Faisons attention
par alinea
jeudi 14 avril 2016
Selon qui l'on est, il semble que nous n'ayons pas à faire attention aux mêmes choses.
Quand on regarde les événements on a plusieurs prismes à sa disposition ; la manière neutre, presque indifférente où au fond, les faits s'enchaînent mais se chassent. La manière impliquée qui filtre malheureusement souvent les faits, soit que l'on approuve en se contentant de l'apparence, soit que l'on critique vertement, mais en se contentant de l'apparence également. Ou bien, une manière critique qui ne nous fait jamais prendre des vessies pour des lanternes.
Je voudrais prendre comme exemple « Nuit Debout » et de ma réserve vis à vis de ce mouvement. Celle-ci ne concerne pas l'événement lui-même que je trouve bienvenu, mais ses buts et ses chances.
J'ai tendance à être très critique du monde contemporain et ne pas croire qu'il cache en son sein une multitude éclairée qui ne demande qu'à sortir de l'ombre où elle a été tenue pendant des décennies, aussi, je vois bien que les jeunes en éveil, et pour faire court, ne sont pas porteurs de mes valeurs anarchistes et décroissantes. Néanmoins, je ne m'attends pas à un mouvement d'une telle ampleur qui les satisferait. Aussi, m'adressant par principe à des gens intelligents et critiques, j'émets ça et là quelques réserves.
Or, il se trouve que le FN demande instamment au Conseil régional de la région parisienne, de mettre fin à ces débordements. Et là, mes réserves se mettent en réserve et je m'inquiète.
Nous savons bien qu'en 2010 Mme Le Pen demandait l'arrêt immédiat des débordements des travailleurs à propos de la réforme des retraites. Nous savons que ce parti qui se dit populaire aime le peuple haineux du voisin mais pas celui enclin aux révolutions. Son appel aujourd'hui n'est qu'une piqûre de rappel.
Il semble donc que l'on en soit réduit, sur ce site ou sur d'autres, à se limiter à la binarité- ce qui, comme chacun peut le concevoir n'entraînera sûrement pas d'envolées- pour ne pas, soudain, se trouver du mauvais côté, enfin du côté qui n'est pas le sien.
Critiquer les siens est vraiment mon fonds de commerce ; la première critique que l'on peut faire en connaissance approfondie des choses, c'est bien la sienne, puis celle de ses proches. Puis celle des apparentés. Cela semble pourtant parfaitement interdit de tout bord : les proches vous conspuent, les éloignés ou les adversaires vous approuvent, de cette approbation malsaine qui affecte de ne pas comprendre.
La censure, dont j'avais fait un article qui n'avait pas été approuvé, s'appuie sur ce point là : il n'est pire censeurs que nous-mêmes ; la liberté d'expression s'arrête là où l'autre déforme vos dires ou écrits. Là où l'autre ne veut surtout pas comprendre ou approfondir, inutile de dire que le patinage alors n'a rien d'artistique.
Le problème du dire sur le faire, c'est que le dire peut être pointilleux ; quand on dit, on cherche à grandir par un apport de connaissances ou de renseignements ou par la controverse qui oblige à resserrer les boulons de notre propre pensée, en éjectant l'imprécis, l'à-peu-près, le subjectif et en injectant l'ajout d'autres regards.
Quand on fait, ensemble, on fait des compromis, on s'ajuste, on pèse jusqu'à quel point on s'accorde.
Il est désolant de s'apercevoir que rien n'est encore en marche, quand chacun tire la couverture à soi avec force critiques des autres qui font de même ; à moins qu'ils soient traités de traîtres, de faux-culs, et tout autre qualificatif dont je n'ai pas le glossaire sous les yeux.
Faisons attention, faisons un effort non pas de tolérance mais d'écoute, un mot parfois suffit à se faire jeter, et même si l'on comprend que l'incompréhension volontaire ou non de l'autre est en cause, ce rejet n'est pas forcément une blessure narcissique, mais un découragement, une perte de temps et d'énergie.
Je crois que tout mouvement populaire est positif et comme le peuple est multiple, je mets dans le lot, mince, ces grandes manifestations contre le mariage homo, la PMA et tout le toutim. Je leur préfère les grèves de 2010, pour ne parler que des dernières, mais toutes sont à écouter.
Aussi, je constate le contraire, et je vois, à mon grand dam, le peuple s'opposer sur l'expression du peuple ! S'y arrêter, s'y attiser, s'y complaire.
Il n'est pas difficile pourtant de comprendre que nous sommes tous dans des situations différentes, des espoirs des craintes différents. Nous sommes désunis sur la manière de faire ; d'abord, nous devrions nous unir contre l'ennemi commun. Je ne dis pas que l'extrême droite devrait s'unir à l'extrême gauche pour virer le capitalisme ; pourquoi ? Parce que l'extrême droite ne veut pas virer le capitalisme ! Mais l'extrême gauche anticapitaliste est archi minoritaire, et l'extrême droite essaime à vouloir faire croire quelle veut la lune sans faire décoller de fusée.
L'ennemi se déclare dans l'action ; tant que nous sommes dans les mots, il nous faut communiquer et comprendre. Apparemment pour beaucoup, c'est un effort impossible.
Ce que je vois dans ces jeunes, c'est un désir inouï de retrouver la vie et ses joies ; comme je désire aussi à nouveau la vie et ses joies ! mais ce que je vois dans ce mouvement de jeunes c'est l'absence de toute aptitude au combat, ce ne sont pas quelques caillassages... et les vrais combattants, ils ont déjà perdu, emprisonnés ou bien exclus.
Et puis ceux qu'on n'entend plus : qu'est devenu Paul Ariès ?
Nous savons que dans tout mouvement d'ampleur, il nous faut les transports...et les raffineurs !
Comme il n'est pas dans l'air du jour de se priver mais bien de vouloir jouir des mannes d'un partage légitime, je ne suis pas dépressive si je dis que ce n'est pas gagné ! Car avant ce partage, il nous faut tout bloquer !
La classe prolétarienne a été tellement atomisée et sortie de la production, reléguée aux emplois de services, dans cette tierce partie qui n'a plus rien à voir avec le Tiers-État mais s'appelle désormais tertiaire, qu'on ne peut guère rêver la voir réunie. Sans compter tous les emplois inutiles au service seulement du capital, publicité et autres démarchages qui mêlent talents de commerces ou talents créatifs et qui, par définition, s'appuient sur la compétition. La fonction publique est rabrouée par ses commanditaires et décriés par les autres. Diantre.
C'est sûrement que je suis dépressive pour ne voir, des données connues, aucun espoir et ne porter celui-ci que sur l'abandon pur et dur de tous ce que furent nos privilèges, qui se révèlent dans la splendeur de leurs leurres endormissants. Dans le refus de toutes ces petites choses qui semblent indispensables depuis si peu de temps que l'on s'étonne qu'elles le soient tant à une jeunesse née dedans. La remise en question, si elle n'ose approfondir, restera lettre morte. À moins d'avoir acquis que l'avenir lointain, c'est l'année prochaine et que les luttes de jadis sont celles de 1995 !
Nos privilèges de pays colonialiste riche, on nous les ôtera un par un, c'est curieux comme il me semble intelligent de prendre les devants.
S'il y a une table rase à faire, c'est bien celle-là, mais garder les racines ; une bonne taille et on redémarrera de plus bel.