Explosion du port de Beyrouth, explosion du peuple Libanais…

par Abdelkader Gattouchi
samedi 8 août 2020

Ce qu’a vécu Beyrouth, la capitale libanaise, en ce jeudi 6 août 2020, désormais historique, est tout simplement, incroyable ! Incroyable ! Mais aussi inadmissible… Voir un chef d’État étranger piétiner aussi effrontément les usages diplomatiques en s’autorisant de pavaner, dans les rues de la capitale d’un État souverain, est tout simplement, ahurissant. Cela marque indéniablement un tournant dangereux dans les rapports entre états. Les masques tombent. On agit, dorénavent, à visage découvert.

Au milieu d’une foule survoltée, effarouchée par la cascade de problèmes qu’elle endure, désespérée par une gestion chaotique du pays, le président français Macron s’est permis l’impudence d’humilier les dirigeants libanais chez eux, dans leur antre. Sans mettre de gants, sans se sentir obligé de préserver les apparences en vigueur dans les usages diplomatiques, il s’est adressé à ceux qui étaient allés à sa rencontre, comme on s’adresserait à des sujets longtemps comprimés mais visiblement soulagés de voir débarquer, Zorro, le sauveur. « J’attends des autorités Libanaises des réponses claires sur leurs engagements : l’état de droit, la transparence, la liberté, la démocratie, les réformes indispensables… »

Sans être accompagné par le moindre officiel libanais comme le veut la tradition, E. Macron s’est adressé à une foule en délire « je comprends votre colère ». « La France ne vous abandonnera pas ». « Je reviendrai le 1er septembre pour vérifier que l’aide proposée aura été bien et justement distribuée… » Le désespoir des Libanais était à son comble au point de suggérer la circulation d’une pétition signée par au moins 50.000 citoyens demandant au président Macron de placer le Liban « sous mandat Français pour les 10 prochaines années ». Ni plus, ni moins. L’ingérence, considérée par les puissants du monde actuel comme un devoir à l’endroit des peuples opprimés, est un concept à géométrie variable. Son interprétation passe-partout oscille au gré des intérêts et des appétits.

Dans cette suite d’idées, comment ne pas conclure, en l’état des choses, à une velléité néo colonialiste française de se réapproprier un territoire qu’elle a quitté depuis 70 ans environ. Cette envie manifeste intervient à un moment où le monde arabe, si tant est qu’il a existé réellement un jour, se disloque progressivement, aiguisant l’appétence des empires version moderne. Visiblement la France qui réalise que cette partie du monde se rétrécit de jour en jour, faisant l’objet de partages féroces, se réveille dans les temps additionnels et tente de se repositionner en jetant son dévolu sur l’ancien protectorat.

Le golfe Arabe et l’Irak étant acquis aux USA, la Syrie, une chasse gardée de Moscou, la Libye en voie d’être partagée par la Turquie et la Russie, l’Egypte n’est plus qu’une réplique pale et exsangue de ce qu’elle était, n’ayant même plus la force de tenir tète à l’Ethiopie pour résoudre son conflit sur le barrage du Nil qui lui file sous le nez… Que reste t-il de ce monde, autrefois grégaire, aujourd’hui, grabataire, présenté, il n’y a pas longtemps, comme un bloc uni, solidaire, étanche, parlant d’une seule voix, faisant prévaloir une communauté de culture, de traditions, de langue, de religion, mais aujourd’hui éclaté en « mondes », de plus en plus disparates, de plus en plus antagoniques, en conflits fratricides permanents entre, et contre eux-mêmes.

Pire : il n’y a plus de conscience arabe mais plutôt une inconscience qui s’extasie sur un passé, supposé, mirifique et se laisse glisser vers un avenir proche hypothétique. Le panarabisme qui a longtemps bercé la jeunesse de tout un conglomérat de peuplades désorientées mais tenues en laisse par un discours officiel des plus spécieux, des plus infantilisants et des plus dégradants, vole, aujourd’hui, en éclats. L’Histoire étant un éternel recommencement, rien ne dit que l’explosion du port de Beyrouth ne donnera pas lieu à une reconfiguration géo-politico-socio-culturelle nouvelle dans les contours de laquelle, les autochtones seront les éternels supplétifs d’un nouvel/ancien ordre, tandis que les étrangers appelés en protecteurs, incarneront le rôle des acteurs réels et effectifs.

Abdelkader Gattouchi, enseignant de Littérature francophone à l’université M. Cherif Messaadia de Souk Ahras.


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