Fait divers et coup de sang : Hold up à l’île d’ouessant !
par velosolex
jeudi 23 février 2017
« Braquage à l’île d’Ouessant ! » Cela interpelle tout de suite le lecteur. Qui connaît ce confetti perdu à la pointe de l’Europe ? Ce bout du monde, « Pen ar bed » comme on dit chez nous. ! « Qui voit Ouessant voit son sang ! » Prévient le proverbe…Mais voyez vous, le danger, à Ouessant, on l’a toujours plutôt imaginé venant de la mer, force 6 ou sept ! Sûrement pas armé d’un pistolet automatique…
Mais l’homme en avait il un, au fait ?
C’était là, dans le titre, par le jeu des paradoxes, entre le nom « île d’Ouessant » et le mot « braquage », l’annonce d’un vrai fait divers intéressant, de ceux qui brillent par l’antinomie des ingrédients affichés dans le titre. http://bit.ly/2lFiqJb  ;
Fait divers : « Il s'agit généralement d'événements tragiques, tels que les crimes, les accidents, les larcins énonçables en trois lignes » Nous dit wilkipédia.
Assurément l’affaire Pénélope n’est pas un fait divers ! On la rattachera à la rubrique politique et économie pour des raisons évidentes de notoriété et d’exemplarité. Sans doute qu’un bon fait divers doit concerner les anonymes, sortis du troupeau à l’occasion de ces histoires étranges, dont la lecture nous font passer par une palette de sentiments opposés : Consternation, effroi, surprise, émotion, empathie, jubilation…..Exactement la palette qui anime les cieux Bretons, en l'espace de quelques heures.
Les auteurs de faits divers ont une imagination parfois extraordinaire. Quand ils n’en ont pas, le fait divers en a pour eux. C’est pour cela que les cinéastes et tant d’écrivains les traquent, afin de les exploiter. Le risque est grand alors qu’on ne les croit pas, qu’on les juge invraisemblables, à moins qu’ils ne précisent que leur œuvre s’inspire d’une « histoire vécue » Il n’y a rien de mieux pour suivre l’état d’une société que ces petites rubriques du crime ordinaire, ou de l’incivilité, comme on dit maintenant.
L’éventail des faits divers est large, infini, comme la mer autour d’Ouessant, avec ses dentelles de récifs sur lesquels se sont empalés tant de bateaux, au point d'établir un véritable cimetière sous marin autour de l’île. Du phare de Creac’h à celui du Stiff, ces sentinelles semblent donner au regard limites et protections, dans ce monde qui confond liberté individuelle et suppression des frontières.
Le bon fait divers est une rampe de lancement vers l’extrapolation et l’étude sociologique. Chaque époque a bien sûr ceux qu’elle mérite. Et si les rubriques ne mentionnent plus les morts dus aux ruades et aux chutes de chevaux, les accidents routiers sont totalement banalisés.
Heureusement, à Ouessant et ailleurs, on déplore bien moins de drames de mer de nos jours. On admettait jadis sans trop s’émouvoir le sort des marins pêcheurs, liés aux caprices de la mer et du ciel, imprévisibles, avec la même fatalité que les tristes rencontres entre deux bagnoles sur les routes de France aujourd’hui.
L’éventail des faits divers a renouvelé sa boutique. Mais certains sont éternels, liés aux escroqueries. Passons sur les tristes abus liés aux personnes âgées, qui montrent pour ceux qui l’ignoraient que les vautours ne concernent pas que le monde animal, et appartiennent même parfois à votre progéniture. L’imagination des voleurs jouent sur la candeur et la naïveté des pékins, mais aussi sur leur image, renversant ainsi le cliché ordinaire….Là ce n’est pas la vieille dame qui se fait avoir, mais, plus intéressant, c’est elle qui abuse la confiance des plus jeunes, rassurés par son âge et sa respectabilité apparente…http://bit.ly/2m5F2js
Sur fond de catastrophe et de gens désemparés, attendant le sauveur, ce genre offre maintes digressions :
Xynthia : l'escroc qui faisait du bien - JDD http://bit.ly/2mgg5kI
Un cinglé, se dit on... N’empêche, l’information est dans son irrationalité très inquiétante, porteuse de cette forme de violence très difficile à anticiper, car absurde. « Comment peut on en arriver là, se dit on ? »… L’image d’une société déshumanisée, sans loi, sans repère vous travaille, tant les faits divers absurdes, font sens quand ils se multiplient.
Le « hold up » qui a lieu à l’île d’Ouessant semble bien appartenir à cette dernière catégorie. Ce passage à l’acte nous surprendrait moins s’il s’était déroulé dans une grande ville. Mais sur cette petite île, cette pointe extrême des terres émergées, qu’on a habitude d’associer à l’idée d’un sanctuaire, elle ne semble avoir aucun sens, et nous désoriente.
Il y avait un encart en page nationale, page quatre.
« Un vol violent et exceptionnel pour cette île située à vingt kilomètres des côtes bretonnes ! »
N’importe quel gamin amateur de BD sait que les braqueurs n’ont qu’une envie, une fois lleur forfait réalisé : Mettre les bouts, se tirer au triple galop le plus loin possible... L’autre variante supposant se trouver une planque, dans l’univers urbain… Tout ce qui précisément absent de cette île d’une superficie de 15 km carrés, plate comme la main, une fois qu’on a dépassé le promontoire vertigineux des récifs.
« Vingt ans ! Alors je connais mon affaire. Mais je vous dirais ce que j’ai envie de dire ! »
Il avait bien raison mais ça me laissait rêveur. Vingt années à faire la navette d’un bout de l’île à l’autre. A peine avait-il passé les vitesses de son gros car qu’il devait les redescendre s’il ne voulait pas faire le grand plongeon du haut de la falaise. C’est un pays où il faut être plus doué au niveau de la pédale frein qu’à celle de l'accélérateur… Et si l'on sort en kway, mieux vaut aussi prévoir un bon produit solaire, afin d'éviter de ressembler le lendemain à une écrevisse, même en hiver. Le soleil et la pluie vous passent sans cesse là bas au kaledescope des lumières les plus folles. On en ressort tout étourdi, chancelant comme sur le pont d'un navire pris dans les remous du jusant.
C’était là de grands moments de ferveur... J’avais lu un bouquin un brin rétro d’Anatole Le Braz, pour me mettre dans l’ambiance. « Fleur d’Ouessant » ... Marie-Ange, Ouessantine de son état, regagnait son île après avoir rendu visite à une cousine de Molène venant d’accoucher. ….J’avais l’impression que Marie-Ange, en coiffe, était à nos cotés, mais je ne disais rien, pour ne pas te rendre jalouse.
Déjà à moitie route, à l’ile de Molène, mon cœur s’était serré.L’île Molène, c’est l’île chauve. Anatole Le Braz raconte qu’il n’y a jamais poussé autre chose que deux arbres, « L’un en pierre, et c’est le clocher,l ‘autre en fer, et c’est le mat du sémaphore ! »
L’univers d’Ouessant ressemble à un ermitage heureux, soumis à toutes les lumières et à tous les contrastes. Et c’est un luxe, dans ce monde pris dans une danse frénétique et perpétuelle, de retrouver cet « au-delà du monde » un confort offert, inchangé, à vous attendre.
Bien sûr je ne connaissais pas cet homme, ce gangster solitaire ; je ne pouvais qu’extrapoler. Peut être venait il d’ailleurs, ne connaissait il pas les lois et la géographie fermée du pays ?... Dans le temps, tout le littoral, et en particulier les îles étaient sous la menace perpétuelle d’envahisseurs. Ca et là, à Ouessant et ailleurs, de nombreux fortins militaires scrutaient la mer. Cela n’a pas empêché les corsaires et les anglais de venir faire maintes rapines et occupations. On mesure mal de nos jours, les menaces et l'isolement qui régnait en ces endroits extrèmes. http://bit.ly/2m3qO64
« Quelles étaient les motivations de cet homme ? D’après des informations recueillies par Le Télégramme, l’homme serait arrivé sur l’île il y a quelques années pour créer une entreprise de maçonnerie, une activité qu’il n’exerçait plus. Client de l’agence et en proie à de grosses difficultés financières, l’homme désespéré aurait tenté le tout pour le tout ».
Les frères Coen au cinéma ont exploré avec talent ce genre d’histoire. Vous prenez une communauté de gens ordinaire, vous introduisez un type pleutre, pas clair, en proie à de grosses difficultés, financières et existencielles. Pas le méchant type au fond, seulement un peu limite, une peu affolé par les échéances, ne voyant surtout ne voyant pas comment il pourra se refaire. Et voilà , vous avez le scénario de Fargo…. Un thriller où les frères cinéastes se servent des contrastes, opposant la beauté, l’innocence, le sens du devoir, à la dépravation stupide. La psychopathie sur fond de paysages froids et lumineux du nord de l’Amérique... Fargo, c’est l’art de tout gâcher, de semer la mort et la détresse derrière soi pour penser se sauver…
Dieu merci, le type a été intercepté sans qu’il eut le temps ou l’idée de cacher son magot sous une pierre. Ce qui évitera un enchaînement stupide des faits. Il ne manquerait plus une nouvelle légende, l'espérance de quelque fortune de mer à se faire, pour attirer quelques types pas clairs. Les faits divers sont parfois comme des poupées gigogne.
"On ne peut pas dire que ce soit du banditisme au sens propre", analyse le maire, Denis Palluel contacté par Le Télégramme. "Cela n'excuse en rien la violence dont il a usée, et le choc qu'a subi l'employée de la banque. Mais on peut dire que c'est quelqu'un au fond du trou qui a agi".
Ce maire est un honnête homme. Pas un de ceux qui exigeait l’application de « toute la rigueur de la loi », comme cela se passait auparavant. Il tentait de comprendre ce qui avait pu pousser un homme à quelque chose de si insensé.
Victor Hugo s’épanche longuement sur ces tableaux sinistres, dans ce très beau livre sur la souffrance et la résilience qu’est « L’homme qui rit »http://bit.ly/2l1omZq&hellip ;.
.Hugo adorait les îles, comme refuge et comme tête de pont. Dans sa maison de Guernesey, au dessus de la porte d’entrée, on peut lire cette devise : « La vie est un exil »….
Et qu’il en d’autres, qui apparaissent à l’inverse comme des lieux de résistance et de protection.
A chacun de faire la différence, et à s’attacher à prévenir le pire, en tachant de prendre soin les uns des autres. "L'animal jouit et meurt, l'homme s'émerveille et meurt. Où est le port ? Voilà la question qui résonne dans tout le livre" Disait Albert Camus, à propos des "iles", ce si beau livre de Jean Grenier, qui l'avait tant impressionné.
L’absurde est le point zéro de la réflexion camusienne. Avant de le rencontrer, l’homme se laisse entraîner par ses habitudes et les gestes que l’existence commande. Un jour, pourtant, le sentiment d’absurdité frappe à sa porte. Alors les décors s’écroulent, et les limites des iles disparaissent. Il ne lui reste plus que le combat, la volonté de donner du sens et de la clarté à sa vie.