Faire la politique : article pour adultes
par Céline Ertalif
mercredi 8 août 2007
Faire de la politique, c’est faire faire. Le fantasme ne peut pas être bien loin, car faire faire aux autres ce que l’on est pas capable de faire par soi-même, c’est construire avec de l’imaginaire - le sien et celui des autres. Une fois que l’on a compris qu’il s’agissait d’obéissance et de conduire les autres pour réaliser collectivement une oeuvre qui dépasse les individus, on commence à entrer dans le sujet. La limite entre la politique et spectacle politicien est aussi fragile que la distinction entre l’érotisme et la pornographie.
Que celles qui n’y comprennent rien se rassurent, les hommes non plus. La parité obligatoire sur les listes dans les communes de plus de 3 500 habitants pose, de manière générale, deux problèmes aux leaders de la politique locale : éliminer les prétendants et trouver des candidates. En l’occurence, il n’est pas certain qu’il faille comprendre la politique pour y réussir. Il est sans doute préférable de se poser la question de ce que l’on va y faire, pourquoi et surtout comment. Les femmes sont spontanément plus douées pour l’exercice, dès lors qu’elles ont abandonné le complexe d’une supposée infériorité dans le combat.
La politique n’est pas essentiellement une affaire de combat, c’est une conception archaïque de la vie politique, qui perdure pourtant comme le complexe du mâle dominant. La plupart des élus viennent en politique après un parcours militant associatif ou partisan, à l’âge mûr, en substitut d’une vie de couple ennuyeuse. La motivation est généralement le point le plus faible de vos concurrents potentiels, mais trouver un équilibre permanent entre l’agressivité et la séduction doit davantage préoccuper celles et ceux qui ont envie de faire faire aux autres. Henri Laborit a longuement développé les quatre moyens de lutter contre la pression : l’agressivité, la fuite, la copulation et l’inhibition. La grande affaire de la politique, c’est l’utilisation de la quatrième méthode.
L’intérêt majeur d’un mandat politique, c’est de s’ouvrir une fenêtre sur la société où vous êtes sûr de découvrir une variété de sujets et de questions très étendue, que vous soupçonnez mal tant que vous n’y avez pas mis le nez. A l’échelon municipal autrefois, dans les campagnes, les hommes étaient préoccupés de chemins ruraux, aujourd’hui, ils ont tendance à penser que le fric est l’essentiel. Mais il y a aussi les crèches, les écoles, le développement économique, la politique du logement, en fait, il y a 36 objets et c’est bien la difficulté. Admettons tout de même que, dans le champ municipal, l’urbanisme est le thème majeur : et là, au départ, les hommes encartés depuis vingt ans n’en connaissent pas plus long qu’une jeune blonde. Il est préférable d’être artiste avant de rêver de vedettariat, or l’inculture scolaire et universitaire dans ce domaine essentiel de l’urbanisme dans la vie sociale est suffisamment totale pour assurer l’égalité. On peut faire de la politique sans aucune connaissance de l’anatomie sociale, c’est simplement plus hasardeux et moins intéressant, dommage.
La perversité, la douleur et la jouissance
Il y a la nécessité de faire avancer son point de vue. Sans pour autant ignorer la réflexion des autres, il faut être en mesure de convaincre. L’exercice rhétorique peut se résumer autour de trois principes :
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dissimuler ses intentions réelles, ne jamais dévoiler totalement ses motivations. C’est la règle n° 1 : vous parlez au nom de l’intérêt général, vous vous appuyez sur les certitudes du droit et la morale. Le « moi » n’existe pas, c’est l’intérêt de la France, des habitants de votre ville, quand ce n’est pas le bon sens qui se suffit à lui-même, et les chiffres qui parlent d’eux-mêmes, jamais vous ;
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déstabiliser l’adversaire. Rien de plus facile, vous lui demandez de se justifier quand il affirme quelque chose qui va à l’encontre de ce que vous souhaitez. Exigez qu’il s’explique de tout. Quand il dit que quelque chose est simple, expliquez que c’est compliqué. Quand il dit que c’est compliqué, dites au contraire que c’est très simple et pourquoi : si vous arrivez à démasquer, vous avez gagné ! Ah, on a tenté « tout simplement » de nous dissimuler une vérité ! ;
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insister et répéter. Encore et encore.
En appliquant ces trois règles, vous ferez des miracles qui vous étonneront vous-même. Quand vous êtes sec sur le fond, analysez la forme : c’est une ressource inépuisable. Ecoutez les stars de la politique et décryptez leurs discours à partir de ces trois règles, faites-en autant avec le conseiller général du coin. Ne vous entraînez pas trop longtemps avec votre conjoint, vous allez le massacrer en huit jours ! Tout cela ressemble peu à ce que l’on a appris, c’est pourtant facile et efficace. C’est bien compréhensible, dans toute société on apprend à obéir, et nulle part on enseigne tout à fait à découvert comment l’obéissance s’obtient. Diriger est un art d’autodicdates, mais le savoir-faire ne s’improvise pas. Le génie s’impose et la méthode est le recours de l’impuissance, vous aurez besoin de méthode assez souvent.
La maîtrise du discours, c’est vraiment la base de la politique. L’art de la tactique ne fonde pas une stratégie, mais cela lui permet de développer. Un peu comme les positions du Kamasutra ne décrivent pas votre histoire d’amour, son ambition et son ampleur, mais la maîtrise du style lui donne de la vigueur.
La plus grande difficulté est d’exprimer ce que l’on veut. Souvent on ne découvre pas grand-chose d’autre qu’un banal fantasme dans la volonté des élus. L’imaginaire ne peut atteindre la profondeur que dans la culture qui est un immense chaudron de partage avec les autres. La civilisation a besoin des utopies qui lui donnent du mouvement, de l’agrégation de forces que l’obéissance procure, et de l’art politique. Cet art transcende la morale destinée aux sujets soumis, il dépasse le stupide pragmatisme contemporain qui confond la communication et le pouvoir, c’est une entreprise de civilisation qui admet la perversité, la douleur et la jouissance.