Fausse route

par Louis Dalmas
vendredi 23 août 2013

Gordon N. Bardos est président de SEERECON, une société de conseil spécialisée dans l'Europe du sud. Dans le numéro 190 de B. I. de septembre 2013 il signe un artidle intitulé “Le coût des guerres inutiles”, dans lequel il parle des experts occidentaux qui proposent “des solutions aux crises dans des pays où ils ne sont jamais allés, habités par des gens qu’ils n’ont jamais rencontrés, parlant une langue qu’ils ne comprennent pas, avec une histoire dont ils ne savent rien.” Une jolie définition de bon nombre de nos dirigeants.

Leur ignorance est particulièrement consternante dans le cas de l’Egypte, où les USA et leurs satellites pataugent dans la guimauve de leur “démocratie”. Une fois pour toutes, ils ont figé le monde dans une opposition morale : soi-disant liberté contre prétendue dictature. Un schéma irréel qui justifie toute forme de guerre des “bons libérateurs” contre les “mauvais tyrans”.

Malheureusement pour ces prêcheurs de croisades, la réalité est beaucoup plus complexe. D’abord les enjeux géostratégiques brouillent cette image en blanc et noir. La règle morale est balayée par les intérêts matériels. On supprime un “bon” parce qu’il est trop indépendant (Libye), on soutient un “mauvais” parce qu’il est riche ou qu’il a du pétrole (Qatar, Arabie Saoudite, et autres). La bannière de la “guerre au mal” recouvre vertueusement l’impérialisme cynique de la Maison Blanche et la docilité de ses sous-fifres.

Ensuite, la religion islamique vient compliquer la situation. Les “modérés” avec lesquels on s’imagine installer la démocratie se révèlent plus favorables aux contraintes du culte qu’à la liberté de vote. Pour eux, la sharia prime sur le parlement. Et ceux qu’on pensait adoubés par le peuple dans des élections bancales sont finalement rejetés à cause même de leurs excès.

D’où une analyse occidentale complètement à côté de la plaque. Pour deux raisons.

Primo : les peuples aux conditions de vie douteuses se foutent complètement de la démocratie s’ils n’ont pas de quoi se nourrir ou se loger. Les “printemps arabes” n’ont jamais été des revendications démocratiques. Ils ont été pour les classes pauvres une exigence de mieux vivre, et pour les classes moyennes une indépendance leur permettant de prospérer davantage hors des tutelles étrangères. Au-delà d’une couche de bourgeoisie cosmopolite, personne ne s’intéresse aux homélies “démocratiques” des boy-scouts des chancelleries.

Secundo : nos dirigeants font fausse route en se laissant guider par une idée totalement fausse de l’armée dans ces pays du Proche-Orient. Loin d’être un instrument d’oppression totalitaire, c’est une force d’affranchissement et de modernisation. Pourquoi ? Parce que c’est le milieu du brassage social par excellence. Le milieu où sont formés des citoyens échappant aux hiérarchies tribales et aux conventions religieuses. Le milieu où l’on est voué plus à l’indépendance et la puissance de la patrie qu’à la propagation d’un culte. Le milieu où le recrutement indifférencié fait que l’ensemble du peuple est mieux représenté que par un scrutin électoral. L’histoire le démontre. C’est un militaire, Kemal Ataturk, qui a sorti la Turquie du Moyen âge et ce sont des militaires qui ont traditionnellement cherché à préserver la laïcité du pays. Ce sont des militaires, Neguib et Nasser, qui ont renversé la monarchie en Egypte et ce sont des militaires, Sadate et Rabin, qui construisaient la paix dans la région avant d'être assassinés. Ce sont des militaires qui, en Irak et en Syrie, étaient et sont les plus surs bastions de résistance au fanatisme confessionnel. Et ce sont encore des militaires, avec Abdel Fatah al Sissi, qui sauvent l’Egypte de la mainmise des mollahs et des mosquées.

Et l’opinion publique le sait. Dernier démenti aux lubies occidentales : la popularité de l’uniforme. Bien loin d’être crainte, l’armée est applaudie. En Syrie, elle ne viendrait pas à bout, comme elle est en train de le faire, de la coalition de mercenaires anti-Assad sans le soutien de la population. En Egypte, elle ne pourrait pas exercer sa violente répression des islamistes sans l’appui du peuple. Que nos brillants experts le veuillent ou non, la souveraineté, la stabilité, la neutralité d’opinion et la sécurité sont aussi des revendications populaires. Et même d'excellentes revendications musulmanes. Ce qui veut dire qu’il y a des situations et des pays où c’est l’armée qui est le progrès, pas la “démocratie”.

Louis DALMAS.


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