Face au terrorisme

par Paul ORIOL
vendredi 5 août 2016

La France est confrontée a des attaques terroristes depuis des mois. Elle n’est pas la seule même si elle est le pays le plus touché en Europe. Cela justifie que chacun se pose des questions sur les causes, les motivations, les réponses à leur apporter... Dans ces circonstances, il serait souhaitable de réfléchir ensemble, ce qui ne veut pas dire de penser la même chose mais de s’écouter. Chose difficile, à quelques mois de l’élection présidentielle, chez un peuple querelleur, avec des moyens techniques qui permettent de répliquer avant même d’avoir réfléchi.

18/07/16 Place de la Bastille à Paris

En faisant une comptabilité macabre même approximative, la France est le pays le plus touché en Europe mais il ne faut pas oublier que les victimes sont beaucoup plus nombreuses en Asie du Sud-Est, au Proche ou Moyen-Orient, en Afrique qu’en Europe et les musulmans plus nombreux que les chrétiens même si ces derniers peuvent être des cibles privilégiées dans certains pays.
Enfin, dans cette « guerre qui n’est pas religieuse », on ne dénombre jamais les victimes qui ne sont ni musulmanes, ni chrétiennes, ni juives. Quant aux « donneurs d’ordre  », des bailleurs de fonds aux organisateurs, et aux exécutants, ils sont tous musulmans quelquefois de fraîche date pour ces derniers, du moins en France. Certains le nient par souci de diplomatie, d’apaisement. D’autres le reconnaissent à demi-mot qui se disent salis par de tels actes.
Cela ne veut pas dire, loin de là, que tous les musulmans sont des terroristes ou même des sympathisants de terroristes.

Lors de son voyage en Pologne, le pape François a tenu, sur la question, des propos au moins discutables, même si on comprend son intention, à son poste, ne pas exacerber les oppositions. Il a comparé les guerres de 14-18 et 39-45 avec la « guerre  » actuelle, semblant oublier que, depuis 1945, de multiples conflits ont fait des dizaines de milliers de morts en Asie, en Europe, en Afrique et même en Amérique latine dont il est originaire. Avec, dans certains cas, des pratiques terroristes. Pour lui, la « guerre  » actuelle n’est pas religieuse car toutes les religions veulent la paix. Mais qui ne veut la paix ?
« Le terrorisme prospère quand le dieu de l'argent est placé en premier  », semble vouloir dire que le dieu argent n’est placé en premier que dans certains pays qui utilisent le terrorisme… Et encore plus discutable : « Tous les jours, quand j'ouvre les journaux, je vois des violences en Italie, quelqu'un qui tue sa petite amie, un autre qui tue sa belle-mère, et ce sont des catholiques baptisés. » Est-ce à dire que terrorisme et crimes passionnels ou crapuleux sont à mettre sur le même plan ? Que ces derniers n’existent pas dans les pays qui utilisent le terrorisme ?

On ne peut pas dire qu’il s’agit, à proprement parler, d’une guerre de religions. Même si certaines religions en sont la cible désignée, les « croisés  », encore récemment désignés par Daech et les juifs : collège-lycée juif Ozar Hatorah, musée juif de Bruxelles, Hyper Cacher.
Mais ces religions n’ont pas déclaré la guerre à l’islam.
Reste que dans un numéro récent de sa revue, Dabiq, cité par Charlotte Pudlowski (1), Daech avance les 6 raisons qui expliquent ses actes terroristes en Occident : « Nous vous haïssons, avant tout, parce que vous êtes des mécréants ; vous rejetez l'unicité d'Allah – que vous en ayez conscience ou non. » « Nous vous haïssons parce que vous êtes laïcs ». Viennent ensuite : les crimes commis envers l'islam, ceux commis envers les musulmans et en sixième position, «  nous vous haïssons parce que vous envahissez nos terres  ». Désormais, Daech met en avant les raisons religieuses et en dernier, les raisons politiques. Mais étant donné le public visé par la publication, il n’est pas question de la guerre entre les différentes obédiences musulmanes, notamment sunnite et chiite. De son coté, le pape reconnaît qu’il y a des « petits groupes de fondamentalistes  » dans toutes les religions, heureusement, pour le moment, les fondamentalistes catholiques se contentent de manifester. Mais pourquoi parler des fondamentalistes puisque la religion n’a rien à voir avec le terrorisme ?

S’il ne fait pas de doute que des intérêts financiers, stratégiques... jouent un rôle important, non seulement du coté terroriste, il n’en reste pas moins que la mobilisation se fait au nom de Dieu. Et certains regrettent le silence de nombreux hommes de Dieu (2).
Il faut cependant noter que des organisations ou de personnalités musulmanes ou « d’origine musulmane » ont se sont exprimées sur sur l’islam, sur l’islamisme et sur la solidarité avec les victimes du terrorisme, même si elles n’ont pas eu un très grand retentissement médiatique.
Des organisations (non religieuses) de travailleurs immigrés en France, originaires du Maghreb, notamment des associations de Tunisiens : ainsi plus de 50 organisations ont appelé le 11 janvier 2015 à former un cortège des associations de l' Immigration et des organisations des droits de l'Homme en Solidarité avec Charlie Hebdo. Et place de la République à Paris, le 21 mars 2015, après l’attentat du Bardo, à Tunis qui a fait 21 morts dont 17 touristes. Et le 18 juillet 2016, après l’attentat de Nice.

Le dimanche 13 décembre 2015, un mois pile après les attentats de Paris, une manifestation était organisée au Trocadéro à Paris rassemblant des citoyens musulmans désireux de se désolidariser du groupe djihadiste : « Tous unis contre la barbarie » (3).

Des intellectuels maghrébins, musulmans ou de culture musulmane, dans leur diversité, ont écrit des articles : Waleed Al-Husseini, Andenour Bidar, Azzouzi Abdel-Rahmène, Camel Bechikh, Salem Ben Amar, Malik Bezouh, Malek Chebel, Magyd Cherfi, Mohamed Chirani, Fatou Diome, Hassen Chalghoumi, Mezri Haddad, Boualem Sansal, Haoues Seniguer, Soufiane Zitouni...
Une déclaration « Notre responsabilité à l’égard du terrorisme au nom de l’islam » a été signée par 629 intellectuels maghrébins ou franco maghrébins et publiée le 11 janvier 2015 (4).

Il y a eu aussi des articles ou des déclarations de philosophes, théologiens ou imams comme Ghaleb Bencheikh, Tareq Oubrou mais aussi des attitudes ou des activités quotidiennes d’imams peu connus...
La fondation internationale Al Kawakibi a été instituée, le 27 avril 2015, (par Félix Marquardt, Adnan Ibrahim, Ghaleb Bencheikh, Mohamed Bajrafil et Omero Marongiu-Perria), elle se propose d’organiser en 2016 un Forum mondial pour une réforme islamique…
Mais après l’assassinat du père Jacques Hamel, les rassemblements de croyants ont pris une autre dimension avec l’ouverture réciproque d’églises et de mosquée à des rassemblements œcuméniques. Dont il faut espérer qu’ils perdureront et feront tâche d’huile. D’autant que la population n’a pas cédé, à ce jour, comme certains le craignaient ou même l’annonçaient, à des mouvements racistes de grande ampleur. Ou à des affrontements inter-communautaires comme les annonçait en mai 2015 le directeur de la DGSI en cas de nouveaux attentats (5). Même si une recrudescence d’actes racistes a pu être notée.

Comme dans les querelles enfantines, après les attentats, il faut convaincre que c’est l’autre qui a commencé. Comme l’a fait le Monde dans un récent éditorial (6). Il semble cependant difficile de dire que c’est Ben Laden ou les Afghans ou Saddam Hussein ou Abou Bakr Al-Baghdadi qui ont attaqué, les premiers, les États-Unis ou la France ou les États membres de la coalition. Malgré les « preuves  » avancées par George H. Bush et Tony Blair en leur temps.
Il ne faut pas oublier que, aussi atroces que soient les attentats terroristes, le nombre de victimes est cependant loin de celui des victimes civiles directes ou « collatérales  » lors des interventions occidentales… sans oublier les exodes provoqués et les personnes qui meurent sur terre et en mer dans leur recherche d’une terre d’asile. Désormais, le cercle vicieux, le talion, est enclenché, les arguments sont les mêmes : il faut punir l’Occident, la France... par des attentats pour les interventions aériennes et terrestres, il faut punir Daech pour ses attentats en augmentant les interventions aériennes…

Pour le moment et vu d’ici, la méthode ne semble pas être très efficace. Le mode opératoire de Daech a peut-être changé : opérations complexes type Bataclan, remplacées ou complétées par des opérations n’engageant que peu d’effectifs ou purement individuelles. Traduisant peut-être un affaiblissement de l’organisation mais rendant plus difficile le dépistage préventif des actes terroristes au moment de la préparation...

Sur cette activité de dépistage, il est difficile de porter un jugement serein. La seule chose qui est sure, les attentats du 13 novembre 2015 sont un échec sévère pour les services de renseignement. Il n’est pas facile de déjouer tous les attentats en préparation surtout quand il s’agit d’attentats individuels. Mais le 13 novembre, il s’agissait d’une entreprise d’envergure.
Il est encore plus difficile d’être efficace quand les effectifs sont réduits, pour des raisons budgétaires et que la police et la gendarmerie de proximité sont supprimées. Elles ne peuvent être remplacées par la vidéo-surveillance.
Cela devrait rendre plus modestes les politiques d’hier responsables de ces réductions d’effectifs. Et les politiques d’aujourd’hui qui traitent avec un certain mépris, « plum-pudding » le rapport de la commission d’enquête parlementaire mise en place à la suite des attentats (7).

Pour prendre la question à la racine, il ne faut pas parler, seulement, de la prévention, indispensable, des attentats en préparation, ni même de la déradicalisation mais se poser la question : concernant les attentats perpétrés en France, comment se fait-il que des jeunes nés ici, éduqués ici, socialisés ici, à qui la famille, l‘école, la société ont essayé d’apprendre, d’aimer les valeurs fondamentales de la société, en viennent à penser que leur salut ne peut venir que de barbares attentats ?
Bien sûr, certains, mais pas tous, ont eu des problèmes sociaux, familiaux graves, des questions d’identité, étrangers ici, étrangers là-bas, des problèmes psychologiques… Mais de tout temps, de jeunes adolescents ont eu ces types de problèmes et qui voulaient en découdre et ne versaient pas dans la barbarie ou de façon plus exceptionnelle.
Ils trouvaient, plus souvent, dans la société des structures pour les accueillir, canaliser leur énergie, voire leur violence. Qu’ils ne trouvent pas aujourd’hui. Il faut arriver à penser, à accepter que Daech apporte une réponse à leurs angoisses, à leur incompréhension du monde, à leur non insertion dans la société, dans leur famille… C’est à cette question qu’il faudrait arriver à répondre. Qu’est-ce qui peut donner un sens à leur vie ? En dehors de la mort donnée et reçue comme une récompense.
Et s’il n’est pas possible de répondre à cette question pour certains, n’est-il pas possible d’y répondre pour ceux qui les aident, leur donnent les moyens sans oser eux-mêmes faire le saut, les entourent, les connaissent... Qu’est-ce qui peut donner un sens à la vie de ces jeunes aujourd’hui ? Quel rêve personnel, quelle utopie collective ? Pourquoi faut-il qu’il y ait des jeunes à ce point perdus et en conflit avec la société pour que la question soit posée ? Peut-on penser qu’on peut passer à coté de la question et ne répondre que par la répression, même si elle est nécessaire ?

 

1 - Charlotte Pudlowski Daech a-t-il changé de raisons pour haïr l'Occident Slate.fr 01/08/16

2 – Amine Zaoui Liberté, Journal algérien 28 /07/16 « Aucune institution religieuse à l’image d’Al Azhar n’a appelé à une marche contre Daech. Aucune institution n’a émis une fatwa qui condamne religieusement la secte de Daech et ses dérivées. »

3 – Le Figaro 10/12/2015

4 - Monica M. Blog : Le blog de Monica M. Médiapart15/01/16

5 - http://www.20minutes.fr/societe/1887531-20160712-prediction-sombre-patron-dgsi-affrontements-intercommunautaires

6 - Mathias Delori Le Monde Journal en guerre, 27/07/16, Blog : Le blog de Mathias.delori « Le journal Le Monde a énoncé une contre-vérité ce matin dans son éditorial : l'idée selon laquelle Daech aurait, le premier, attaqué la France. S'agit il d'une erreur ou d'un mensonge ? Le propos est, en tout cas, politiquement irresponsable. »

7 - Jim Jarrassé Le Figaro 08/07/2016

 


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