ce qu’écrivent certains observateurs, majoritairement, ce ne sont pas les plus pauvres qui contestent aujourd’hui, mais la petite classe moyenne qui a émergé, travaille dur, a soif de consommer et de s’élever dans l’échelle sociale. C’est elle qui, in fine, se sent flouée par la politique conduite.

Les manifestations du 15 mars 2015 dans deux cents villes du pays pour réclamer l’engagement de la procédure d’impeachment à l’endroit de la présidente Dilma Rousseff montrent le ras-le-bol d’une grande partie de la population, exaspérée de constater que les fruits de la croissance n’ont pas été investis pour structurer en profondeur le pays, mais dilapidés dans l’assistanat et le clientélisme électoral.

Le colossal scandale de la Petrobras, fleuron de l’industrie brésilienne et géant pétrolier mondial, n’est que la partie émergée de l’iceberg de la corruption qui mine le pays. Les sommes détournées – essentiellement au profit du parti au pouvoir – sont faramineuses et les plus hautes autorités du pays sont mises en cause.

Surtout, c’est là un symbole qui est touché de plein fouet. Avec Petrobras, au-delà de l’aspect profondément immoral de l’affaire, c’est le devenir même de l’outil le plus renommé et le plus puissant de la géoéconomie brésilienne qui se trouve remis en cause.

Une criminalité hallucinante

En sus de la corruption généralisée, le Brésil doit aussi faire face à une criminalité proprement hallucinante. Dans une déclaration à la presse début mars, le cher- cheur en sciences politiques Mauricio Santoro, d’Amnesty international Brésil, déclarait tout de go que le Brésil était le pays où l’on tue le plus au monde.

On recense ainsi 56000 homicides par an (sans compter tous ceux qui ne sont pas connus), majoritairement par armes à feu, et près de 92 % de ces homicides ne sont pas élucidés. Un constat confirmé par le criminologue Xavier Raufer, qui rappelle que si le taux d’homicide par rapport à la population générale est de 18 pour 100 000 au Mexique, il est de 26,2 au Brésil (+ 124 % en trente ans !).

Tout cela fait du Brésil, souligne Xavier Raufer, « sans doute le pays le plus meurtrier du monde, zones de guerre comprises« . De même, le processus de sécurisation des centres-villes à l’occasion des grands événements sportifs internationaux a eu pour résultat de déplacer la criminalité non seulement à la périphérie des villes, mais encore de la déployer à travers le pays tout entier. Quant à la drogue, elle provoque des ravages immenses. De 2003 à 2010, le nombre des cocaïnomanes a décuplé…

La presse, facteur de déstabilisation au Brésil ? Les médias sont en première ligne dans la crise politique sans précédent qui secoue le pays, gouverné depuis treize ans par le Parti des travailleurs (PT). Favorables, pour la plupart, à la destitution de la présidente, Dilma Rousseff, sur laquelle doit se prononcer le Parlement dimanche, ils sont accusés par le PT de conspirer contre la protégée de l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva, à qui elle a succédé en 2011. En pleine débâcle économique, et alors qu’un tentaculaire scandale de corruption éclabousse la coalition au pouvoir, faudrait-il s’étonner du désaveu des médias ? « La couverture de la crise est militante et tendancieuse, tonne le politologue João Feres Jr., coordinateur du Lemep, un observatoire de la presse. Nos médias sont très conservateurs, très politiques. Ils ne s’intéressent pas à la corruption de l’opposition. Le PT a toujours été victime d’un traitement médiatique injuste. » Il se dit même que les journalistes qui ont le cœur à gauche doivent se censurer pour coller à une ligne éditoriale hostile au parti.

Cette hostilité s’expliquerait par le fait que les groupes de presse sont aux mains d’une poignée de grandes familles soucieuses de défendre leurs intérêts économiques, soi-disant menacés par la gauche : les Marinho pour l’empire médiatique Globo, les Frias pour la Folha de São Paulo,premier quotidien national, les Civita pour l’hebdomadaire à fort tirageVeja. Ce brûlot de droite abonné aux unes sensationnalistes a fait de Lula l’homme à abattre. Son concurrent Istoé, pour sa part, se lâche contre Dilma Rousseff, accusée de passer ses nerfs sur le mobilier du palais présidentiel…

Dans la presse quotidienne, au prestige autrement supérieur, le ton est moins exalté, malgré des éditoriaux au vitriol. Folha de São Paulo se targue d’impartialité. Dans le spectre politique, nul n’échappe à sa plume acerbe, quoiqu’à des degrés divers, selon les sensibilités des journalistes. Parmi ses éditorialistes figurent aussi bien Ronaldo Caiado, étoile montante de la droite, que Guilherme Boulos, le leader du Mouvement des travailleurs sans abri (MTST) au verbe incendiaire.

Grossières Manipulations

Mais c’est incontestablement TV Globo qui cristallise la colère des partisans du gouvernement. Créée avec le soutien de la dictature militaire (1964-1985), la chaîne numéro 1 au Brésil est accusée de« putschisme ». Le PT n’oublie pas les grossières manipulations par lesquelles TV Globo était parvenue à empêcher la victoire de Lula face à Fernando Collor de Mello à la présidentielle de 1989, la première après le retour au suffrage universel. A telle enseigne qu’en 2002, lors de la campagne qui porta finalement l’ex-métallo au pouvoir, le parti a dû négocier une trêve avec la chaîne.

Dans la crise actuelle, TV Globo a amplifié l’onde de choc provoquée par l’interpellation de Lula, le 4 mars. Ce dernier doit s’expliquer sur des« avantages indus » qu’il aurait reçus de groupes de BTP accusés de détourner des fonds de Petrobras, la compagnie pétrolière contrôlée par l’Etat. La chaîne a visiblement été informée à l’avance de l’opération, puisque ses équipes étaient déjà sur les lieux lorsque les véhicules de police sont arrivés au domicile du leader du PT. La gauche a dénoncé un« spectacle médiatique » pour discréditer l’ex-président. Mais, lorsque, quelques heures plus tard, Lula avait convoqué une conférence de presse pour dénoncer les méthodes policières, c’est la droite qui avait protesté contre Globo, coupable de l’avoir retransmise. L’affaire est donc plus complexe qu’il n’y paraît.

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https://pgibertie.com/2016/04/18/existe-t-il-une-malediction-bresilienne/


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